Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Idées #Libertés #Politique

Après Samuel Paty, il faut savoir ce que l’on défend, mais le sait-on ?

Publié le 3 novembre 2020 par

Pourquoi la liberté d’expression sera toujours illusoire.

grogne-1_-_copie.jpg PHILOSOPHIE POLITIQUE. La décollation terrifiante d’un professeur d’histoire dans l’exercice de ses fonctions a nourri toute sorte de réactions de la part des pouvoirs publics, des partis politiques et de la presse. Avec pour leitmotiv la sacro-sainte «  liberté d’expression  » qui ne saurait connaître la moindre limite. Emmanuel Macron a ainsi déclaré : «  Je suis favorable à ce qu’on puisse écrire, penser, dessiner librement dans mon pays parce que je pense que c’est important, que c’est un droit, ce sont nos libertés  ».
Sont alors convoqués immanquablement les pères fondateurs de notre modernité idéologique : Voltaire, Rousseau et consorts…
La référence aux Lumières, à leur autorité indiscutée, devrait éveiller notre méfiance. Le recours aux grands principes cache généralement un vide de pensée. On cherche plutôt à valider une posture, à donner un semblant d’armature théorique à une improvisation politique…
Comme si la liberté d’expression était sans limite ! Alors qu’elle est à l’évidence limitée. Limitée «  objectivement  » par la loi (qui punit l’injure, les propos racistes, antisémites, homophobes, les thèses négationnistes, etc.), « subjectivement  » par l’autocensure, par ce que la morale commune réprouve et que l’éducation incorpore en chacun. Sans parler des résistances de l’inconscient…
Dans une démocratie, on ne peut laisser libre-court à ses improvisations. Parler de liberté d’expression «  sans limite  » est donc une contre-vérité.
Mais une contre-vérité qui est tout sauf innocente.

Réductionnisme, manichéisme, réification : quelques armes lourdes du fanatisme

Les références à la «  liberté  » sont toujours un peu suspectes. Non que la liberté effective n’ait pas de prix ; des hommes se sont battus et sont morts pour elle. C’est son idée qui est «  confuse  ». Un mot qui «  chante  » plus qu’il ne «  parle  », disait Paul Valéry.
Jean Baudrillard aimait à citer la phrase de Lichtenberg : «  La liberté a un grand avenir devant elle, parce que c’est la solution la plus facile !  ». La solution la plus facile parce permettant de faire l’impasse sur ce qu’elle présuppose et implique, sur des choix plus fondamentaux, sans lesquels la «  liberté  » n’est qu’un vœu pieux.
Il en va de la «  Liberté  », comme de la «  Vérité  ». «  Ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens.  » (Valéry)

L’assassin de Samuel Paty était un jeune militant islamiste, citoyen russe d’origine tchétchène, bénéficiant du statut de réfugié accordé à ses parents. Son geste est celui d’un fanatique. Le fanatisme est une maladie de l’esprit (avant d’être une maladie de l’Islam), bien analysée par Edgar Morin (ayant été lui-même, en sa jeunesse communiste, victime de cette pathologie insidieuse).
Tous les fanatismes, nous rappelle-t-il, ont en commun une même structure mentale :
– Le réductionnisme : croire connaître un tout à partir de l’une de ses parties.
– Le manichéisme : la lutte du Bien contre le Mal absolu. Pour l’ennemi qui nous attaque, nous sommes le pire. Qui devient pour nous à son tour le pire.
– La réification : on sécrète des idéologies comme on sécrète des dieux. Les créations de l’esprit deviennent des idoles toutes puissantes qui en retour régentent l’esprit, l’appelant au meurtre et au sacrifice.
Une analyse précieuse qui envisage, pour les dénoncer, les blocages de l’esprit fanatique. De tout esprit fanatique.

Liberté d'expression à l'iranienne : Une caricature d'Emmanuel Macron
Liberté d’expression à l’iranienne : Une caricature d’Emmanuel Macron

Le fanatisme est aussi un phénomène pluriel dans le temps et dans l’espace.
On peut dresser un tableau clinique général du fanatisme, repérer les symptômes, envisager des remèdes. On se souviendra, à cet égard, du geste de Socrate au moment de mourir, demandant à son ami Criton de sacrifier un coq sur l’autel d’Esculape, le dieu de la médecine. Ou de Voltaire qui, à l’article «  Fanatisme  » de son Dictionnaire philosophique, le définissait comme une maladie pour laquelle il n’y a qu’un remède : la tolérance. Edgar Morin oppose de son côté aux simplifications extrêmes de l’esprit fanatique, les ressorts de la pensée complexe qui invite à problématiser, à contextualiser, à prévenir les pièges et les illusions de la connaissance.
Mais à un moment donné ne faut-il pas quitter le point de vue des généralités pour prendre en considération un fanatisme particulier, celui qui collectivement nous occupe aujourd’hui ?.
Certes, l’islamisme n’est pas le tout de l’islam – il existe en effet des courants minoritaires plus intériorisés, comme le soufisme, par exemple – il n’en représente pas moins l’une de ses formes historiques. La religion musulmane, dans son principe, n’est pas particulièrement tolérante. Pour des raisons théologiques. Pas seulement en tant qu’elle est une religion, mais en tant qu’elle est une religion exclusive, supposée originelle : Abraham, dit le Coran (III, 67), n’était ni juif ni chrétien, mais Musulman ! La cohabitation «  merveilleuse  » des trois confessions, juive, chrétienne et musulmane, en Espagne, à l’époque d’Al-Andalus est très largement un mythe.
Que dire alors de sa version extrémiste, celle qui prospère aujourd’hui un peu partout sur la planète, celle qui inspire les jihadistes ?
Il est dès lors légitime de s’inquiéter, de se mobiliser, de dénoncer l’absence d’esprit critique, de pointer du doigt le dogmatisme, l’unilatéralisme d’une religion qui s’est trop souvent imposée par les armes. Et pour laquelle le monde est divisé en deux : la «  Terre d’Islam  » ( Dar al-Islam) et le «  Territoire de guerre  » (Dar al-Harb), autrement dit celui qui est à convertir après avoir été conquis.

La revendication d’égalité, comme l’a bien montré Tocqueville, est sans limite

Mais cela suffit-il ? Peut-on se contenter d’opposer naïvement aux actes sanguinaires de fidèles fanatisés, la proclamation d’un droit à la caricature au nom de la liberté d’expression ? Divers propos déclamatoires ont été proférés ces derniers temps : «  On peut tout dire dans une démocratie, y compris se moquer du prophète, le tourner en dérision, l’associer à des images obscènes…  » «  Le sacrilège a été banni du droit français depuis la Révolution.  »
Certes, on n’exécute plus par décapitation en France un homme parce qu’il a refusé de se découvrir au passage du Saint-Sacrement. C’est un acquis considérable. Il n’empêche que la liberté d’expression est à bien des égards une fiction, un doux rêve qui ne correspond à aucune réalité. En plus d’être une réplique dérisoire, elle est une arme à double tranchant.. C’est là que le bât blesse. Car il faut se méfier de l’usage que certains islamistes «  autochtones  », comme de leurs relais complaisants – toujours à l’affût d’une faille dans le dispositif de l’adversaire – feront des limites de la liberté d’expression. Ils réclameront bientôt un traitement égal à celui dont jouissent supposément d’autres communautés, juive, arménienne, fils et filles d’esclaves, etc.. La revendication d’égalité, comme l’a bien montré Tocqueville, est sans limite : «  Pourquoi pas nous ? La loi française est discriminante à notre endroit, nous exigeons qu’elle nous garantisse des droits égaux.  »
L’objection a du poids et ne doit pas être sous-estimée.
L’État se perdra alors dans des arguties sans fin, et autres rodomontades, pour, au final, accorder au nom de l’égalité les droits réclamés.
Certains en France, parmi les hommes politiques, les prélats d’Église, les intellectuels commencent à s’en faire l’écho. Le Président de la République est lui-même convenu récemment sur une chaîne qatari (la même qui en langue arabe avait relayé une fatwa contre lui !) qu’il comprenait que des musulmans aient pu être blessés, mais qu’il réprouvait la violence…

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Tous les militants de la cause islamiste se rejoignent dans la même détestation de ce que nous représentons.

Le problème est-il vraiment là ? Pourquoi ne pas être plus clair ?
Rappelons qu’un homme s’est fait couper la tête parce qu’il avait montré à ses élèves des caricatures du prophète Mahomet. Ce n’est pas rien. La liberté d’expression envisagée in abstracto pèse peu à côté de ce crime abominable.
Il faut appeler un chat un chat. Il faut mettre un terme à l’euphémisation : le «  séparatisme  » en lieu et place de l’«  islamisme  » ; le «  terrorisme en général  », en lieu et place du «  terrorisme islamique  »…
Rappelons, pour l’anecdote, le titre du New York Times : «  La police française tire et tue un homme après une attaque meurtrière au couteau.  » L’assassinat prémédité est passé à la trappe. Le crime se trouve magiquement inversé.
L’islamisme, en tant qu’idéologie théologico-politique (et son bras armé) est notre ennemi. Il faut appeler les choses par leur nom. Et face à un ennemi on se défend. C’est une situation de guerre. Certes d’un genre particulier, puisque l’ennemi est sans visage, sans territoire… Il attaque par surprise et répand la terreur.
On connait la boutade de Staline : «  Le pape ? Combien de divisions ?  »
Le coupeur de tête n’est sans doute pas à lui seul une armée lourdement équipée. Il n’a ni tanks ni avions. Mais il figure assez bien cet ennemi nouveau sous sa forme solitaire et sacrificielle.
Tous les militants de la cause islamiste se rejoignent dans la même détestation de ce que nous représentons.
Ils ne nous aiment pas.
Ce que nous représentons doit être détruit.
Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la levée en masse dans le monde islamique, à l’appel de l’intégriste Erdogan, de dizaines de milliers de manifestants mâles prêts à en découdre.
Des appels au meurtre, des appels au bûcher.

Ce qui est objectivement menacé, c’est l’intégrité d’une nation, la sureté de l’État, la paix civile. La cohabitation harmonieuse des diverses sensibilités. Ce qui peut appeler des mesures d’exception. Non pas hors la loi, mais dans le cadre de la loi, de toute la loi. La loi qui doit être ajustée aux situations d’exception. Ne serait-ce qu’en renforçant sérieusement le contrôle aux frontières. En reconsidérant notre politique d’accueil. En débusquant l’entrisme là où il sévit.

Ce n’est pas seulement la pseudo-liberté d’expression qui est en jeu, mais la sauvegarde d’un pays avec ses mœurs, sa langue, son histoire, ses manières de vivre et de mourir, ses croyances, son architecture, ses paysages façonnés au cours du temps par toute sorte d’individus unis par une même foi en l’avenir. En somme ce qui le maintient vivant. Une communauté qui s’est enrichie d’apports humains venus d’ailleurs. Une communauté ouverte mais dans le respect de ses singularités et de ses limites.
Il faut savoir ce que l’on défend. Or, le sait-on ?
La mauvaise conscience, la culpabilité, la haine de soi sont devenues les sentiments dominants de notre partie du monde.

On peut se demander si l’Europe et la France ont encore le goût de vivre.
L’Europe semble avoir renoncé à ce qui a fait son génie propre : la pensée de l’idéal, à savoir la projection d’une idée à partir de la reconnaissance de son manque. Elle a renoncé à un idéal suscitant le désir : «  En décrochant de l’idéal, l’Europe se détourne de ce qui a fait socle à son essor, ou du moins, de ce qui a fait sa confiance en celui-ci : de ce en quoi elle a cru  » (François Jullien).

François L’Yvonnet est professeur de philosophie et essayiste.

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2 commentaires sur “Après Samuel Paty, il faut savoir ce que l’on défend, mais le sait-on ?

  1. Après Samuel Paty, il faut savoir ce que l’on défend, mais le sait-on ?
    Merci à François L’Yvonnet pour cet article lucide et courageux ! Il faut, en effet, appeler un chat un chat et un ennemi ennemi.

  2. Après Samuel Paty, il faut savoir ce que l’on défend, mais le sait-on ?
    François L’Yvonnet, dont la pensée aiguisée nous réveille, a une fois encore visé juste. En effet la liberté d’expression est limitée mais fallait-il encore résister, pour l’exprimer au milieu de ce déferlement d’un “no limit“dépourvu de sens.
    La conscience morale, l’empathie sont supérieures à la loi en ceci qu’elles émanent de soi et non d’un tiers – d’où la puissance de l’éducation en la circonstance et en bien d’autres. Cela rappelle Camus, dans le premier homme, relatant une histoire de son père, Henri Cormery, lors de la campagne du Maroc en 1905, témoin d’une décapitation doublée du sexe de la victime enfoncé dans sa bouche, s’exclamant devant cette abomination : “Un homme ça s’empêche, voilà ce qu’est un homme“.
    Benjamin Pichery

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