Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Politique

Didier Daeninckx et le 10 mai : fin de partie

Publié le 17 mai 2021 par

#10 mai (6). 10 mai 1981 : François Mitterrand à l’Élysée, la Gauche espère. Qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ? Tout le mois, Les Influences interrogent acteurs du moment et observateurs de toutes générations. Aujourd’hui : l’écrivain Didier Daeninckx raconte l’avant et l’après côté communistes.

L’écrivain Didier Daeninckx, Strasbourg, 1995. © Olivier Roller.

Au soir du 10 mai 1981, alors que le portrait pixelisé de François Mitterrand envahissait les écrans, j’étais chez moi, rue de la Commune de Paris, à Aubervilliers. Des amis, des camarades ont téléphoné pour m’embarquer dans leur virée en direction de la place de la Bastille, afin de fêter l’avènement. J’ai décliné. J’étais heureux de l’éviction de Giscard, mais ce que je savais de la trajectoire de son remplaçant m’obligeait à la réserve. La fin de mon enfance et le début de mon adolescence avaient été rythmés par les soubresauts de la guerre d’Algérie : Suzanne Martorell, une amie de ma mère, une voisine chez qui j’allais voir la télé, avait été assassinée à Charonne, le 8 février 1962, par la police du préfet Papon. Les militants de cette époque parlaient alors sans fard des nombreux condamnés à mort auxquels le Garde des Sceaux François Mitterrand avait refusé la grâce et un nom revenait sans cesse : celui de Fernand Iveton, jeune membre du Parti communiste algérien envoyé à la guillotine par notre nouveau président au seul motif de la raison d’État.

Quelques mois plus tard, ce sang sera symboliquement lavé par l’abolition de la peine de mort que j’aurai toujours la présence d’esprit de mettre au crédit du seul Robert Badinter.

Jack Ralite à Didier Daeninckx : « On te connait, Didier, tu es un enfant du Programme commun… » Réponse : « Et toi, un enfant de Staline. » Ralite : « Oui, et j’en suis fier. »

À cette époque, je n’avais encore rien publié à part des quantités d’articles sur la vie municipale dans la circonscription Aulnay-Villepinte-Sevran où j’exerçais le boulot de journaliste localier. Pour quelques mois encore j’étais membre de la cellule Ho Chi Minh du PCF, dans le quartier mairie où le dirigeant vietnamien avait travaillé comme employé de laboratoire photographique au cours des années 1920. On se réunissait une fois par mois dans une salle du sous-sol de la cité Gémier et, depuis de nombreux mois je m’opposais frontalement au poids lourd de notre petite assemblée, le député Jack Ralite qui habitait dans les étages. Les divergences avaient pris un caractère public au soir du 5 janvier 1980 quand la fédération de Seine-Saint-Denis du PCF avait organisé une assemblée des « intellectuels » du département pour débattre de la politique culturelle. Les deux cents personnes, acteurs, animateurs, musiciens, peintres… qui se pressaient dans le vaste hall de la mairie d’Aubervilliers avaient appris en arrivant que l’ordre du jour était bousculé : l’Armée rouge venait d’envahir l’Afghanistan et Georges Marchais avait décidé de donner une interview en direct sur la première chaine depuis Moscou et d’approuver le choix des dirigeants soviétiques. Lors du débat présidé par Jack Ralite qui avait suivi, j’avais été le seul à m’inscrire en faux contre le coup d’État de Brejnev, m’attirant cette pique de mon camarade de cellule :

« On te connaît Didier, tu es un enfant du Programme commun… »

Traduit en bon français cela signifiait que j’avais flanché du côté de la social-démocratie… J’avais fait cesser les rires et les approbations en rétorquant à Jack Ralite qu’il était, lui, « un enfant de Staline » m’attirant cette réponse en conclusion de l’échange : « Oui, et j’en suis fier ».

Nous avons continué à nous voir dans les sous-sols de la cité Gémier et à nous défier toute cette année 1980 au cours de laquelle le PCF tentait de capter l’électorat ouvrier au moyen de discours souverainistes (Fabriquons français) ou de décisions politiques pour le moins « novatrices » comme la lutte contre l’immigration qui culminera avec l’envoi d’un engin de chantier contre un foyer de travailleurs étrangers, ou la chasse aux drogués à Montigny-les-Cormeilles, la ville de Robert Hue. Journaliste de terrain, je ne pouvais que constater la détresse de nombreux militants devant distribuer des tracts communistes argumentant sur la trop grande pression des « populations allogènes ». J’avais aggravé mon cas en participant à des grèves de soutien à Solidarnosc, aux dissidents du bloc soviétique.

Un mois avant l’élection présidentielle de 1981, l’appareil du PCF avait pris la mesure du rapport de force et savait que Georges Marchais serait distancé par François Mitterrand et que le second tour se jouerait à quelques centaines de milliers de voix. Une partie des cadres de la fédération ouvriériste de Seine-Saint-Denis, la structure influencée par la direction du journal L’Humanité, décidèrent alors d’organiser une campagne souterraine prônant le « vote révolutionnaire en faveur de Giscard d’Estaing », candidat déjà adoubé par les maîtres du Kremlin. Je me souviens exactement de la manière dont j’ai été mis dans la confidence par « Jimmy », qui occupait la fonction de garde-champêtre de Villepinte : « Ange veut nous voir, il a quelque chose d’important à nous dire… » Nous nous sommes retrouvés à l’heure de l’apéritif dans le bureau du maire de la ville, Ange Baraglioli, qui nous a expliqué en quelques phrases qu’il fallait voter Giscard, dans le secret de l’isoloir, afin de conjurer la disparition du PCF, conséquence inéluctable d’une victoire du candidat socialiste. Nous ignorions à l’époque que des cadres gaullistes tenaient le même raisonnement concernant l’avenir de leur boutique et faisaient voter Mitterrand contre Giscard !

J’étais sorti de cette entrevue anéanti par la manière dont le double discours, le mensonge, le mépris des militants, des électeurs, étaient assumés.

Un dimanche sur trois, vers huit heures du matin, j’allais frapper à la porte du ministre qui m’ouvrait en pyjama et me remettait une pile d’exemplaires de L’Humanité Dimanche, du Journal d’Aubervilliers et de Pif Gadget

En juin 1981, Jack Ralite, mon camarade de cellule, était nommé ministre de la Santé du premier gouvernement Mauroy en vertu des avancées de la politique de Programme commun qu’il combattait fermement quelques mois plus tôt. Il avait refusé de déménager dans un palais de la République, et une équipe de protection policière avait élu domicile au bas des tours HLM de la cité Gémier. Un dimanche sur trois, vers huit heures du matin, j’allais frapper à la porte du ministre qui m’ouvrait en pyjama et me remettait une pile d’exemplaires de L’Humanité Dimanche, du Journal d’Aubervilliers et de Pif Gadget que j’allais vendre au porte à porte dans tout le quartier.

J’ai saisi l’occasion d’une assemblée générale des communistes d’Aubervilliers, près de trois cents personnes réunies dans la salle de la Bourse du Travail, rue Pasteur, au printemps de 1982, pour prendre la parole et faire l’inventaire de tout ce qui me séparait de ceux avec qui j’avais fait corps pendant de longues années. Le ministre n’était pas à la tribune, il s’était contenté de saluer l’assistance. Mon intervention, écrite, n’excédait pas cinq minutes, mais parvenu à la moitié, une bonne partie de la salle a commencé à me huer, à m’insulter. On me traitait de vendu, de traître. Devenu inaudible, je me suis tu et me suis raccroché au regard d’un de mes oncles, un permanent politique assis deux rangs devant moi et qui me fixait.

«Demande-leur de se taire, je n’en ai plus que pour deux minutes…
Pourquoi je leur demanderais ça ? Je suis d’accord avec eux… »

Quelques jours plus tard, une lettre des Éditions du Masque m’informait que le roman Mort au premier tour que je leur avait fait parvenir venait d’être retenu par le comité de lecture et on me proposait un contrat.

Le plus surprenant, c’est que j’avais envoyé le manuscrit quatre ans plus tôt aux Éditions du Masque et que, après neuf autres réponses négatives, j’avais fait une croix sur mon avenir dans la littérature…

Pour me faire payer ma dissidence, le maire de Villepinte m’a viré, une décision que j’ai fait annuler avant que celui qui m’avait convoqué pour le vote Giscard ne soit destitué pour fraude électorale.

Parti du Parti, j’ai loué une piaule juste en face de chez moi, rue de la Commune de Paris, et j’ai consacré l’essentiel de mon temps à l’écriture, en souvenir de Suzanne Martorell, de Meurtres pour mémoire, une Série Noire qui rendait justice aux morts algériens d’octobre 1961.

D.D. pour Les Influences


Didier Daeninckx est l’auteur de nombreux romans et essais dont Artana ! Artana !, Folio, 2020 et le magnifique Le Roman noir de l’histoire, Verdier, 2019. À paraître à la rentrée, Rions noir, avec des dessins d’Alex Jordan, Créaphis et en juin, un beau livre, Endorphine, sur des photos de Frédéric Stucin, Filigranes, 27 €. (En vente sur la boutique en ligne de l’éditeur).

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