Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Politique

Jérémie Peltier, à la fête des idées

Publié le 23 septembre 2021 par

#EDITOR. Les éditeurs ne parlent pas beaucoup. Sauf ici. Le directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès, ancien éducateur sportif, est aussi essayiste et éditeur d’essais.

© Jérémie Peltier, Paris, juin 2021 par Olivier Roller.

C’est juin, comme un air de vacances. Il a eu envie de faire notre entretien sur la terrasse du photographe, qui domine le cinémascope parisien. Un moment suspendu, bon à prendre. Il grille ses clopes, et scrute les lignes mouvantes de la grande ville comme un Indien un peu perdu, qui reconstituerait son itinéraire depuis son arrivée par la gare Montparnasse. Stagiaire à la Fondation Jean-Jaurès en 2012, il est depuis 2017 son stratégique directeur des études. Une arrivée de météore, dans l’attraction de Gilles Finchelstein à la double casquette, indéboulonnable directeur général depuis vingt ans de ce think tank proche du PS, et virtuose de l’infiltration d’État comme on sait si bien la pratiquer à Havas. Jérémie Peltier (1991) sait que les lazzis lui font comme des petits couteaux dans le dos. Mais le jeune homme laisse faire. «Vous savez pourquoi les Italiens vont gagner la coupe ? Parce qu’ils ont le génie de l’équipe », nous pronostiquait-il à la veille de la finale de l’UEFA. Il a des manières d’oracle un peu mystérieux mais cool. Son essai futé, précis, et toujours sur le qui-vive de l’étonnement, qu’il publie en octobre lui ressemble : La Fête est finie ? se demande-t-il, aimantant un point d’interrogation de thésard à l’affirmation en fer de la chanson d’Orelsan. C’est bien sur un faux suspense. Divulgâchons, divulgâchons, la fête est finie. Pour Jérémie Peltier, en effet, elle l’est même depuis un certain temps. Après la pandémie, certains attendaient le grand Reboot, la méga-bamboche sociétale au sortir des lofts déconfinés. La société repartirait comme une fusée. L’avenir serait électrique. Il n’en est rien. Ni boom ni baby boom. Tousser fait sursauter la foule. Le virus a le dos large.

C’est une grosse fatigue française qui s’accumule depuis des années, diagnostique Peltier. Personne ne s’est immolé parce que les discothèques étaient fermées. « La population française s’est accoutumée à la disparition de la fête depuis fort longtemps », souligne-t-il. Il n’en aurait pas été de même si l’on avait verrouillé Amazon, suspendu Netflix, cadenassé les centres commerciaux de bricolage. Il y a aussi beaucoup de Philippe Muray (feu sur l’aliénation d’homo festivus), et cette référence détone, chez ce Sarthois des zones rurales. Sa thèse : la fête est débranchée car la mentalité de l’époque est à l’hyper-fête permanente qui la recouvre de ses stroboscopes gigantesques, de sa tyrannie instagrammatique et de ses smiley obligatoires sans affect racinaire. La France s’ennuie dans des années folles obligatoires. L’anthropologue des moments légers collecte ainsi petits cailloux blancs et indices statistiques pour décrire un moment français particulièrement dépressif et renfermé. Qu’est ce que la vraie fête pour lui ? « Je veux parler d’un moment « séparé du reste », je veux parler de la joie, de la légèreté, de la spontanéité, de l’absence de sérieux et de l’art de s’amuser ensemble le temps d’une soirée ou d’un week-end.» Cet instant-là s’est évaporé, or son absence est comme l’amputation d’un membre dont le fantôme vient vous hanter douloureusement. En septembre 2020, rappelle-t-il, 74% des Français indiquaient que, dans leur vie, ils s’inspiraient de plus en plus des valeurs du passé et 68% estimaient que c’était mieux avant.

Dans sa conclusion, Jérémie Peltier égrène ses pistes qui là encore risquent fort de le faire enterrer vivant sous la chaux vive des critiques et de surchauffer les émoticônes courroucés des comptes Twitter : Il est peut être temps de moins s’exprimer. Il est peut être temps de remettre des cloisons entre espaces publics et intimes, entre «espaces sérieux » et « espaces de relâchement ». Il est peut être temps également de militer pour le retour à la «pudeur»… Une ambition de progressiste à l’os.

Les jeunes auteurs que j’édite me semblent lucides, travailleurs et sympas. Ils ont le pouvoir rare en ce moment de chercher le débat.

Lui vient d’Écommoy, à une vingtaine de kilomètres au sud-est du Mans, un peu plus de quatre mille personnes en lisière des grandes forêts de chênes de Bercé et du site des Pierres tournantes qui font la légende locale. Le maire aujourd’hui est maître de conférences, succédant, signe des temps, à une noria très stable de notaire, véto et administrateur colonial. Il ne craint pas d’user d’expressions comme « J’ai vécu dans un environnement sain d’esprit et de valeurs ». Il y a passé toute son enfance, été éducateur sportif et entraineur de foot du club amateur. ll rêvait d’être Romain Gary, puis finalement s’est mis à beaucoup lire, des romans et de plus en plus, des documents et des essais. Le moment le plus heureux pour l’instant de son existence a été la classe prépa au Mans : « Tous les jours c’était comme un shoot d’intelligence, j’ai adoré cette vie dans la petite France des classes moyennes.» Mais il a quand même pris le train. Et le train était en marche. En 2012, il se retrouve dans les effets du tourbillon présidentiel. Le président « ordinaire» François Hollande est élu, et le premier jour du stagiaire de la Fondation Jean-Jaurès coïncide avec celui de l’élu socialiste à l’Élysée. Il a le « sentiment d’être dans le jeu».

Mais c’est le 13 novembre 2015 pour lui qui a provoqué la cassure. « Ce que je pense, c’est que nous avons perdu l’insouciance, et que tout cela nous a littéralement fait péter les plombs. En s’attaquant violemment à la France, les terroristes nous ont définitivement abattus. Le trauma, quand bien même, il n’est pas perceptible ou visible à l’œil nu, est toujours là», écrit-il sans crier gare au milieu de son livre en teintes crépusculaires. Depuis, Jérémie Peltier tente de recoller les morceaux. Moins par la doctrine que par l’observation des changements de mentalité et de société. En 2019, il a produit avec Salomé Berlioux, autrice des Invisibles de la République et présidente de l’association Chemins d’avenirs, et l’inévitable Jérôme Fourquet, directeur du département opinion à l’IFOP, une grande étude sur le ressenti et les difficultés des 17-23 ans qui vivent dans les territoires ruraux. Et son essai, en apparence léger, est dans la continuité de ce qu’il travaille depuis ce quinquennat à la FJJ, à savoir «l’obsolescence des relations sociales» et une France qui s’en fout.

Aux éditions de l’Aube, à côté de la collection de la FJJ, Jérémie Peltier dirige la sienne, intitulée Suspension. Comme si lui, en premier lieu, éprouvait le besoin de prendre le temps de réfléchir et d’organiser sa propre teuf des idées. Il fait venir une petite équipe de jeunes auteurs pas encore au mercato, mais qui pourraient bien y venir. Raphaël Llorca et son concept du Neutre en politique. Alexandra Profizi et l’ironie. Eva Bester et la mélancolie. Smaïn Laacher et l’obésité. Nicolas Goarant en quête de sommeil. Laurent-David Samama optimisant la défaite. «Les jeunes auteurs que j’édite me semblent lucides, travailleurs et sympas. Ils ont le pouvoir rare en ce moment de chercher le débat. C’est bon pour l’esprit», explique l’entraineur éditorial. De l’édition comme une surface de réparation.

On était censé changer des choses / Depuis quand les choses nous ont changés?

La Fête est finie ?, Jérémie Peltier, L’Observatoire, 160 p., 16 €. Paru 6 octobre 2021.

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