Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Afrique #Enquête #Histoire #Léopold Sédar Senghor #Peter Hammer Verlag #Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire #Sylvia Serbin

Comment une traductrice transforme une historienne en odieuse raciste

Publié le 15 octobre 2010 par

sylvia.jpg Il était une fois un livre intitulé «  Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire  » dont l’histoire commença sous de très bons auspices. Son auteur, Sylvia Serbin, journaliste, historienne et écrivain, avait consigné pendant de nombreuses années une documentation importante pour donner naissance au premier ouvrage écrit sur des femmes noires en tant qu’actrices historiques. Couvrant une période allant de l’Antiquité au début du XXe siècle, cette Antillaise dont le père a été conseiller auprès de Léopold Sédar Senghor, traite de vingt-deux figures féminines – dirigeantes de royaume, femmes d’influence, guerrières, résistantes à l’esclavage ou mères de grands hommes – qui ont joué un rôle notable dans l’histoire de différents pays africains, mais aussi à Madagascar, aux Etats-Unis et dans les Antilles.

L’ouvrage est édité en France en octobre 2004 par les éditions Sepia. Trois tirages, quelque 7000 exemplaires vendus dans les pays francophones et une reconnaissance pour son auteure, invitée à participer à des conférences au Brésil, Canada, Grande-Bretagne, en Afrique et aux Antilles.

Une histoire africaine ridiculisée

Et un jour de novembre 2006, tout bascule. Mme Serbin découvre sur internet l’annonce de la sortie de la traduction allemande, le 15 du mois. N’ayant jamais eu connaissance de cette traduction, elle s’en inquiète auprès de son éditeur qui lui fait parvenir le 13 novembre le manuscrit. En allemand, langue qu’elle ne connaît pas. Aussi se met-elle à la recherche d’une personne pour traduire l’ouvrage, ce qui lui prendra un certain temps, ses moyens ne lui permettant pas de rémunérer un traducteur. C’est une professeure d’allemand qui, finalement, assurera la traduction et rend un verdict accablant : «  C’est du sabotage.  ». Mme Serbin découvre effarée que, sous le titre allemand Köninginnen Afrikas, publié par les éditions Peter Hammer Verlag, partenaire de l’éditeur français Sepia, plus de quatre cents paragraphes figurant dans l’ouvrage original qui fait 300 pages ont été supprimés ou transformés par des informations tronquées.

«  Ces transformations visaient à nier ou occulter des événements historiques majeurs, notamment concernant le commerce négrier, affirme Mme Serbin. Des dates, des faits et des noms ont été modifiés ; des données importantes ont été remplacées par des contrevérités et des allégations fantaisistes dont les sources ne sont jamais citées, introduisant une totale confusion dans le récit, et trompant le lecteur sur la nature de l’ouvrage.  » Et elle cite à titre d’exemple certaines figures emblématiques de l’histoire africaine, ridiculisées dans la traduction, comme Chaka, empereur des Zoulous, prétendument «  à la chasse à l’éléphant avec un voyageur anglais  », en pleine guerre de résistance contre les invasions européennes… Ou la suppression du paragraphe concernant l’implication du monde musulman, dont la Turquie, dans la traite négrière et son impact en Europe, en Russie et en Chine. «  D’une manière générale, toutes les références au commerce esclavagiste ont été presque systématiquement supprimées dans le reste de l’ouvrage  », affirme Mme Serbin. Dans un passage concernant la guerre des Boers, elle avance une thèse sur son interprétation des événements, laquelle disparaît dans la traduction pour être remplacée par une thèse contraire.

Arguant du fait qu’elle n’a jamais signifié son accord pour la traduction de son ouvrage et que jamais l’éditeur allemand ne lui a signalé son intention de procéder à des modifications, Sylvia Serbin fait alors appel à l’avocat Antoine Weil, qui saisit en avril 2007 le tribunal de Créteil en référé. Elle est déboutée, le tribunal estimant qu’il n’était pas compétent pour juger de cette affaire. Son avocat saisit alors le TGI de Créteil pour juger sur le fond. Elle est encore déboutée, le tribunal estimant que les éditeurs ne sont pas responsables. Elle fait appel, mais le tribunal confirme le premier jugement.

Quelques adaptations pour les besoins du public allemand

La bataille juridique pose le problème suivant : il est évident qu’il y a eu contrefaçon, mais qui est responsable ? Aux yeux de la justice française, ce n’est pas l’éditeur français, contre lequel Mme Serbin a porté plainte.

Que stipulent les contrats entre les parties ? Celui qui lie l’auteure et son éditeur autorise des tiers à publier des traductions sous le contrôle de l’éditeur français et précise que rien ne doit être modifié sans l’aval de l’auteur. Ce qui est conforme à la loi sur la propriété intellectuelle. «  Mais dans le contrat passé entre les deux éditeurs, le nom de Mme Serbin n’apparaît pas, seul le titre du livre est mentionné. Il est également spécifié qu’en cas de litige, ce sont les tribunaux français qui doivent se prononcer et qu’en cas de problème de traduction, l’éditeur français peut se retourner contre son partenaire et mettre fin à leur partenariat  », précise Maître Antoine Weil.

Lors du référé, l’éditeur français affirme ne pas comprendre ce qui s’est passé et demande à attendre les explications de son homologue allemand. Lorsque le TGI est saisi sur le fond, l’éditeur allemand affirme qu’il a traduit l’ouvrage fidèlement, en procédant à quelques adaptations pour les besoins du public allemand. Il produit un email émanant de Sépia affirmant que Mme Serbin «  semble être contente de la traduction  ». Un accord qui aurait été donné par téléphone, ce que conteste totalement l’historienne, mais que confirme son éditeur, qui a fait témoigner en ce sens une de ses employées affirmant avoir reçu ce coup de téléphone. «  J’étais présent dans la salle lorsque cette conversation téléphonique a eu lieu  », affirme-t-il. Ce que nie farouchement Mme Serbin. Parole contre parole.

Ce témoignage, déclaré irrecevable au premier jugement car émanant d’une employée de Sepia, sera accepté en jugement d’appel, qui confirme la première décision en dédouanant l’éditeur allemand : ayant reçu le feu vert de Sepia, il n’a commis aucune faute. Seule la responsabilité des éditeurs est jugée, la contrefaçon n’est pas prise en compte. La demande de Mme Serbin pour que soit mis fin à son contrat avec l’éditeur Sepia a également été rejetée.

«  Tous les textes se rapportant au code de la propriété intellectuelle interdisent ce qu’ont fait les deux éditeurs, s’insurge Maître Veil. Le contrat stipule que la traduction doit se faire sous le contrôle de l’éditeur français, il est donc responsable.  » Ce à quoi Patrick Mérand, créateur des éditions Sepia, répond qu’il est impossible de vérifier mot à mot les traductions et qu’aucun éditeur sur la place de Paris ne le fait. «  Avant la publication de la traduction, l’éditeur allemand m’avait demandé s’il pouvait retirer deux chapitres. J’ai demandé à l’auteure, qui a refusé, et transmis son refus aux éditions Peter Hammer Verlag  », précise-t-il.

La «  passion  » d’une traductrice

Si la responsabilité des éditeurs reste posée, le nœud du problème se niche dans les «  détails  » d’une traduction qui s’autorise bien des libertés. Après la publication de son livre en Allemagne, Mme Serbin reçoit une lettre de la traductrice qui se dit passionnée d’Afrique et exprime toute la satisfaction qu’elle a éprouvé en réalisant ce travail de traduction. Elle y a mis beaucoup d’elle-même, c’est certain. Ce que ne conteste pas Patrick Mérand : «  Je reconnais que la traductrice a poussé un peu loin l’adaptation de ce texte. Elle a vécu en Afrique et a voulu donner quelques sentiments personnels. Elle s’est crûe autorisée à faire des commentaires. D’où des passages et des illustrations différents. Mais je ne trouve pas que ces changements soient choquants et je ne pense pas qu’ils émanent d’une volonté de travestir l’histoire.  »

Pour le reste, il estime que la justice ayant tranché deux fois en sa faveur, sa responsabilité n’est pas engagée. Dans le fond, cet éditeur spécialisé sur les ouvrages consacrés à l’Afrique et aux Antilles, qui affirme ne jamais avoir connu de contentieux avec aucun de ses auteurs jusque-là, regrette la façon dont les choses se sont passées : «  Je ne conteste pas le fait que les deux textes présentent des différences. Mais Mme Serbin a saisi le tribunal en référé sans avoir tenté une procédure amiable. Elle m’a attaqué, elle a perdu. Si elle avait agi autrement, nous aurions pu faire une action ensemble vis-à-vis de l’éditeur allemand.  »

Aujourd’hui, le livre est toujours édité en Allemagne, au grand dam de son auteure. «  Des pétitions pour le retrait de l’ouvrage ont circulé, des journaux et des sites allemands ont évoqué cette affaire, des intellectuels germanophones m’ont prise à parti au cours de conférences, rien n’y a fait.  » Ereintée financièrement et psychologiquement par sa lutte juridique, Sylvia Serbin a néanmoins saisi en juillet 2010 l’instance de recours ultime, la Cour de Cassation en faisant appel à l’aide juridictionnelle. «  Nous ne pouvons pas accepter une décision qui bafoue à ce point le droit d’auteur, d’autant qu’il s’agit de sujets sensibles sur l’Afrique ou le commerce des esclaves, en particulier dans le contexte actuel, assène Maître Weil. Je suis également avocat de maison d’édition et je n’ai jamais vu qu’un ouvrage puisse être aussi déformé en toute impunité.  »

En attendant le verdict, Sylvia Serbin travaille à un autre ouvrage consacré aux pionnières noires du XXe siècle qui se sont engagées dans des mouvements politiques et culturels dans le monde. Avec un goût amer dans la bouche : «  Je ne pensais pas que, dans un pays démocratique, on pouvait à ce point manipuler vos idées.  »

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3 commentaires sur “Comment une traductrice transforme une historienne en odieuse raciste

    1. Comment une traductrice transforme une historienne en odieuse raciste
      Pensez-vous vraiment que le récit de cette manipulation intéressera le public en France? Jusqu’ici aucun média n’a accepté de parler de cette scandaleuse affaire, à part le site « les Influences ». Une affaire qui a pourtant donné lieu à une jurisprudence discriminatoire cautionnant la contrefaçon raciste et révisionniste d’une contribution à vocation scientifique, les tribunaux n’ayant rien trouvé à redire au fait que mon livre ait été entièrement réécrit, transformé et tronqué, que mes idées aient été dénaturées, que des clichés à caractère raciste qualifiant des Africains de cannibales y aient été introduits, et que des dates, des faits, des noms ont été supprimés ou modifiés dans une démarche révisionniste visant à discréditer ce travail de recherches historiques.

      De plus, après avoir nié tout au long du procès qu’il y ait eu contrefaçon, et affirmé que la version allemande est fidèle à l’original, mon éditeur, fort du soutien des tribunaux, déclare maintenant dans cet article – et je l’ai découvert avec stupéfaction – que des transformations ont bien été apportées à mon texte « parce que la traductrice aurait été emportée par son élan »…. Ainsi, pour lui, ce n’est pas bien grave qu’on me fasse endosser la paternité d’un produit douteux que je n’ai pas écrit. Et c’est donc cette « éthique » qu’a choisi de soutenir la Justice française qui a systématiquement ignoré les arguments sur la violation de ma propriété intellectuelle et de mon droit moral. On est en droit de se demander si de telles dérives auraient été admises s’il s’était agi d’un auteur européen.

      Enfin, après avoir déclaré pendant la première année de la procédure, et notamment en 1ere instance, que je n’avais pas réagi à l’envoi du manuscrit allemand et que, prenant mon silence pour un assentiment, il l’avait fait publier, l’éditeur Sépia a ensuite assuré avec le même aplomb que j’aurais donné mon accord verbal à cette publication. La raison de ce changement de version? Son partenaire allemand venait de faire état d’un email, jusqu’alors dissimulé, où mon éditeur indiquait:  » Mme Serbin semble satisfaite de la traduction. Vous pouvez en conséquence l’imprimer ». Et ce nouveau scénario ne troublera pas davantage les magistrats qui, curieusement, n’ont pas eu un regard pour les textes du document de comparaison entre l’ouvrage français et sa prétendue traduction; document démontrant parfaitement une altération totale de l’oeuvre originale par la version allemande.

      Maintenant, grâce à cette jurisprudence d’exception qui m’a été appliquée, une brèche vient d’être ouverte dans la protection des œuvres de l’esprit.
      Vous pensez vraiment qu’un tel exemple de régression du droit à l’encontre d’une citoyenne française (noire) interpellera nos concitoyens ?
      L’auteure flouée et bafouée.

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