Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Ahmet Altan, Grand Prix Idées Les Influences 2019 des essais et documents

Publié le 23 janvier 2020 par

13/13. JE NE REVERRAI PLUS LE MONDE (ACTES SUD)
Essais, documents, récits : nos 13 Prix Idées Les Influences 2019

grand_prix-idees-altan.jpg eclair_noir.jpg VIE DES IDÉES. «  J’étais face au monstre de la réalité.
Et il me faudrait désormais vivre au bord du gouffre comme un homme agrippé à sa branche.
Avoir peur, perdre le contrôle, me laisser envahir par l’effroi, m’abandonner au désir d’être libre, devenir fou, prêter le flanc, même une seconde : tout cela m’était interdit.
 »

Dans Je ne reverrai plus le monde, le journaliste et écrivain turc Ahmet Altan évoque sa vie, décrit ses sentiments et déroule avec courage sa condition dans une cage depuis septembre 2016. On l’a mis en cage à perpétuité, on l’a ressorti de sa cage durant une semaine, on l’a remis en cage et condamné à dix ans. Depuis il y croupit. La cage est la prison, la sinistre prison de Silivri, à 70 kilomètres d’Istanbul. Son existence, il l’a décrite avec un souffle impressionnant et maîtrisé dans un récit publié en France et plusieurs pays européens cet automne. Son obscurité, voulue par la justice, se déroule dans une cellule de six mètres sur quatre avec deux codétenus. À 70 ans, l’un des intellectuels humanistes les plus importants de Turquie se prépare à mourir dans sa cage. Il apprend à s’évader par la pensée, ses propres ressources culturelles et l’analyse : «  L’une des plus grandes libertés qui puissent être accordées à l’homme : oublier. Prison, cellule, murs, portes, verrous, questions, hommes – tout et tous s’effacent au seuil de cette frontière qu’il leur est strictement défendu de franchir.  »
Le 5 juillet 2019, la Cour Suprême turque avait pourtant cassé sa condamnation à perpétuité. Ahmet Altan, romancier et journaliste, était incarcéré depuis septembre 2016, dans le grand mouvement de répression qui avait suivi le putsch manqué de juillet. Condamné à la perpétuité aggravée, sa peine avait été confirmée en appel par la Cour Constitutionnelle en mai 2019. Mais quelques semaines plus tard, la sentence a été détricotée pour ne retenir qu’une «  aide à un groupe terroriste sans être membre  », De plus, la Cour Suprême avait acquitté, faute de preuves de sa culpabilité, Mehmet Altan, le frère d’Ahmet, accusé lui aussi d’avoir participé au putsch. Le rai de lumière a duré peu de temps.

À 70 ans, l’un des intellectuels humanistes les plus importants de Turquie se prépare à mourir dans sa cage

Depuis les années 1970, le rôle social d’Ahmet Altan est de faire progresser la démocratie en Turquie par la littérature, ses éditoriaux et la direction de rédaction de journaux. Il a de qui tenir : son père, le journaliste Çetin Altan, et député socialiste au Parlement turc en 1967, fut condamné pour ses articles, à la bagatelle de 2 000 ans de prison ! Le fils lui a connu très vite la popularité avec ses deux premiers romans, dont le second a fait l’objet d’un autodafé pour atteinte aux bonnes mœurs.
Durant les années 1990, Ahmet Altan est journaliste à la télévision, et irrite avec ses analyses qui condamnent les crimes du PKK mais aussi ceux de l’armée turque.
Rédacteur en chef du journal Milliyet, l’un des plus influents du kiosque turc, il en est viré sous la pression de l’état-major. Un article satirique se paie de 20 mois de prison avec sursis. Accusé par ses adversaires de plus en plus nombreux de soutenir la création d’un Kurdistan indépendant, il est encore relativement protégé par son influence intellectuelle et ses livres qui se vendent très bien, tout en abordant les sujets qui fâchent.

En 1999, il rédige avec Orhan Pamuk et Yachar Kemal, une déclaration pour les droits de l’homme (et des droits culturels des Kurdes) et de la démocratie en Turquie. La pétition signée par Elie Wiesel, Günter Grass, ou Umberto Eco, a un écho international. Créant et dirigeant le journal d’opposition Taraf jusqu’en 2012, il aggrave son cas en 2008, avec un article intitulé «  Oh, Mon Frère  », dédié aux victimes du génocide arménien et sera inculpé pour «  insulte à la Nation turque  ». Le prix Hrant Dink de la Paix (Hrant Dink est un journaliste arménien assassiné en 2007) qui lui a été remis n’a pas vraiment calmé le pouvoir islamo-conservateur.
Les derniers mots publics de Ahmet Altan avant d’être réencagé en novembre 2019 ont été pour décrire la situation des intellectuels sous le régime de Recep Tayyip Erdogan : «  Ils essaient de faire en sorte que les intellectuels évitent de poser des questions. Nous allons les interroger. Nous avons vu ce qu’est la prison. Si nécessaire, nous y retournerons. Nous n’avons pas peur.  »

Je ne reverrai plus le monde, Ahmet Altan (Trad. du turc par Julien Lapeyre de Cabanes), 224 p., 18,50 €.

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