Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Politique

Michel Wieviorka en conseiller d’Emmanuel Macron

Publié le 10 mai 2022 par

L’idée : Le sociologue vient de publier un essai pour rendre plus heureux le président réélu dans l’exercice du pouvoir. Et nous, avec.


Alors Monsieur Macron, heureux ?

La campagne pour l’élection présidentielle de 2022 a été brève, et d’autant plus facile pour vous que la guerre en Ukraine ne pouvait qu’affaiblir vos concurrents. Vous voici donc à nouveau Président de la République pour cinq ans.

Monsieur le Président, j’ai trouvé, en fait, cette campagne bien médiocre, triste pour notre pays, et je n’ai aucune envie d’épiloguer. Je veux plutôt me projeter vers l’avenir.»

Ainsi commence le petit livre à l’adresse d’Emmanuel Macron, publié au lendemain même de la réélection de ce président. Michel Wieviorka se met le premier sur les rangs pour nourrir le (heureux/pas heureux ?) réélu de ses conseils, et alimenter le débat sur une éventuelle nouvelle gouvernance pour ce second mandat. Reset ? Rédemption ? Avec le pari d’un essai imprimé avant la manifestation de l’évènement du second tour, l’opuscule marque et dispute quelques items du quinquennat passé tels que la nation et la démocratie dans l’inquiétant clair-obscur macroniste, cinq années constatées, désolées et désolantes, de social « sans co-construction et médiations », et les crises de l’université et de la recherche à travers les polémiques sur le wokisme, l’islamo-gauchisme, ou encore les questions houleuses sur l’identité.

Ferez-vous désormais tout ce qui est en votre pouvoir pour renforcer la démocratie – chez nous, pas seulement à l’Est de l’Europe ?

Michel Wieviorka

Pour qui suit le travail de Michel Wieviorka, peu de surprises. L’essayiste s’interroge sur le déséquilibre évident de la théorie macronienne du «En même temps». Et en victime collatérale, la déréliction de la gauche. « Une question n’a cessé de me tarauder tout au long de votre premier mandat, et elle se pose plus que jamais : avez-vous tout fait, et, surtout, ferez-vous désormais tout ce qui est en votre pouvoir pour renforcer la démocratie – chez nous, pas seulement à l’Est de l’Europe ? », cingle l’auteur de prime abord. Ainsi, s’interroge-t-il sur les réponses macroniennes à la question Où s’arrête la liberté, où commence-t-elle? : « Je fais partie de ceux qui, peut-être parce qu’ils côtoient des « antivax » ou « anti-passe », ont refusé de les rejeter d’emblée et systématiquement dans le non-sens et l’irrationnel, même si nombre d’entre eux tournent au complotisme ou s’arrogent des compétences scientifiques et médicales qu’ils n’ont pas. Je note aussi qu’il arrive un moment où leurs positions ne se discutent pas, et deviennent de l’ordre de croyances chevillées au corps, ce qui rend le débat impossible. Et j’ai défendu sans coup férir, la vaccination. »

Globalement, le sociologue estime que Macron 1 s’est distingué, que ce soit pour les politiques migratoires, comme pour son approche des droits dans la lutte contre le terrorisme, ou encore les vexations séparatoires des anti-vax-passe, par un discours et une politique peu résistants au mouvement dextrogyre de la société française, « dont les catégories sont largement celles de l’extrême-droite». Mais aussi, égratigne Wieviorka, celles des souverainistes de gauche du Printemps républicain de feu Laurent Bouvet (qui ont soutenu le candidat Macron, et présentent dans son attraction, quelques candidats aux législatives).

Michel Wieviorka aborde également le chapitre du wokisme et de l’islamo-gauchisme, spectres agités par Frédérique Vidal, secrétaire d’État à l’Enseignement supérieur, et d’une liberté académique qui, dans son ensemble, se serait trouvé en péril durant Macron 1. On l’a lu avec un certain recul, car ce quinquennat fut aussi pour Michel Wieviorka, un petit enfer personnel : il fut lui-même férocement étrillé par la Cour des Comptes, et lâché par Frédérique Vidal pour sa gestion, y compris scientifique, jugée calamiteuse de la Fondation de la maison des sciences de l’homme (FMSH). Comme le décrivit Les Influences, il fut poussé à la démission en juillet 2020, et ne recueillit pas, c’est le moins que l’on puisse dire, le soutien des représentants de l’EHESS et du CNRS.

Il marque des points avec cette remarque : « La campagne « antiwoke » ne fait aucun effort pour prendre sérieusement connaissance du contenu des idées ou des approches qu’elle dénonce, et par exemple, disqualifie une fois pour toute le concept d’intersectionnalité, qui pourtant mérite examen, en tous cas quand il ne s’agit pas d’un mot que l’on brandit comme un étendard, en signe de ralliement politico-idéologique, sans non plus beaucoup approfondir ». Les broncas caricaturales de Frédérique Vidale et Jean-Michel Blanquer, avec de lamentables sorties, et une tout aussi lamentable journée, ou deux, à la Sorbonne, n’auront pas vraiment aidé à clarifier le débat, et même à y voir plus net dans les dangers supposés de ce courant de penser et de chercher. Mais on ne succombera pas plus à la vision très mièvre de Michel Wieviorka.

En dernier ressort de son essai sur une nouvelle façon de gouverner, le sociologue plaide auprès du prince pour sa chapelle. C’est un gimmick très partagé depuis une dizaine d’années, par les sociologues (de tous bords ) que de solliciter l’attention et l’influence de la décision publique. Lors du dernier quinquennat, la concurrence a été nourrie, comme l’a souligné l’explosive enquête sénatoriale sur l’influence des cabinets de conseil privés. Des spécialistes des neurosciences (Ens-Ulm) ont été également très sollicités lors de la gestion de la pandémie – et avec une utilité certaine pour ce qui concerne l’application collective de gestes barrière (masques et surtout le lavage des mains). Plus que les sciences sociales et saint Weber qui bardent largement la gauche politique depuis des années en une sorte de vulgate, c’est toute une culture scientifique et l’exercice d’une pensée complexe qui semblent avoir fait cruellement défaut aux élus. Reste de cet essai, le goût de la discussion qui manque dans les bouches et les selfies de l’époque.

Alors, monsieur le président Macron, heureux ?, Michel Wieviorka, Rue de Seine, 121 p., 9,90€. Paru 25 avril 2022.

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