Influences (n. fem. pluriel)
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  3. Action exercée sur quelque chose.

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Freud, ce grand inconscient de l’histoire

Publié le 27 janvier 2022 par

L’idée : Enraciner la psychanalyse dans l’histoire rénoverait son regard et élargirait ses horizons sur les pathologies contemporaines, selon l’historien et essayiste Hervé Mazurel.

Hervé Mazurel, historien des affects et des imaginaires. ©La Découverte

L’inconscient, ou l’oubli de l’histoire, Hervé Mazurel, La Découverte, 592 p., 25 €. Paru 2 septembre 2021.

La psychanalyse a son impensé. Et même, peut-être, son refoulé. C’est ce qui ressort du nouvel essai de l’historien Hervé Mazurel, L’inconscient, ou l’oubli de l’histoire. Étayons : En articulant la théorie de l’inconscient, Sigmund Freud a opéré une révolution cognitive à l’aube du XXe siècle, battant en brèche l’idée d’un sujet à la racine de ses actes. Mais ce renversement – que le psychanalyste viennois n’a pas hésité à qualifier de troisième blessure narcissique de l’humanité, après la copernicienne (notre terre n’est pas centre de l’univers) puis la darwinienne (l’homme est un animal comme les autres) – se serait payé d’une dénégation de temporalité, soutient Hervé Mazurel (maître de conférences à l’Université de Bourgogne et collaborateur de la revue Sensibilités) dans son dernier ouvrage.

À en croire le père de la psychanalyse, le complexe d’Œdipe concernerait autant le moujik du XVIe siècle qu’une cadre de l’actuelle Silicon Valley. Paysans, artistes et traders rêveraient selon les mêmes codes. Bref, l’inconscient serait atemporel. Que ce soit à travers les âges, les territoires ou les classes sociales. Comme tissé d’éternité. Hervé Mazurel, historien des affects et des imaginaires qui avait déjà exploré l’historicité de la psyché à travers l’étude d’un « enfant sauvage » avec Kaspar l’obscur (La Découverte, 2020), dénonce dans ce postulat, empreint du « biologisme » de l’époque freudienne, une grosse erreur. Loin d’être statique, la « vie de l’inconscient » ressemblerait à « un continent à la dérive » dont la trajectoire serait influencée par le tissu socio-historique des grands événements, comme des lents glissements. Ambitieuse, cette thèse étayée au fil de 600 pages se propose de « dévoiler, sous le masque de l’invariant, le frémissement d’une histoire jusqu’alors insoupçonnée ». La méthode Mazurel ? Passer au tamis critique d’un riche corpus d’historiens, sociologues et freudiens non orthodoxes, l’anhistoricité supposée d’un chapelet de concepts clés. Non pas une énième attaque à boulets rouges contre le maître viennois qui rejetterait en bloc son héritage, mais plutôt un séduisant tour d’équilibriste – entre fidélité théorique et réfutation en règle – pour soumettre patiemment, pas à pas, l’immuabilité prétendue de l’inconscient à l’épreuve de l’horloge.

Ouvrir le vaste chantier de  » l’histoire des profondeurs « 

Ladite triangulation œdipienne, par exemple. Contre son universalisme, l’auteur mobilise les analyses du psychanalyste Michel Tort. Il pointe ainsi leur pertinence dans le cadre civilisationnel de l’avènement, en Occident, de la famille nucléaire dominée par le père. Et interroge sa « performativité », à l’heure où la lutte pour l’égalité des sexes ébranle le modèle patriarcal d’antan. Plus loin, c’est l’invariance de la pulsion et de ses mécaniques de répression qui est remise en question. Comment supposer que la vague puritaine du XVIIe siècle, véritable couperet des plaisirs, n’ait pas ébranlé l’équilibre psychique d’alors ? Quid de la libération sexuelle des années 1970 ? De la récente démocratisation de pratiques érotiques autrefois marquée du sceau du péché, ou reléguées au rang de pathologies par la clinique psychiatrique ? Chaque frémissement des seuils de tolérance, chaque nouvelle répartition entre l’autorisé et l’interdit impacte l’économie libidinale, suggère Hervé Mazurel.

Sont également abordés par sections thématiques, les traumatismes de guerre, l’herméneutique des rêves, et la perception des violences paroxystiques comme autant de champs offrant de fructueuses jonctions entre l’approche historique, et psychanalytique. Avec, à l’appui, plusieurs pionniers des études transversales. Norbert Élias, surtout. Mais aussi Deleuze, Foucault. Et aussi – de manière plus surprenante, peut-être -, plusieurs auteurs oubliés s’étant, eux aussi, aventurés vers un rapprochement entre les sciences humaines et celles de la psyché, comme l’ethnopsychiatrie Georges Devereux ou l’anthropologue Roger Bastide.

Convaincu de la fécondité de cette croisée des savoirs, Hervé Mazurel appelle de ses vœux à renouveler le dialogue entre histoire et psychanalyse en lançant, en conclusion d’ouvrage, le chantier d’une « histoire des profondeurs ». Soit, notamment, l’analyse de l’évolution des rouages de censure et des seuils de tolérance qui permettraient de traquer sur le long court « les métamorphoses et mues imperceptibles » de la psyché. Car, affirme sans détour l’auteur, « il a fallu des siècles d’histoire nocturne pour façonner les inconscients qui sont les nôtres ». Cette nouvelle piste épistémologique, par-delà son évident intérêt scientifique, pourrait aussi extirper la psychanalyse de sa torpeur conservatrice. En posant l’anhistoricité de l’inconscient comme un intouchable, la discipline s’est interdite de penser de nouvelles pathologies comme le burn-out ou l’éco-anxiété, ou le renouvellement de son regard sur les pratiques et identités sexuelles. Lequel regard est souvent jugé hétéronormé et andro-centriste par les détracteurs de Freud – gender studies en première ligne. À une « histoire des profondeurs » modernisatrice, donc, d’offrir un cadre de pensée permettant – enfin ? – de distinguer « des névroses de genre, de génération, de classe ». Et de renouveler l’intérêt autour d’une discipline sur le déclin depuis les années 1980 car recroquevillée sur elle-même, faute de s’être reconnue prise dans les rets de l’histoire.

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