Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

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Secte Heaven’s Gate : le suicide collectif en queue de comète

Publié le 10 mars 2022 par

L’idée : Le romancier Quentin Bruet-Ferréol, avec son récit Dieu est un voleur qui marche dans la nuit (Bouquins) nous plonge dans une expérience de pensée en mentalité sectaire.


Par Rémi Sussan

Marshall Applewhite, le co-gourou de la secte de la comète Hale-Bopp. DR

Nombre d’entre vous s’en souviennent, sans doute. En mars 1997, dans le sillage de la comète Hale-Bopp, un groupe de 39 membres de la secte Heaven’s Gate, une secte ovni, se livrait à un étrange suicide collectif (un dernier repas terrestre composé d’une compote de pommes à la vodka et au phénobarbital, et pour deux d’entre-eux un sac plastique sur le visage) dans l’espoir de « se libérer de leur corps » et de rejoindre ainsi, le vaisseau spatial caché derrière l’astre errant. Pour écrire son roman, Dieu est un voleur qui marche dans la nuit ( Bouquins, 448 p., 20 €, janvier 2022),  Quentin Bruet-Ferréol  s’est très largement documenté, allant jusqu’à contacter d’anciens membres rescapés de la secte (car il y en a). Sa lecture nous amène à nous poser de nombreuses questions sur la nature de la croyance et de l’extrémisme religieux. Il ne s’agit pas pour autant d’un lourd pensum philosophique, mais bel et bien d’un roman haletant, qui se lit d’un trait.

Do entend des voix, Ti les interprète

Considérée comme la « première secte internet », à cause son usage précurseur du web, la secte est en effet bien plus âgée que la Toile. Son histoire débute en 1975, avec la première apparition publique de ses deux gourous, Marshall Applewhite et Bonnie Nettles, soit Do et Ti (pour utiliser les deux derniers des innombrables pseudonymes qu’ils se donnèrent). Étrange couple que forment ces deux là. Do entend des voix, Ti les interprète. Le message qu’ils élaborent est un apocalyptisme de type ovni, et ils préconisent l’adoption d’un ascétisme extrême qui vise à séparer radicalement l’esprit du corps (et qui aboutira, dans certains cas, à la castration pure et simple de certains de ces membres). Mais ce couple gourou ne correspond pas au stéréotype de ce genre de personnages, que l’on imagine plus souvent en fortes personnalités autoritaires. Do et Ti, doutent, se demandent parfois s’ils ne sont pas victimes d’hallucinations, d’erreurs d’interprétation. Dans ces moments-là, ce sont les disciples eux mêmes qui les convainquent de la validité de leur message. De la même manière, on ne retrouve pas dans Heaven’s Gate, le désir de maintenir les adeptes dans le giron de la secte, coûte que coûte. Ceux-ci ont le droit de s’en aller à tout moment, parfois même avec les encouragements des deux gourous. Il arrive parfois que Do donne au déserteur un peu d’argent pour qu’ils puisse se retourner une fois revenu dans « le monde ».

Autant d’attitudes qui rendraient le couple défait ( Do se retrouva seul lorsque Ti fut atteint par un cancer en 1985) presque sympathique. Et pourtant, avant même le suicide collectif, le groupe est hanté par une fascination pour la fin du monde, et pour la persécution de vrais croyants… Ils cultivent leur sympathie pour les adeptes de Waco, dont le destin finit dans un bain de sang après un conflit armé avec les autorités américaines. Se réfèrent à l’auto-élimination de masse du Temple Solaire. Et même, se fascinent pour les exactions de la secte japonaise AUM, qui pourtant opta elle pour le meurtre de masse en lieu et place du suicide de l’organisme sectaire. Les adeptes d’Heaven’s Gate étaient sûr qu’eux aussi disparaîtraient lors d’une lutte ultime contre les forces du mal. Problème, personne ne voulait les persécuter : trop calmes, trop polis, les nerds de Heaven’s Gate.

Au final, le livre révèle moins une manipulation d’esprit naïfs par deux personnes machiavéliques qu’une folie à plusieurs, un lent processus morbide où chacun joue son rôle. Une sorte de dialectique du « maître et de l’esclave » où le disciple peut parfois, contre toute intuition, « dominer » le maître et se révéler plus fanatique encore que lui. En combinant tension romanesque et énigme intellectuelle, le livre de Quentin Bruet-Ferréol se lit comme un polar, mais un polar métaphysique dont le coupable serait Dieu, ce voleur qui marche dans la nuit...

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