Influences (n. fem. pluriel)
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  3. Action exercée sur quelque chose.

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Ultra-gauche : quand les sociologues basculent dans la croyance

Publié le 22 mai 2022 par

L’idée : Les crises récentes ont fait ressurgir dans les médias, sur les réseaux sociaux et chez les politiques le mythe d’une ultra gauche à mille visages et tentaculaire, prête à tout pour anéantir le capitalisme. Un essai et une revue tentent de déconstruire ce mythe, quitte à parfois utiliser la mauvaise foi du mystique, ou le biais cognitif de l’hallucination collective.


Spectres de l’ultra gauche. L’État, les Révolutions et nous, Michel Kokoreff, L’Œil d’or, 256 p. 20 €, parution mai 2022. Revue Socio n°16, Soulèvement sociaux. Destructions et expériences sensibles de la violence, Pauline Hachette et Romain Hüet (dir.), Fondation maison des sciences de l’homme, 258 p., 20 €, parution février 2022.

#GiletsJaunes #ultra-gauche

Le sociologue Michel Kokoreff propose une analyse des révoltes contemporaines en partant du mythe de l’expression forgée par les médias et les politiques : l’ultra gauche. Il voit dans cette utilisation récurrente du terme une fragilité du pouvoir. Les activistes de ce courant de l’ultra gauche, ou plutôt de ces courants, vont des anti-léninistes des années 1917-1920 aux « anarcho anti-syndicalistes » des années 1970. Le sociologue propose de voir comment a été et s’est fabriqué ce mythe, qu’il souhaite être à l’origine des prochaines révoltes. Les interprétations polymorphiques, alimentées par le mythe de la Commune de Paris – davantage que dans sa réalité –, et sont nées de l’échec des mouvements révolutionnaires – Russie, Allemagne, Espagne. Les différents groupes font reposer la responsabilité sur la trahison des dirigeants et la bureaucratisation des mouvements révolutionnaires qu’ils opposent à la spontanéité des masses.

Michel Kokoreff : une nouvelle avant-garde est en marche. DR

La lecture critique des événements se poursuit dans les années 1950– 1970 : lettristes, situationnistes, sociobarbares, maoïstes, etc – la liste n’est pas exhaustive – et trouve une pratique sociale plus large dans l’autonomie italienne. En France, l’alliage repose sur les pratiques insurrectionnelles communes de quelques maoïstes, souvent anciens de la Gauche prolétarienne et des libertaires dits anti-organisationnels. Eclipsée dans les années 1980, l’ultra gauche revient en force avec la revue Tiqqum, le livre l’Insurrection qui vient (La Fabrique) et le courant appeliste. Elle reprend, pour partie, les caractéristiques de l’autonomie des années 1970 comme une forme de « socialisme sauvage » sans forme d’organisation structurée. Ses modes d’action reposent sur le sabotage et le soulèvement. Ces pratiques ont alimenté involontairement la construction étatico-médiatique du mythe, régulièrement utilisé pour générer des peurs, avec les affaires de Tarnac, du quai de Valmy et des émeutes urbaines. Pour Kokoreff, ces éléments constituent autant de regroupements qui laissent envisager un autre futur, une nouvelle avant garde ou minorité éclairée. Mais cette vision ne serait-elle pas tout simplement conséquence d’une lecture grossissante de l’auteur, d’un phénomène qui demeure minoritaire ? Et le lecteur de se trouve là devant une sociologie qui bifurque vers la croyance et la foi du croisé. Ce que l’on retrouve de façon collective et hallucinée dans un autre ouvrage.

Dans sa dernière livraison, la revue Socio, elle, se penche longuement sur le mouvement des Gilets jaunes et les comportements dits violents de ces derniers. Le dossier est préfacée par Michel Wieviorka qui souligne que « [les participants] dévoilent quelque chose de la société, ils expriment des attentes, des désirs et des espoirs. La violence qui surgit éventuellement dans leur lutte n’est pas nécessairement déconnectée d’un sens. La violence fait sens […] L’émeute ici, mais aussi le mouvement des Gilets jaunes […] sont paradigmatiques. L’action avec eux n’est pas, ou pas seulement, dérèglement anomique d’une société, elle est aussi lourde de significations. » Reste à savoir quel peut être le sens réel de ses émeutes.

Les coordinateurs du numéro, Pauline Hachette et Romain Huët, proposent en introduction d’analyser les protestations sous un angle nouveau, prolongeant en cela leurs travaux respectifs, soit le livre de Romain Huët, Le vertige de l’émeute (PUF, 2019) et les études de Pauline Hachette sur la révolte dans la littérature. Ils expliquent que les mouvements sociaux et sociétaux depuis 2010, de la ZAD de Notre Dame des Landes aux Gilets jaunes, se caractérisent par un recours systématique à la dégradation de l’espace public qui serait en fait « un langage, dont le lexique et la grammaire sont compréhensibles pour qui accepte de la prendre au sérieux ». Suivent une dizaine de contributions sur les rapports entre le corps et l’émeute. L’expérience émeutière est ainsi analysée comme un sentiment de plénitude. Les Gilets jaunes à partir de décembre 2018 auraient changé le regard au monde de certains. Mais rien n’est quantifié. L’expérience de la violence aurait permis de vaincre la peur de la répression, à l’image du boxeur de CRS de la passerelle Senghor, qui comme David, aurait défendu sa dignité. Oubliant au passage de rappeler le passé dudit boxeur et ces dénégations ultérieures. La casse est un langage, cherchant à rendre à l’expression politique son intégralité. Soit. Les émeutes ne sont pas vraiment une nouveauté. Affirmer de façon aussi péremptoire que nous sommes dans le temps de l’émeute, c’est aller un peu vite en besogne. Et, nous semble-t-il, utiliser la sociologie comme un miroir grossissant aux mêmes effets que les réseaux sociaux et les chaines d’information continue.

Cette grille d’analyse voudrait faire surgir une spécificité du mouvement , alors que des processus similaires se sont produits pendant la Manif pour tous ou lors de la manifestation antisémite «Jour de colère » en janvier 2014. Le sens politique donné ne serait plus tout à fait le même…

Le suivi scientifique proposé des Gilets jaunes ne commence pas à ses origines, alors que plusieurs « actes » se sont déroulés et que le mouvement a changé de nature, de discours voire pour beaucoup de composition sociale. Cette surinterprétation demeure un problème central. Le mouvement des Gilets jaunes n’est vu qu’au prisme de l’émeute sociale, et plutôt ancrée à gauche alors que ce mouvement comportait une part nationale – voir nationaliste – centrale. Est-ce un hasard si plusieurs figures originelles de ce mouvement ont soutenu Zemmour lors de la dernière présidentielle ?  L’esquiver comme le fait l’une des contributions, au motif qu’il s’agit d’un argument issu d’une « rhétorique de classe » cherchant à « décrédibiliser » les Gilets jaunes, est un simple déni de réalité.

Pour conclure, j’emprunte une phrase, certainement apocryphe, de Victor Griffuelhes, le dirigeant syndicaliste de la CGT, qui répondait à propos de Georges Sorel et de la théorisation de la violence : « Je préfère les romans policiers ».

#Café-Bouillu
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