Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Culture

Chevallier Arthur

Publié le 24 février 2022 par

Les éditeurs ne parlent presque jamais d’eux, sauf ici. Arthur Chevallier est l’un des hussards de Passés composés (Humensis), et invite l’histoire à la grande table des débats publics.

©Arthur Chevallier, éditeur de Passés Composés et commissaire de l’exposition Napoléon, Paris, mai 2021 par Olivier Roller/Les Influences

#EDITOR

Napoléon et son héritage reconnu (et ses petits secrets cachés au fond du jardin français), les statues que l’on déboulonne, le premier élu noir de France, le concept mal assimilé d’assimilation, les aventures de la laïcité, Surcouf l’intrépide corsaire ou le négrier embourgeoisé mais encore, une histoire de la pilule, un biopic de Serge Gainsbourg en dandy ou la saga du viking Harald et sa dent bleue… Récits épiques et documents, BD, essais. Tout est permis dans Passés composés, la filiale histoire du groupe Humensis. Dans ses rangs depuis 2020, Arthur Chevallier (né en 1990), peu à peu, impose son point de vue sur le champ de bataille éditorial, oû uhlans du marketing, fantassins de l’université et maréchaux en cuir bouilli se disputent un marché très convoité. L’histoire est intéressante et pleine de panache lorsqu’elle bouge encore. Il l’a même théorisé dans l’une de ses chroniques du Point, intitulée Éloge des historiens : « L’histoire est un art. Quand ils écrivent, les historiens, au même titre que n’importe quel écrivain, créent. Leur métier ne consiste pas à retranscrire des informations découvertes dans une bibliothèque, mais à rédiger des phrases, à imaginer une forme cohérente à la fois esthétiquement et intellectuellement, un livre.» Il aime parler de l’édition comme outil de médiation, de plaisir et d’excellence narrative.

Ce jour-là, lorsqu’Arthur Chevallier déboule au studio photo des Influences, Olivier Roller soupire : « Encore un trentenaire. Ils se ressemblent tous, la petite barbe bien soignée, une silhouette slim qui fait attention et boit de l’eau. Qu’est ce que je vais en tirer ?» Et on ajoutera, un goût pour le self contrôle. Après la séance photo toujours frontale, presque animale avec ce portraitiste qui explore l’étincelle, et notre entretien, il nous enverra un courriel de remerciement pour cette « véritable expérience» sur soi. En fait-il des tonnes, ou bien serait-ce un Fabrice stendhalien mais lucide et ayant le talent de faire miel de tout ? Il a écrit sur le courage, et aussi réalisé une anthologie des meilleurs textes sur les chats. Lui même a été un chat de bibliothèque classique. Son premier sabre fut un coupe-papier : Tolstoï, Proust, Dostoïevski… Il ressort de cette bibliothèque-là depuis toujours semble-t-il. « Glorieusement éliminé» de l’École normale supérieure, il a trouvé consolation et pris refuge dans l’édition. Stagiaire (vrai stagiaire) à la Revue des deux mondes, dirigée alors par Michel Crépu, il trouve sa place rapidement chez Grasset (groupe Hachette), auprès de Charles Dantzig. La rue des Saints-pères est pour lui comme le premier jour, et même «un conte de fées». Lui qui ne connaît pas grand chose au métier, à son économie et sa mentalité, s’y aguerrit, rédige des notes de lecture, se bat avec la copie, aligne des anthologies, enlumine des quatrième de couverture, compte les points entre réassorts et retours. Mais la World company le voit déjà filer. Il se retrouve maréchal, à l’âge de 23 ans, aux éditions du Cerf, sous la houlette nouvelle de Jean-François Colosimo. La maison, fondée en 1828, a pour actionnaire les voisins d’à-côté, les dominicains du couvent Saint-Jacques, dans le 13e arrondissement. « C’est une maison quasi-centenaire, l’institution nous dépasse », souffle-t-il. En 2013, le Cerf est également en crise, et Chevallier Arthur découvre l’une des périodes les plus intenses et parfois les plus dures d’une maison d’édition. Il construit ici ses premiers livres et sa pépinière de jeunes auteurs garés tout à droite ou à droite de la gauche, des hussards sous la bannière du souverainisme à cinquante nuances, Alexandre Devecchio, Gaël Brustier, Gérald Andrieu, Raphaël Doan, ou encore Mathieu Bock-Côté… Juste le pied à l’étrier, puisque depuis ils se sont tous ébroués du Cerf, suivant les lois du marché ou de leur bonne fortune personnelle. « Ça été une aventure humainement forte, j’y ai grandi », résume-t-il. Grandir ? Il cingle : « Que ce soit « Charles » ou « Jean-François », ils m’ont préservé, relativement, du cynisme assez fréquent dans l’édition. La question commerciale ne les empêche pas, eux, de faire de vrais livres.» Arthur Chevallier a fini par quitter la rue des Tanneries, « c’est la rupture la plus difficile que j’ai connu pour l’instant.» À peine arrivé dans le groupe Humensis qu’il se voit confiné comme tout le monde. L’année en visio et distance sociale ne l’empêche pas d’amorcer son programme, à raison d’une quinzaine d’ouvrages par an.

Oui, la connaissance est un métier; la littérature est un art; et le tout implique des efforts

Année faste et baroque : le nouvel éditeur est également bombardé co-commissaire de l’exposition RMN-Grand Palais-La Villette consacrée à Napoléon. En 2018, il avait publié Napoléon sans Bonaparte au Cerf. Entre l’essai (le bonapartisme serait un bullshit) et le récit qui embarque avec sa galerie de portraits, les vies inconnues de l’empereur et la vitalité s’extirpant du tombeau. Son dernier livre, Le Goût de Napoléon, a été publié en 2019 aux éditions du Mercure de France et fonctionne comme un collage de textes, ceux de proches, de témoins, de romanciers et d’intellectuels aussi, qui auront forgé le mythe napoléonien comme l’intéressé le souhaitait. Napoléon est sont totem qu’il aime sculpter et nuancer avec les lumières de la raison. Il estime qu’il a sauvé en 1799 et prolongé la révolution. Moins boucher nationaliste que militariste, dictateur relatif et loin d’être solitaire, mais aussi réhabilitateur de l’esclavage, théoricien de l’infériorité juridique de la femme dans un Code civil dont cependant 45% demeure inchangé. L’événement culturel, de mai à décembre 2021, aura été l’occasion d’une grande contextualisation du bonapartisme, et d’un succès public confirmé. Mais l’air du temps est facilement inflammable. L’historien Thierry Lentz, président de la Fondation Napoléon, a vu ainsi en juin 2020, une conférence annulée par l’école de commerce Audencia qui l’avait invité, la direction ne souhaitant pas « valoriser l’héritage napoléonien en cette période ». Comprendre en cette période wokiste, innervée par l’indignation de tout et qui vitrifie toute contestation. À remuer les exemples sur cette nouvelle attitude plus militante qu’intellectuelle, taisant et même biffant d’un trait ce qui serait considéré comme moralement inacceptable, on sent sa colère poindre et même remonter. « Oui, la connaissance est un métier ; la littérature est un art ; et le tout implique des efforts. Lesquels justifient un prestige », écrivait-il dans son Éloge des historiens. Et puis encore : « L’effondrement de la connaissance a mené à cette chose étrange, désolante et décourageante : les opinions valent désormais réflexion. Or s’indigner ne signifie pas exister ; exprimer ne signifie pas penser ; dire ne signifie pas vivre ». Mais le flegme a ses limites. Il appuie sur ses molaires : « La politisation me dérange moins que la stupidité et l’ignorance. Je vois des bassesses partout, c’est peut être la température de l’époque. Le cynisme me dégoûte, tous ces abandons intellectuels réveillent et généralisent l’esprit de mesquinerie ». Arthur Chevallier, lui, défend l’idée que même dans nos cavalcades tête baissée bride abattue, il faut toujours savoir regarder en arrière.

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