Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Catherine Malabou, petite philosophie du clitoris

Publié le 20 décembre 2020 par

bandeau_prix-12.jpgGENRE. Le plaisir effacé. Clitoris et pensée, Catherine Malabou, Payot & Rivages, «  Bibliothèque Rivages  », 142 p., 16€. Paru novembre 2020.

L’idée : Face à l’«  extrême difficulté et extrême urgence de dire le féminin aujourd’hui  », un parcours parmi les pensées qui se sont penchées sur la question du clitoris.

«  L’existence du clitoris, anatomique, symbolique, politique, est aujourd’hui revendiquée selon une réelle diversité de perspectives, de cultures, de pratiques, de gestes militants et performatifs.  » C’est dans ce contexte que se forme l’ambition de Catherine Malabou de comprendre ce que le clitoris fait à la pensée, dans un essai à la forme initiaque brillamment soutenue par une plume passionnée.
La philosophe commence par rappeler et tenter d’expliquer les effacements anatomiques et politiques successifs qu’a connu l’organe. Un beau détour vers les surréalistes et Nadja (1963) d’André Breton lui permet de montrer que le clitoris n’a cessé de disparaître sous la plume des philosophes et des poètes. Faiseurs de nymphes, d’images éthérées sans sexe ni singularité, ils écrivent et décrivent des formes bien éloignées des femmes incarnées. «  Liées dans la nuit d’un même silence  », ces nymphes – celles de Boccace, de Warbung ou d’Agamben – se trouvent dès lors bien incapables de dévoiler la réalité de leur anatomie.

page14-couve.jpg Mais le clitoris surgit tout de même, et voilà qu’il faut penser l’écart anatomique et politique qui le sépare du vagin. L’évolution a creusé cet écart : le redressement du bassin humain a fait du clitoris un organe antérieur, accessible par le devant, et qui n’est ainsi plus situé à l’entrée du vagin, comme chez la plupart des mammifères. Cet écart anatomique fait du clitoris le symbole de l’autonomie du plaisir féminin, qui se détache de l’acte d’enfantement. Il n’en faut pas plus pour que cet écart devienne politique. Tandis que «  réduire l’écart est impossible  » – et qu’il reste précisément à le penser – Freud énonce que le plaisir clitoridien est un plaisir infantile, immature, et que les femmes se doivent de l’abandonner au profit de la pénétration vaginale. Et Catherine Malabou d’explorer comment Lacan et Dolto tenteront – ou non – de s’extraire de ce primat théorique.

L’auteure s’arrête aussi, évidemment, sur Le Deuxième sexe (1949). Si la question de la sexualité et du désir taraude les pensées existentialistes, Beauvoir la renouvelle considérablement en s’y attelant. Dans une réflexion qui hérite de la Psychologie des femmes d’Helene Deutsch, elle affirme que la complexité de la sexualité féminine tient au rapport entre ses deux organes. Dans un monde patriarcal, l’unicité du sexe est un privilège : ce qui permet de comprendre que les femmes soient encouragées à abandonner l’un des leurs.

Et c’est ainsi que s’enchaînent, dans Le plaisir effacé, les circonvolutions savantes autour du clitoris. Nouveau détour, cette fois-ci par la pensée de l’autrice du retentissant Crachons sur Hegel (2017 – pour la traduction française), l’Italienne Carla Lonzi. Cette dernière affirme l’existence des femmes clitoridiennes, revendique la différence sexuelle – dont Catherine Malabou prend le temps d’expliquer qu’elle ne se confond pas avec le binarisme de genre – et la reconnaissance du lien étroit entre l’enjeu clitoridien et la subjectivation des femmes. Être clitoridienne, pour Lonzi, ne signifie ni plus ni moins que «  penser à la première personne  ».
Et des détours encore, comme différents lieux d’érotisme à explorer. On approche des pensées et des expériences de Luce Irigaray et Paul B. Preciado, on effleure la représentation de la sexualité féminine dans Nymphomaniac de Lars von Trier. Et on finit par comprendre que «  la libido clitoridienne n’est pas séparée de l’intellect  ». Jouissif.

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