Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

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Michaël Moreau : le président du 10 Mai et ses scribes

Publié le 14 mai 2021 par

François Mitterrand à l’Élysée, la Gauche espère. Qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ? Tout le mois, Les Influences interrogent acteurs du moment et observateurs de toutes générations. Aujourd’hui : les discours de François Mitterrand racontés par Michaël Moreau, journaliste et auteur des Plumes du pouvoir (Plon). (4)

Michaël Moreau, journaliste et auteur des Plumes du pouvoir (Plon), Paris, 1er mai 2021. © Olivier Roller pour Les Influences.

par Emmanuel Lemieux et Olivier Roller

Michaël Moreau a dormi tranquillement le soir du 10 mai 1981, il ne s’est pas nourri au lait du socialisme, il biberonnait Gallia, il était âgé d’à peu près 6 mois. On le lui a raconté après. Il sait que ses jeunes parents, professeurs de mathématiques et d’anglais, à Évry, ville socialiste, eux, fêtèrent ce soir d’élection qui permit sa première alternance démocratique à gauche dans la Ve République : « Gentiment et discrètement, je pense. » Il faut attendre que le jeune Michaël apprenne à écrire cohabitation, Chirac, Jospin, voire Le Pen et anticonstitutionnellement avec ses petites soupes de nouilles alphabet pour que les choses sérieuses prennent consistance. Et voter à sa première présidentielle, « mais je ne vous dirai pas pour qui », lors du coup de théâtre de 2002. Dès le collège, il a le virus du journalisme, il lit France Soir et Libération, il écoute RTL, il aime la politique, sa dramaturgie et ses débats, ses émotions violentes et ses roueries stratégiques. « C’est sûr que mes goûts au lycée, le journalisme et la politique, n’étaient pas vraiment partagés durant les années 90, mais je savais que je serai journaliste », sourit-il. Aujourd’hui rédacteur en chef dans une société de production, il est aussi l’auteur d’une belle enquête fouillée et excitante sur Les Plumes du pouvoir (Plon). Une large part est bien sûr dédiée aux années Mitterrand.

Régis Debray. Paul Guimard. Erick Orsenna. Laure Adler. Sophie Bouchet-Petersen. Le candidat puis président s’est entouré d’auteurs, ciseleurs de mots et de lyrisme. Le discours d’intronisation de Mitterrand, le 21 mai 1981, a été principalement écrit par Régis Debray. L’écrivain a réalisé un drôle de canevas, revu à la marge ensuite par Pierre Bérégovoy et le Président. Le chef de l’État voulait un « sermon qui ait de la gueule » confie Debray dans l’enquête. L’ancien compagnon de Che Guevara a pensé comme tout naturellement à Joachim de Flore, un théologien du XIIe siècle. Celui-ci théorisa les trois règnes du monde, correspondant aux trois états de l’humanité. « C’est ainsi que l’Ancien Testament a été remplacé par le Front populaire, l’âge du Fils par la Libération et enfin, la réconciliation du Saint-Esprit, par le Programme commun de la gauche qui scellait, disait le discours, la nouvelle alliance du socialisme et de la liberté ! » déroule Michaël Moreau.

En 1981, à Cancún, le Président Mitterrand salue les « humiliés» et les « exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres» et, pour le centenaire d’HEC, fait un « éloge vibrant de l”entreprise et du profit ».

De Régis Debray, chargé de mission pour les relations internationales, on retient également la dernière grande flambée tiers-mondiste d’un président français. Il est l’auteur du discours dit de Cancún (mais prononcé à Mexico), le 20 octobre 1981. Devant le monument de la Révolution, un président debraytisé – il retouchait très peu ses discours contrairement à celles et ceux qui allaient lui succéder –, adresse son « salut aux humiliés, aux émigrés, aux exilés sur leur propre terre qui veulent vivre et vivre libres. Salut à celles et à ceux qu’on bâillonne, qu’on persécute et qu’on torture, qui veulent vivre et vivre libres. » Dans ce discours, François Mitterrand distille sa théorie sur la « non-assistance des peuples en danger ». Ce discours a été retransmis par TF1. Quarante-huit heures plus tard, dans la station balnéaire de Cancún, le nouveau président socialiste était à la table de la grande Conférence Nord-Sud, destiné au désendettement de l’Amérique latine, avec l’ultralibéral Ronald Reagan, parrain des dictatures régionales. Dans la coulisse, un autre conseiller rattaché à la cellule diplomatique, Hubert Védrine, s’en souvient pour l’enquête de Moreau : « Toute une partie de la gauche est très émue par ce discours, mais il n’avait déjà plus de rapport avec la réalité de l’Amérique latine, et encore moins avec ce que la France pouvait faire. » Treize années plus tard, le météore Régis Debray brûlera son passage à l’Élysée et dans les mots à combustion rapide de ce président, avec un livre, l’acide Loués soient nos seigneurs. Une éducation politique.

Il y a des discours beaucoup moins connus mais qui, très rapidement, dès cette même année, distillent une autre musique. « Je pense au discours prononcé lors du centenaire d’HEC le 8 décembre 1981, explique Michaël Moreau. Celui-ci avait été rédigé par Jacques Attali, et en partie par un jeune conseiller de 27 ans, François Hollande, venu de l’ENA mais aussi de cette école. François Mitterrand y est allé de son “éloge vibrant de l’entreprise et du profit”. À Figeac, dans le Lot, en 1982, il ira plus loin avec son “Quelquefois, ce que j’ai appelé socialisme à la française, je n’en fais pas ma Bible”. » Un mot viendra bientôt tatouer la décennie Mitterrand, celui de « rigueur ».

Selon Michaël Moreau, le François Hollande président, lui, estime que « le discours le plus beau » de son prédécesseur est celui du 17 janvier 1995, à quelques mois de son départ de l’Élysée. Il le prononce dans l’enceinte du Parlement européen. Ce n’est pas tant ce discours, technicien et de grande froideur, qui va marquer les esprits, que la postface, comme improvisée, d’un président usé par le cancer, et qui retourne l’assemblée somnolente et polie avec l’évocation de sa jeunesse dans la résistance et la guerre. On retient la formule : « Il faut vaincre notre histoire. Et pourtant, si on ne la vainc pas, il faut savoir qu’une règle s’imposera, mesdames et messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! »

À part cela, que reste-t-il des mots envolés ou empoussiérés du 10 mai et des deux quinquennats ? « Il restera durablement, à mon avis, des discours de grande dimension historique comme celui de La Baule en 1990 adressé aux chefs d’États africains, de la Knesset le 4 mars 1982, une première pour un président français et surtout, du Bundenstag, le 20 janvier 1983, contre l’URSS », parie le spécialiste des scribes du pouvoir. Lorsque François Mitterrand s’éteint, quelques mois après avoir invoqué et parié lors de ses derniers vœux présidentiels sur les « forces de l’esprit », le président Jacques Chirac demande à sa plume Christine Albanel de lui faire « un discours soviétique ».

Les Plumes du pouvoir, Michaël Moreau, Plon, 343 p., 19 €. Paru mars 2020.


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