Paris Fantasme : « Une rue, dix maisons, cent romans »
Publié le 19 mars 2021 par Bertrand Matot

À l’heure du reconfinement dans la capitale, Paris est-elle encore une fête ou plutôt un matériau onirique ? Apparemment la seconde possibilité prend toute sa saveur avec la lecture de Paris Fantasme. Lydia Flem à la fois écrivaine, psychanalyste et photographe, nous le démontre avec un talent fou. Il ne s’agit pas d’un guide sur les endroits canailles de la capitale mais, à travers une découverte de la petite rue Férou dans le 6e arrondissement de Paris, d’une porte ouverte vers un espace-temps inédit.

Lydia Flem foule la minuscule rue Férou comme on parcourt un livre d’histoire ou un album d’images. Cette curieuse rue Férou, ancien cul-de-sac, entre le jardin du Luxembourg et la place Saint-Sulpice existe depuis cinq cents ans et comprend seulement 17 numéros. Néanmoins, ses fantômes y sont innombrables et l’autrice n’a pas moins de 500 pages pour les étudier et les saluer. Lydia Flem nous propose un plan de la rue, une chronologie, un jeu du portrait chinois et surtout des portraits de ses habitants. Le pensionnaire le plus célèbre étant le photographe surréaliste Man Ray mais, auparavant, d’Artagnan et ses trois mousquetaires, Mme de La Fayette, Balzac, Victor Hugo, Huysmans, Prévert enfant, Queneau, Hemingway, Perec, Michel Déon, Bertrand de Jouvenel hantèrent la rue. Les maisons d’artistes côtoient les maisons de leurs personnages fictifs. Des éditeurs fabuleux s’y sont installés aussi : Belin, Les Temps modernes, la librairie L’Âge d’homme. Tant de souvenirs… Des portes s’ouvrent aux voix du passé. « Ce livre s’est bâti, non pas au cordeau, ni à angles droits, mais surtout en courbes et zigzags », précise notre écrivaine voyageuse des temps légendaires.
La rue Férou, a également été traversée par Arthur Rimbaud le maudit ,et sur un mur de la ruelle, les rares touristes peuvent désormais lire le poème du « Bateau ivre » dans une belle calligraphie. Lydia Flem comme photographe s’est passionnée pour Man Ray et son atelier du 2 bis mais se met aussi dans la peau d’Eugène Atget, le pionnier de l’image qui a immortalisé le vieux Paris. Paris Fantasme ressemble à une psychogéographie mystérieuse.

Il y a du Modiano chez la chroniqueuse Lydia Flem : « Ma rue Férou est le lieu d’une autobiographie au pluriel. Hantée par le cortège de celles et ceux dont il ne reste plus d’autre trace pour dire leur passage sur cette terre que des listes de noms. »

Paris Fantasme, Lydia Flem, Seuil « La Librairie du XXIe siècle », 544 p., 24 €. Paru 4 mars 2021.