Roland Jaccard Papers
Publié le 14 avril 2021 par Rédaction LI
Sortie au mois d’avril du Monde d’avant, le journal (1983-1988) du journaliste et essayiste Roland Jaccard.

Que reste-t-il d’un livre de 835 pages et de son auteur ? À peu près rien. Tout le long de son Journal, période 1983-1988, l’octogénaire Roland Jaccard s’emploie lui-même à lester le fil de son temps de ses petites charges explosives. À quoi bon l’écrire, à quoi bon le lire ? Il a la trentaine lorsque débute ses aventures diaristes. Il est au Monde depuis l’âge de vingt-six ans, celui du boulevard des Italiens, encore jupitérien et qui ne connaît pas la crise. Et dans Le Monde, il est au très influent Monde des livres, à torcher chaque semaine la rubrique psychanalyse, ce qui le pèse – on ne dit pas encore burn out –, mais le sustente et l’installe sur un strapontin de notoriété. L’intellectuel lausannais déjeune, roucoule avec une jeune future romancière Linda Lê à qui il achète volontiers des petites culottes de petite fille et des pantalons pour pré-adolescente, a mal au genou, a des problèmes de digestion, hésite à aller à Deauville, parade à la piscine Deligny, observe le couple Gabriel Matzneff et Vanessa Springora, vaque à Lausanne (c’est un métier), flatte Michel Foucault, déjeune avec le poète haïtien en exil Jean Métellus, cinéphilise à la Pagode, écrit sur Clément Rosset, sur André Comte-Sponville, sur François Roustang, sur Louis Wolfson, ricane avec Cioran, rédige sa trilogie du moi. Las Le Monde va mal. Et celui qui aime tant fossoyer l’époque se retrouve enterré vivant. Le 28 mars 1985, on lui signifie son licenciement du quotidien du soir, après quinze années pétillantes, et il ne s’en remettra jamais vraiment. Même si Jaccard a du ressort. Il tire encore de belles ficelles dans l’édition et la critique. Le livre est comme la petite boîte de Pétri un peu poussiéreuse d’un morceau de vie intellectuelle aujourd’hui laissée de côté. Des noms et des figures surgissent en flashs dans une nuit de plus en plus profonde. Mais si on choisit de rentrer dans ce tombeau de papier aménagé comme un petit palace rococo, on pourra découvrir un ciel d’artifices, de lucioles, de lumières palpitantes et d’étoiles filantes. 25 novembre 1987 : « Le diariste est tantôt le rentier de son moi – il le gère comme un capital à préserver ; tantôt l’enfant prodigue qui le dilapide, comme si son Moi n’était qu’un funeste caprice. »

Le Monde d’avant. Journal 1983-1988, Roland Jaccard, Serge Safran, 835 p., 27,90€. Paru 16 avril 2021.
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