Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Politique

Conservatisme, populisme, progressisme : quand les savoirs progressent

Publié le 1 mars 2022 par

L’Entretien : l’historien Olivier Dard qui est l’un des architectes d’un ensemble de trois dictionnaires politiques (Le Cerf), décrit le travail collectif qui aura réuni plus d’une centaine de contributeurs aussi variée que le sens des concepts décortiqués.

Le progressisme pèse 998 grammes. Le dernier opus d’un triptyque intellectuellement ambitieux vient d’être publié : Le Dictionnaire du progressisme clôt un vaste chantier de défrichage de concepts politiques. Entamés par l’analyse du conservatisme, poursuivis par celle du populisme et conclus par le progressisme, les trois dictionnaires établis sous la direction de Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, constituent une œuvre majestueuse de plus de trois milles pages. Le lecteur, qui n’est pas forcément obligé d’être en accord avec toutes les notions proposées, sera cependant contraint de les discuter tant les ouvrages sont riches, variés et passionnants. Les trois dictionnaires soulignent la complexité des notions qui peuvent évoluer selon les périodes. L’ensemble est précieux qui se propose de mettre en lumière le panorama de ces concepts, modifiés par l’esprit du temps et aussi, les inflexions d’une recherche forcément interdisciplinaire. Rencontre avec Olivier Dard.


Trois directeurs d’ouvrages pour trois dictionnaires : Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois. DR

Les Influences : Vous venez de diriger, avec Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, un dictionnaire de philosophie et d’histoire politiques en trois tomes : le conservatisme, le populisme et le progressisme. Comment avez-vous pensé ce projet au long cours ?

Olivier Dard : Je vais être très franc avec vous, nous n’avions pas au départ pensé à un projet au long cours ! Me concernant, tout est parti au début de 2017 d’une proposition de Frédéric Rouvillois de m’associer avec lui-même et Christophe Boutin à un projet de dictionnaire du conservatisme. Ce projet, Frédéric le portait depuis un bon moment mais il n’avait  jamais pu le concrétiser. Au tournant de 2016-2017, le contexte était porteur. La campagne des primaires de la droite avait mis en avant le mot conservatisme, qu’il soit revendiqué ou combattu. Cet écho dans le débat public a permis de convaincre les éditions du Cerf de l’intérêt éditorial d’un tel projet. Nous nous sommes mis au travail et Le Dictionnaire du conservatisme est sorti à l’automne 2017. Il a rencontré un certain écho médiatique et nous a surtout confortés dans l’idée d’aller plus loin. En effet, le conservatisme n’avait pas été le seul mot d’une campagne où Emmanuel Macron entendait balayer le clivage droites/gauches en axant son combat contre le conservatisme mais aussi contre le populisme réputé s’incarner dans Marine Le Pen. Pour sa part, le futur locataire de L’Élysée s’était présenté comme le héraut d’une « révolution » (le titre de son livre-programme) qui avait pour maître mot  le progressisme. Dans ces conditions, nous avons choisi de poursuivre dans la même veine en mettant successivement sur pied Le dictionnaire des populismes (2019) et celui du progressisme qui vient de sortir en librairie.

Macron et son mouvement s’inscrivent dans une tradition, celle de la « concentration républicaine » des radicaux sous la IIIe République mais aussi de la « 3e force » sous la IVe

Avec le choix de ces trois termes, s’agit-il d’affirmer que les clivages gauche et droite sont dépassés ou qu’il faille les envisager sous une autre forme ?

Je viens d’évoquer l’importance de ces trois termes dans le discours politico-médiatique actuel. Ils redécoupent en partie le champ politique, au moins du point de vue du  président  de la République, qui insiste sur sa propre identité progressiste pour mieux discréditer ses adversaires, renvoyés au populisme (LFI et RN) ou au conservatisme (LR, ou du moins la partie de LR qui n’a pas rallié LREM). Est-ce à dire que les clivages gauche et droite sont dépassés ? Pour Emmanuel Macron c’est une évidence qu’il ne cesse de proclamer car l’effondrement des anciens « partis de gouvernement » et leur difficulté à présenter des candidatures crédibles à l’occasion de l’élection présidentielle est pour lui la chance de se perpétuer. Jusqu’à ce jour, la stratégie fonctionne si on en juge par la situation de la candidate socialiste et les difficultés de celle de LR qui, comme parti, joue sans doute sa survie à l’occasion des scrutins présidentiels et législatifs de 2017. Est-ce pour autant la fin du clivage gauche/droite ? Dans l’introduction du Dictionnaire du progressisme, nous sommes très prudents à ce sujet. D’une part, parce que cette polarisation autour de La République en Marche et de son chef s’avère très efficace à l’occasion de la présidentielle mais l’a été beaucoup moins aux autres scrutins, élections européennes exceptées où le projet européiste macroniste a séduit au centre droit comme au centre gauche. Cet exemple est en soi fort instructif car le macronisme, souvent lu à l’aune de la nouveauté et de la disruption, pourrait être remis historiquement en perspective et faire songer à ce qu’on appelait la « concentration républicaine » (gouvernement des centres avec les radicaux et des alliancistes) sous la Troisième République, ou la « Troisième force » sous la IVe, qui a maintenu en lisière aussi bien le PCF que les gaullistes du Rassemblement du Peuple Français (RPF), même si certains ont fini, en ralliant le centre-droit de Pinay, par « aller à la soupe » pour reprendre une formule du général de Gaulle. Éclipsé un temps, le clivage droite/gauche est réapparu ensuite.  

Vous présentez ces dictionnaires comme un grand ensemble essai de clarification et contribution au débat. Aviez-vous l’impression que ces trois termes jusqu’alors étaient utilisés à mauvais escient ?

Diverses questions se posent. Prenons l’exemple de notre travail sur les populismes. Je laisse de côté les usages infamants de certains de ces termes, à commencer par le populisme, pathologisé par Emmanuel Macron qui l’assimile à une « lèpre » comme nous le rappelons dans l’introduction du Dictionnaire des populismes. Je préfère me concentrer sur la littérature scientifique et souligner que le populisme n’a fait que récemment l’objet d’un intérêt soutenu en France et en Europe occidentale, négligeant par exemple toute son importance en Amérique latine où il est, suite aux travaux de Gino Germani notamment, considéré comme un objet légitime des sciences sociales. La chose était connue des spécialistes français de ces terrains, mais ce fut l’un des objectifs du Dictionnaire des populismes de mettre en valeur cet exemple latino-américain où le populisme est à la fois mouvement et régime comme dans le cardénisme au Mexique, le gétulisme au Brésil ou le péronisme en Argentine. Nous avons dans ce but fait appel à des universitaires argentins, brésiliens et mexicains pour en traiter. Concernant le conservatisme et le progressisme la littérature scientifique disponible en France était réduite. Elle se limitait principalement pour le premier aux histoires des droites. J’ajouterai que le conservatisme était un terme peu usité en France depuis la fin du XIXe siècle (à la différence de pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne), donnant à penser qu’il n’existait pas, ou plus, depuis sa promotion par Chateaubriand. Nous avons, je crois, beaucoup nuancé ce prétendu constat d’absence et montré que l’absence du mot ne signifiait pas celle de la chose. Concernant enfin le progressisme, on soulignera aussi un état de carence même si, au plan historiographique on dispose de travaux sur les différentes incarnations du progressisme, des républicains progressistes de la fin du XIXe siècle aux compagnons de route du PCF, parmi les quels on compte des catholiques progressistes. Mais là encore, aucun effort de synthèse et de mise en perspective n’avait été entrepris pour faire figurer dans un même ouvrage les différentes nuances de ce progressisme depuis l’apparition du terme au début du XIXe siècle.

Le concept peut être traité très différemment si celui-ci est examiné par un historien, un juriste ou un philosophe

Le croisement et l’évolution des termes n’ont-t-ils pas posé à l’historien que vous êtes des problèmes de méthodes ?

Et comment ! Et ce d’autant que les historiens ne forment qu’une partie des contributeurs de ces volumes. À titre strictement personnel, il m’a fallu m’adapter, car le même objet, par exemple un auteur, peut être traité fort différemment si vous confiez la notice à un historien, un juriste ou un philosophe. Nous avons bien entendu veillé à l’équilibre des spécialités et confié des entrées à des spécialistes. Il n’en demeure pas moins que la relation  à l’histoire des idées politiques n’est pas la même selon les disciplines considérées et que le souci permanent d’une remise en contexte chère à l’historien n’est pas nécessairement la priorité des autres. Mais je pense que cette  démarche a été profitable pour le livre, qui se trouve enrichi par la diversité des approches

Vous semblez avoir laissé aux auteurs, une liberté pleine et entière. Des notices sont plus scientifiques alors que d’autres semblent davantage traduire une aspiration philosophique. Pourquoi ces choix ?

Vous avez raison, nous avons eu une politique d’auteurs. Chacun d’eux a été sollicité personnellement et nous avons discuté de vive voix ou par courrier pour nous entendre sur le principe de la notice, son intitulé précis et son articulation à l’objet traité comme à l’ensemble du livre. Chaque auteur a reçu, une fois qu’elle fut établie, la liste complète des entrées et les noms des contributeurs du volume. Il s’agissait pour chacun de prendre la mesure de la composition de l’équipe de rédacteurs (qui a évolué au fil des volumes) et d’éviter des doublons. Le trio éditorial a ensuite relu, l’un après l’autre, chacune des notices ce qui a occasionné de nouveau des échanges avec les auteurs à qui on a pu demander des précisions ou des reformulations. Mais leur liberté a été effectivement garantie en ce sens que non seulement nous n’avons pas voulu censurer leurs prises de positions, mais aussi que nous avons fait en sorte que leurs notices soit le plus personnalisées possible. Maintenant, et vous l’avez bien noté, si l’introduction est bien de la responsabilité du trio éditorial, et si l’ensemble du dictionnaire reflète à la fois les choix que ce dernier a effectués, la lecture offre la possibilité de découvrir des approches et des styles qui sont à chaque fois ceux de plus d’une centaine d’auteurs que nous remercions tout à la fois de leur confiance et de leur travail pour ce collectif.

Pour mieux comprendre la polysémie de ces concepts, le lecteur conçoit la lecture de ces dictionnaires comme une navigation

Les trois termes prennent des sens différents selon les périodes et les pays. Comment avez-vous abordé cette polysémie ?

Comme vous l’avez remarqué, certains termes se retrouvent dans les différents dictionnaires, et les croisements s’opèrent principalement entre le Dictionnaire du conservatisme et celui consacré au progressisme. Je noterai parmi ces termes, et cela ne vous a pas échappé, anarchisme et communisme bien sûr, mais aussi  catholicisme, démocratie, écologie, judaïsme, nation, patrie, populisme, progrès, révolution, transhumanisme… Ajoutons aussi les couples qui se dégagent d’un dictionnaire à l’autre : armée/antimilitarisme, anticommunisme/communisme, etc. Le résultat de cette énumération est de montrer à quel point un certain nombre de ces termes peuvent être mis en regard et intéresser ces trois doctrines politiques, en prenant bien la mesure de ce que le populisme, que nous avons d’ailleurs mis au pluriel, est plus plastique que les deux autres, dont l’opposition est à notre sens bien davantage structurante. Cette structuration se mesure à l’examen de l’itinéraire de certaines figures, qui peuvent passer de l’une à l’autre et donc se retrouver dans plusieurs dictionnaires, comme Lammenais, dont les idées ont irrigué aussi bien le conservatisme que le progressisme. Mais nous avons veillé à prendre la mesure des contextes d’énonciation de ces idées, qu’il s’agisse de la période ou des territoires considérés, pour éviter des raccourcis ou des amalgames faciles. De fait, si la France a été privilégiée, nous avons cherché tout au long de ces volumes à prendre la mesure de l’étranger, en donnant toute leur place à l’Europe et aux Amériques. Ce qui met donc le lecteur dans une posture comparatiste et permet même, le cas échéant, de réfléchir en termes de réseaux, circulations et transferts. Si on prend l’exemple pour les populismes de la figure de Laclau, qui est reçu aussi bien en Espagne (Podemos) que chez les Insoumis en France. Les index, auxquels nous sommes très attachés et dont l’établissement nous a pris beaucoup de temps,  permettent une navigation dans ces trois livres qui sont pour nous un instrument de travail et de réflexion

Quels mots clés vous semblent le mieux définir chacun des concepts ?

La question est redoutable car vous avez justement souligné que certains termes se retrouvaient dans plusieurs des dictionnaires ce qui illustre moins leur polysémie que le fait qu’ils sont autant d’enjeux et de débats dans cette triangulation. Je ne me déroberai pas à votre question et citerai pour le conservatisme : civilisation, enracinement, héritage, libertés, limite, nation, patrimoine, pessimisme, tradition, transmission. Concernant les populismes, antisystème, démocratie, élites, impôts, nation, oligarchie, peuple, référendum. Enfin, pour le progressisme : changement, émancipation, futur, homme nouveau, Lumières, métissage, progrès, raison, révolution, science, technique.

Finalement n’est-on pas toujours le conservateur, le progressiste ou le populiste de l’autre ?

Sans doute si on utilise ce terme comme adjectif… et sans oublier en plus les débats et polémiques politiques qui permettent de traiter de « conservateurs » ceux qui entendent par exemple défendre des « acquis sociaux » d’un État-Providence, combat de progressistes d’hier mais que ceux d’aujourd’hui trouvent daté, pour ne pas dire obsolète… À ce compte là, je répondrais oui à votre question. Mais comme vous nous avez bien lu, vous avez justement saisi que s’il existe des nuances de conservatisme, de populisme ou de progressisme, de même on trouve certaines porosités ou contradictions entre ces trois termes et leurs usages par des individus, des groupements ou des régimes. L’objet même de ces trois dictionnaires a été de souligner leurs singularité et partant de là, leurs différences de fond.


Olivier Dard, un ogre intellectuel

Olivier Dard. DR

C’est l’un de nos meilleurs spécialistes de l’histoire politique contemporaine. Professeur à Paris-Sorbonne (Paris IV) et directeur depuis 2018 du Labex Écrire une histoire nouvelle de l’Europe, Olivier Dard a publié des travaux et des ouvrages novateurs (et prolifiques) aussi bien sur l’extrême droite que sur les élites de la France dans les années 1930, le patronat, le capitalisme, l’américanisation, l’Europe et son passé colonial, les politiques d’aménagement du territoire, les itinéraires d’un Jacques Bainville, d’un Jacques Valois, d’un Jean Coutrot, d’un Bertrand de Jouvenel ou d’un Henri Queuille. Citons particulièrement dans sa bibliographie, Voyage au cœur de l’OAS (Perrin, 2011) et la bio de Charles Maurras (Armand Colin, 2013 ; réédition augmentée et mise à jour  en poche en 2019 chez Ekho, sous Le titre Charles Maurras. Le nationaliste intégral). Cette spécialité maurrassienne fut d’ailleurs l’objet d’une polémique en 2018. Sur commande du Haut Comité des commémorations nationale, il rédigea un article de trois pages remémorant Maurras mais que le ministère de la Culture s’empressa d’escamoter devant le tollé suscité par la célébration du romancier et figure politique antisémite. Les trois dictionnaires aujourd’hui publiés sont comme un reflet de son solide appétit d’ogre intellectuel. S.B

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