Frédérique Matonti : les réacs et la gauche régressive
Publié le 7 février 2022 par Rédaction LI
#LE CAFÉ BOUILLU. Un essai affligeant sur les raisons d’une gauche politique et intellectuelle au plus bas.

En cette période de précampagne, où la gauche Dorian Gray se perd dans une infinité de miroirs de poche, il n’était pas inutile de faire le point de sa dégradation et même de sa pulvérisation idéologique. « Pourquoi sommes-nous devenus réacs ? » s’interroge Frédérique Matonti. Enseignante en science politique, essayiste (notamment Le Genre présidentiel en 2017), elle examine d’essor de l’antiracisme en polémique sur le voile, de mise en chiens de faïence des classes populaires et des minorités au procès fait à Mai 68, la lente montée depuis les années 1980, puis l’avènement culturel des idées conservatrices dans la France du XXIe siècle.
Que nous est-il donc arrivé ? Thèse Matonti : La pensée critique, la vraie, aurait disparu de l’université. Tout cela parce que l’on rétrécit les postes, que l’on assèche le biotope de la gauche, et que l’on trucide à la chaîne les héritiers et les héritières de Pierre Bourdieu. La droite et l’extrême droite, elles, se seraient contentées d’attendre que les fruits de la gauche universitaire s’écrasent tout blets ? Toutes ces années, leurs composantes ont travaillé à penser, à produire, à lire et recommander des textes, à construire un underground de revues et de petites maisons d’édition, de sites, de clubs et d’influenceurs Youtube, puis d’être les nouvelles coqueluches des chaînes d’info. Mais Frédérique Matonti, membre scientifique du subclaquant (et c’est vraiment navrant) think tank du Parti communiste, la Fondation Gabriel-Péri, elle, préfère cibler une revue. Ainsi Le Débat, revue de Pierre Nora, aurait instillé à elle toute seule la fameuse peste réactionnaire. Les chauves-souris Marcel Gauchet et Alain Finkielkrault auraient vampirisé les belles âmes. L’influence écrasante du Débat repassera qui a dû interrompre sa parution en 2020, faute de lecteurs en nombre conséquent. Les intellectuels de marché, cette « nébuleuse » autour de la Fondation Saint-Simon, auraient aussi accéléré le désastre. Dans une analyse malaxant les truismes et les clichés, Frédérique Matonti alerte en fin de course sur la concentration des mastodontes de l’édition conçus en grands diffuseurs d’idées toxiques – elle qui publie en idiote utile si l’on suit son raisonnement, un essai chez Fayard, une marque du groupe Hachette, après avoir été éditée par La Découverte, propriété du groupe Bolloré depuis 2019 à travers Editis, aurait pu s’appuyer sur le tissu très actif et alternatif des petites maisons d’édition indépendantes, ces Amap de l’intelligence qui ne demandent qu’à être soutenues. Elle aurait eu au moins un lecteur professionnel pour lui conseiller de réécrire son ouvrage. Dans le pauvre marc de ce jus de chaussette théorique, on a la confirmation d’intellectuels autocentrés et du triste effacement d’une pensée de gauche prête à l’optimisme et à la curiosité de combat. Ce travail très paresseux sur l’histoire des idées n’est pas du tout réactionnaire, mais il est d’une régression affligeante.
Comment sommes-nous devenus réacs ?, Frédérique Matonti, Fayard, 204 p., 18 €. Paru 10 novembre 2021.