Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

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Boris Vallaud fait de la résistance

Publié le 20 mai 2021 par

10 mai 1981 : François Mitterrand à l’Élysée, la Gauche espère. Qu’en reste-t-il 40 ans plus tard ? Tout le mois, Les Influences interrogent acteurs du moment et observateurs de toutes générations. Aujourd’hui : le député de la 3e circonscription des Landes et porte-parole du groupe PS de l’Assemblée nationale, Boris Vallaud, qui vient de publier Un Esprit de résistance (Flammarion).

Boris Vallaud, député de la 3e circonscription des Landes et porte-parole du PS, Paris, 5 mai 2021. ©Olivier Roller pour Les Influences.

Ce livre, ça a commencé à cause d’une panne de désir. À gauche, on a tendance à bovaryser depuis 2017… Le site AOC m’avait demandé un texte sur le jour d’après la pandémie. Mais devant la page blanche, rien ne sortait. Le livre, lui, m’a permis d’ordonnancer mes idées». Celui qui s’exprime comme cela, en équilibre entre la petite folie douce et la maîtrise techno, s’appelle Boris Vallaud. Dans la visibilité  rétrécie du PS, le quadra fait partie de celles et ceux à l’Assemblée nationale dont on perçoit le visage et un peu la voix. Il est le porte-parole du groupe Socialistes et apparentés, c’est-à-dire de 25 députés rescapés d’un parti dévoré par la lessive Macron, et quatre autres élus. Quelques semaines avant le Covid, il nous avait reçus dans son bureau, comme en exil intérieur, se demandant  tout haut à quoi un député de l’opposition pouvait bien servir en ces temps jupitériens. Et s’il n’allait pas jeter l’éponge à la prochaine mandature. Parce que la politique ce n’est pas tout, surtout pour les nouvelles générations d’élus. Et s’il n’ouvrirait pas un restaurant, genre Au c’est mieux qu’en face. Constatant qu’aucun débat serein n’était possible dans cette enflure pathologique qu’est la présidentialisation.

Durant ces deux ans et demi, il avait pourtant lancé régulièrement quelques feux de Bengale dans le jardin au carré de la majorité, usant de ruses de sioux très chevronnées, de saisine constitutionnelle, de punchlines et de relais de la pétition citoyenne contre la privatisation des Aéroports de Paris.

Quelques semaines plus tard, il se retrouve cas contact, après un déjeuner en compagnie de deux collègues députés. L’Assemblée nationale avec ses brassages sociaux constitue un cluster de choix. Il est resté de lui même une dizaine de jours chez lui, avant qu’à peine sorti, ne se décide l’ère du Grand confinement. « D’un seul coup tout s’est arrêté à l’assemblée, la démocratie s’est retrouvée brutalement silencieuse » se souvient-il. Cette fois, le député des Landes se confine dans la maison familiale de Hontanx en lisière du Gers, avec enfants et compagne. Au grand air et belle distanciation physique du Bas-Armagnac mais avec toutes les péripéties possibles des familles Fenouillard du XXIe siècle connecté : «  On était comme beaucoup de  monde, avec nos deux  enfants et Najat [Vallaud-Belkacem] à  coexister sur des écrans, à ramer parfois avec les connections et les visio-conférences qui se décrochaient. » Il en profite pour une petite saillie : « c’est là où l’on constate les dégâts réalisés par un Jean-Michel Blanquer qui avait trouvé pertinent d’arrêter le plan numérique qui aurait pu faire de nous un pays à peu près souverain sur le sujet et finalement par sa négligence politique, aura jeté l’Éducation nationale dans les bras des GAFAM. » Plutôt que de se contempler dans le ruisseau de Lusson (qui se perd dans la Midouze), réflexe de la préfectorale lui qui fut secrétaire général des Landes juste avant que ne s’y abatte la tempête Klaus en 2009, il organise sa mini war room chez lui, jongle par Zoom avec ses collaborateurs, mais également toute une kyrielle d’acronymes dont on fait les administrations déconcentrées de l’État en terre landaise. « Comme cela, je pouvais me constituer la photo instantanée de la situation sanitaire dans ma circonscription la plus précise possible, et faire remonter des informations nécessaires », explique-t-il.

Il n’a pas oublié non plus son retour à l’Assemblée. Un moment singulier. Sur son I-Phone, tourne une petite vidéo qu’il a fabriqué, avec des images lelouchiennes en accéléré d’un Paris déserté et des couloirs d’un Palais Bourbon pas mieux garnis, d’un PM masqué tout autant que l’échantillon volontaire de 3 représentants par groupe parlementaire. « C’était lugubre, un peu inquiétant mais essentiel pour que reprenne une vie politique digne de ce nom », décrit celui qui a fait partie de la commission d’enquête parlementaire Covid-19.

Oui, pour la première fois de ma vie avec ce mandat de député, je suis comptable de ce que je fais et tant pis si je me plante aux législatives de 2022

Sur Twitter, la maman d’un élu socialiste trouve qu’il est beau et déclare qu’elle lira volontiers son livre. Le livre qu’il vient de publier, donc. L’Esprit de résistance. Court, dense, auto-persuasif. Boris Vallaud manie l’anaphore comme son ancien président dont il fut le secrétaire général adjoint. Et le romantisme des houles. Sa gauche ? « Un choix continûment réitéré, revivifié dans la proximité avec celles et ceux pour lesquels j’ai choisi de m’engager et qui donnent sens à mes combats, dans la fidélité humble à tant de femmes et d’hommes qui ont fait l’histoire et constituent mon Panthéon. Dans le souffle inextinguible du socialisme qui fait battre le cœur et, aussi, dans une forme de culte un peu romantique de la République et de l’État », s’emballe-t-il. Son livre est comme une piqûre de rappel. Un vaccin de type ARN messager qui finira bien par neutraliser l’adversaire et redonner anticorps et vitalité à la gauche. Il accole beaucoup l’adjectif « acharnée » aux actions ou intentions, comme s’il s’agissait de tenir le dernier réduit de la gauche et donner du clairon pour compenser la faiblesse des troupes. Il invoque à plusieurs reprises le « souffle » qu’il veut enlevé et optimiste. Il distille des pages sur un indispensable « triptyque État-souveraineté-démocratie », la démocratie qui devrait être plus joyeuse, défatiguée de son immobilisme et absolument sociale, le cap vers la souveraineté – et non pas le souverainisme-, l’esprit de Philadelphie à réveiller.  Et puis la condition des « travailleurs du clic » à envisager ou « la protection sociale universelle et inconditionnelle » à inventer. Des droits personnels et inviolables. Extraits : « Le Compte personnel d’activité, c’est le compte universel qui regroupe et rend lisibles et accessibles tous les droits sociaux, quelle que soit la situation personnelle pour lutter contre les impasses de non-recours. Il n’est attaché à aucun statut particulier, chacun en dispose qu’il soit en emploi, en formation ou au chômage, qu’il soit salarié, indépendant ou bénévole. » Et bien sûr le nouveau mantra, « penser ensemble la question sociale et la question environnementale ». Et puisqu’il fait miel de nombreuses lectures, il conclut avec Hanna Arendt, le totem habituel des libéraux, annonçant le temps qui n’est plus à perdre et « le tic-tac » fatidique des défis à relever et ce, dès demain matin.

C’est un livre également qui signale au cas où on ne l’aurait pas compris que le député compte bien, finalement, se représenter en 2022. « Oui, pour la première fois avec ce mandat, je suis comptable de ce que je fais et tant pis si je me plante, explique t-il sans cligner. Vous avez remarqué le nombre de députés LREM qui ont fait savoir qu’ils n’envisageaient pas de se représenter ? Pour moi, c’est esquiver ses responsabilités et ne pas souhaiter connaître le jugement de ses électeurs sur son travail de député. »

En 81, la gauche sortait de 23 ans d’opposition et leurs divisions, me semble-t-il étaient beaucoup plus profondes qu’elles ne le sont aujourd’hui, et le sens de la nuance selon Camus n’était pas vraiment au rendez-vous.

Un livre enfin qui s’invite durant le quarantième anniversaire de l’élection de François Mitterrand, et un quart de siècle après sa mort. Le mythe du 10 mai 1981 avait déjà été écarté il y a dix ans par nombre de hiérarques du PS, de crainte d’une pénible comparaison à l’approche de la présidentielle de 2012. Les mêmes querelles et le même ballet se sont produits entre Olivier Faure, actuel secrétaire du PS et d’anciens ministres de la Mitterrandie qui ont fait savoir dans un communiqué sentencieux qu’ils n’appréciaient pas que les socialistes ne soignent pas plus que ça la mémoire de l’exploit. Du siècle dernier, le député a la barbe du « Parti des instituteurs », mais celle-ci est taillée au poil d’aujourd’hui. Le jeune Boris, né à Beyrouth, allait allégrement vers ses six printemps à l’époque. « Je me souviens de m’être retrouvé sur les épaules de mon père et que l’on distribuait des roses autour de moi. »  L’épopée est à conserver pieusement dans le bel album de famille doré sur tranche, mais l’époque socialiste, elle, ne s’est pas remise de l’effondrement de terrain de 2017 : «  En 81, la gauche sortait de 23 ans d’opposition, ses divisions d’alors étaient, me semble-t-il, bien plus profondes que ce qu’elles sont aujourd’hui, et le sens de la nuance selon Albert Camus n’était pas vraiment au rendez-vous. Mais 2017 est une catastrophe dans le sens que deux générations politiques ont disparu d’un coup, celle qui avait connu les années 1980-90 et 2012 au pouvoir et celle qui, la cinquantaine venue, pouvait prétendre leur succéder. »

Son livre parle très peu de lui, de ses expériences de terrain, de ses passages dans la haute administration et dans « la grande lessiveuse » de l’Élysée. Pas un mot sur son condisciple de l’ENA, Emmanuel Macron, ou leurs affrontements de coulisse à l’Élysée dans cet autre étrange et hollandais quinquennat. Encore moins sur son travail de parlementaire. Percent du texte un peu trop scolaire, quelques bulles de sa « circo » où toutes les semaines, il voit surgir dans sa permanence ou sur les marchés de Saint-Céré et de Rion-des-Landes, « des ombres à la Daniel Blake [le héros cinquantenaire du film de Ken Loach], cassées par les inégalités sociales et le chômage».

« J’ai aimé ma fonction de sous-préfet, on cherchait des solutions, convient-il. Mais ce que j’ai le plus adoré a été mon poste de directeur des services auprès d’Arnaud Montebourg entre 2008 et 2012 ». Il décrit d’ailleurs cette parenthèse enchantée dans son livre : « J’en ai été le témoin enthousiaste au Conseil départemental de Saône-et-Loire alors présidé par Arnaud Montebourg et dont j’étais le directeur général. Je me souviens de ce grand acte de confiance, de cet exercice inédit de transparence : des élus confiant à un jury citoyen tiré au sort le soin de vérifier que la hausse des impôts, rendue inéluctable par l’étranglement financier des départements par l’État, était bien exclusivement consacrée à la prise en charge de la dépendance. Le travail sérieux, méticuleux et exigeant de ces simples électeurs forçait l’admiration et la démocratie en est incontestablement sortie grandie. J’ai vu aussi la ferveur citoyenne dans la tournée gigantesque de réunions publiques que nous avions organisée. »

Je trouve que les sociologues tournent un peu en rond dans le monde en train de se faire et que pour se nourrir intellectuellement, les politiques devraient aussi se familiariser avec les sciences dures et leurs enjeux multiples, comme l’a révélé la pandémie

Alors qu’un virus malin et souverain des horloges s’échine à modifier le monde tel qu’il est, quelle va être l’offre des socialistes en 2022 ? Un Esprit de résistance ouvre des pistes qui restent néanmoins à sérieusement étayer et tracer. Dans l’attraction de son ami, l’historien et président de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), Christophe Prochasson, connu à l’Élysée, le fils de Pierre Vallaud, historien gargantuesque et éditeur, ne rechigne pas à se coltiner rencontres avec des intellectuels et lectures un peu trapues. « Mais je trouve que les sociologues ont leurs limites et tournent un peu en rond, face au monde qui se fait, claque-t-il. Intellectuellement, les politiques, et la pandémie l’a démontré, devaient aussi se familiariser beaucoup plus avec les sciences dures, leurs défis et leurs enjeux. »  La fonction de député et de porte-parole le fait aussi réfléchir : « On dispose de beaucoup d’outils de communication, mais comment s’adresser aux gens ? »  En attendant de convaincre, c’est lui aussi qui coordonne le « projet » du Parti socialiste, www.rdv2022.fr. Comme il le fit pour François Hollande supposé se représenter. Un peu tout seul à calfater la vieille maison : « C’est un travail d’auditions de syndicalistes, associations et ONG, élus locaux et chercheurs qui nous permet de densifier et de prendre en compte toutes les facettes d’un sujet »,  rappelle-t-il. Le PS a déjà engrangé ses propositions sur l’éducation, la justice environnementale, la santé et l’emploi. Il a apprécié des échanges avec son collègue Dominique Potier sur les écarts de rémunération, et les notes pour la Fondation Jean Jaurès de l’économiste jésuite Gaël Giraud. Optimisme à tout crin dans un monde de brutes :  le thème de la, « ou plutôt des  fraternités » rectifie-t-il, clôturera en juillet, le cycle des réflexions.

Un Esprit de résistance, Boris Vallaud, Flammarion, 144 p., 12€. Paru 5 mai 2021.


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