Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
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Guerre de Céline : « Il ne tenait pas vraiment à ce texte »

Publié le 26 mai 2022 par

L’Info : Il avait disparu durant 80 ans, réapparu le manuscrit vient d’être édité par Gallimard. Qui l’avait dérobé entre temps, et cela en valait-il la peine ? Les avis de l’avocat Emmanuel Pierrat, du philosophe Pierre André Taguieff et de l’essayiste Annick Duraffour.


Sis 4, rue Girardon, Paris XVIIIe. L’auteur de l’antisémite Bagatelles pour un massacre (1937) résida de 1941 à 1944, au cinquième étage, dans ce trois-pièces rustique et sans ostentation, avec sa nouvelle compagne, la danseuse Lucette Almansor, et son fidèle chat Bébert. L’endroit était une mini-république littéraire. À quelques mètres des Céline, au 25 rue Norvins, vivait Marcel Aymé – qui après-guerre aura tout le talent d’un passe-muraille pour échapper aux accusations d’intelligence avec la presse collabo. Mais il y avait aussi au 4e étage de l’immeuble célinien, un réseau de résistance, animé par Suzanne Gohin-Chamfleury, épouse de l’écrivain et parolier anarchiste, Robert Chamfleury alias Eugène Gohin… et soutien indéfectible de Céline ! L’écrivain communiste Roger Vailland, qui était aussi un voisin de la rue de Ravignan, sera un temps de ce réseau. Alors le collabo Destouches, on le zigouille ? On le kidnappe ? C’est envisagé, mais Il n’en sera rien. On ne touche pas à l’écrivain et auteur du Voyage au bout de la nuit.

Céline. Après-guerre, dans Un Château l’autre, il s’exclame : « Ils m’ont rien laissé… Pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit…»

Mais cela tourne vinaigre. Plus tard, il écrira des pages hallucinées sur les bombardements alliés et les destructions de Montmartre, dans Normance (1954). En 43, avec la chute de Stalingrad, il estimait déjà que c’était cuit et qu’il lui faudrait songer à déguerpir au plus vite. Dès avril 1944, il s’organise, se fait établir de faux papiers, vide ses comptes et compte son or. Lorsque survient la libération de Paris, l’écrivain prend la poudre d’escampette, et laisse beaucoup de choses dans l’appartement. Ces quelques mètres carrés, ouverts à tous les vents, vont faire l’objet de pillages. Ayant échappé à tout, Céline revenant rue Girardon, le constate : « Ils m’ont rien laissé… pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit… » (D’un château l’autre, 1957). Dans son crépusculaire Rigodon (1969), il geint encore : « On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me rende ! ». Il ne verra rien revenir. Pas plus que sa veuve.

Qui a donné les 5 000 feuillets de manuscrits et de correspondances au journaliste Jean-Pierre Thibaudat ? Mystère et boule de gomme à ce jour.

Lorsque Lucette Almanzor décide de partir à l’âge de 107 ans, en 2019, un événement se déclenche alors : l’avocat spécialiste du droit intellectuel, Emmanuel Pierrat, reçoit dans son cabinet du boulevard Raspail, un ancien journaliste de théâtre à Libération, Jean-Pierre Thibaudat. Dans de gros sacs, il présente à Maître Pierrat tout ébahi, ces milliers de feuillets manuscrits et de documents personnels inédits de Céline, plus la retranscription qu’il en a faite durant des années, dépositaire de l’incroyable magot. Qui les lui a donnés ? Mystère et boule de gomme à ce jour. Présenté par Thibaudat comme un « lecteur de Libération », celui-ci lui aurait remis les textes en 2008, à une seule condition : ne pas les donner du vivant de la veuve. Un homme de gauche ne saurait enrichir la veuve d’un écrivain aussi scélérat et controversé que Céline. L’avocat littéraire intercède auprès des ayants droit, notamment l’avocat François Gibault, qui prennent le tout, mais le prennent très mal aussi, en portant plainte contre le journaliste receleur : plainte classée sans suite.

« Les célinocrates l’accusent de vol, mais Jean-Pierre Thibaudat n’a rien volé du tout ! Il y a eu, au contraire, conservation puis restitution des textes. Le voleur de la rue Girardon, lui, était sans doute un résistant communiste. On peut noter qu’il aurait pu les détruire, il n’en a rien fait », s’avance le philosophe Pierre-André Taguieff, coauteur avec l’essayiste et spécialiste de l’antisémitisme en France, Annick Duraffour, de Céline, la race, le Juif (Fayard, 2017). En épluchant les archives, le duo avait fait ressortir un Céline beaucoup moins pitre, et franchement collaborationniste. Annick Duraffour met, elle, un bémol à l’intérêt que Céline aurait porté à ses manuscrits volés : « Il est parti avec le manuscrit auquel il tenait le plus, la seconde partie de Guignol’s band [le futur Pont de Londres], et négligé tout le reste. Il ne tenait pas vraiment à ce texte, et l’a laissé sans précaution particulière. »

« Guerre est un petit texte éblouissant. En revanche, J’ai trouvé les autres textes à paraître d’une qualité inférieure… »

Emmanuel Pierrat, avocat de Jean-Pierre Thibaudat

Alors, Guerre, est-ce que ses 80 ans au frais l’ont bonifié ? « C’est un mauvais Céline qui, une fois de plus, utilise un style vulgaire pour masquer une médiocrité narrative », massacre encore Pierre-André Taguieff. Annick Duraffour l’estime « très drôle par endroits et par quelques portraits », mais aussi « horrible dans sa haine des femmes et d’une forme d’apologie du proxénétisme ». L’avocat Emmanuel Pierrat, lui est plus nuancé : « J’ai lu avec passion et fébrilité tous ces feuillets durant l’été 2020. Je tiens Guerre pour un petit texte éblouissant, une pièce littéraire de la période du Voyage au bout de la nuit. En revanche, J’ai trouvé les autres textes à paraître d’une qualité inférieure… » Céline va faire encore couler beaucoup d’encre, pour le plus grand bonheur de Gallimard qui, de façon inattendue, voit une nouvelle manne et de nouveaux droits s’ouvrir à lui, alors que l’œuvre de l’écrivain était censée tomber dans le domaine public. Le premier tirage de 80 000 exemplaires a été suivi par deux autres impressions en quelques semaines. Jean-Pierre Thibaudat, vilipendé par les céliniens, très critiqué par ses ex-collègues de Libération, aura une occasion, lui, d’éclairer un pan de ce cold case littéraire, et très français. Il est en train d’écrire son témoignage sur le mystère de la rue Girardon.


Ferdinand, la guerre totale

« J’ai attrapé la guerre dans ma tête. » Les premières pages sont d’une grande intensité sensorielle. Perdu au beau milieu d’une boucherie humaine sans nom, Ferdinand, balle sous l’oreille, vacarme dans le cerveau, erre en nuit profonde. On dirait le cri de Munch, mais avec la bande-son hurlante de la guerre. Même si le récit déroule le recueil et la convalescence de Ferdinand à l’arrière, à l’hôpital de Peurdu-sur-la-Lys, la guerre est partout, follement partout dans ce petit roman. Mais aussi dans tous les êtres, pantins grotesques, hommes et femmes, bourgeois et maquereaux, militaires et déserteurs qui le peuplent. C’est plein de vitalité. C’est absurde. Ce sont belles trouvailles. Gallimard a cru bon, signe des temps hygiénistes, de proposer tout un glossaire explicitant l’argot, les mots du sexe et les insultes inventives aux nouvelles générations de lecteurs. Peut-on encore comprendre Céline en 2022 ? E.Lx

Guerre, Céline (édité par Pascal Fouché), Gallimard, 192 p., 19 €. Parution 5 mai 2022.

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