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Disparition de Maurice Rajsfus, le citoyen historien des violences policières

Publié le 14 juin 2020 par

Après avoir échappé adolescent à la déportation, il a dédié sa vie à l’étude des comportements de la police française, de Vichy aux années 2000.

L'écrivain et historien Maurice Rajsfus voulait transmettre une flamme, comme un passeur de mémoire .
L’écrivain et historien Maurice Rajsfus voulait transmettre une flamme, comme un passeur de mémoire .
FANTÔME. C’était une colère vivante et gouailleuse de 92 ans. Il vient de disparaître, en ce samedi 14 juin, l’ironie de la grande faucheuse ne manquant pas de sel, alors que se tenaient des manifs contre le racisme et contre les violences policières, ce qu’il aurait pu concevoir comme une chorale fraternelle douce à ses oreilles. Depuis plus de 70 ans, Maurice Rajsfus n’avait de cesse de jeter des petits cailloux dans la mémoire noire de la France, celle des violences et des comportements policiers, Vichy, la guerre d’Algérie, les banlieues jusqu’à aujourd’hui.

Il était l’un des derniers géants de cette époque militante des gauches de l’après-guerre. Maurice Rajsfus est né Maurice Plocki le 9 avril 1928. Avec sa sœur ainée Eugénie Jenny, et leurs parents ils vivaient à Vincennes. Un certain inspecteur Mulot est venu les arrêter et à été l’agent de la mort de ses parents déportés à Auschwitz en 1942. Par un concours de circonstances, l’âge de Maurice et d’Eugénie a permis aux deux ados d’échapper à la rafle. Après la guerre, il a fait un très bref passage aux Jeunesses communistes. Rapidement, il est viré pour « hitléro-trotskisme ». Le deuxième terme devient vite vrai mais pas très longtemps non plus. Ce qui n’empêche pas Maurice de passer sa vie à gauche : mouvement des Auberges de jeunesse, Parti communiste internationaliste, Socialisme ou Barbarie avec les philosophes Claude Lefort et Cornélius Castoriadis– dont il retient le niveau d’exigence – mais aussi groupe surréaliste de Paris, opposition à la guerre d’Algérie, PSU, Comité d’action, Libre pensée, Ras l’front, sans oublier l’Observatoire des libertés publiques. Naviguant dans les différents groupes d’ultragauche, il a été un ciment unissant les liens générationnels et moins évident, militants de Rouge et du Monde libertaire, dénonçant le fascisme et les violences policières. Internationaliste, il usait de pseudonyme transparents pour l’afficher. Par exemple, il signait ses articles sur le conflit israëlo-palestinien sous le pseudonyme de « Moussa et Moïshe », histoire de signifier qu’avec Maurice c’était un seul et même prénom quelles que soient les frontières.
Il laisse une œuvre foisonnante, une vie bien remplie, humainement et intellectuellement, et une rage de Rajsfus intacte. Par ses questionnements et son approche têtue, il a posé des questions majeures, ce que les historiens évoquent sous l’expression de « travaux pionniers ».

Ses travaux eurent un effet d’accélérateur pour la recherche académique

En 1980, il met les pieds dans le plat en publiant, préfacé par Pierre Vidal-Naquet, Des Juifs dans la collaboration (EDI) : l’Union générale des Israélites de France reproche à ces notables d’avoir facilité le recensement des Juifs et aidé la Préfecture de police de Paris dans la rafle des 16 et 17 juin 1942. Une polémique nourrie s’en suivra, mais son livre a eu un effet d’accélérateur dans la recherche.
De même, dix ans plus tard lors qu’il écrit pour la maison d’édition Manya, fondée par le regretté Pierre Drachline, la première version de Drancy, un camp de concentration très ordinaire, (réédité au Cherche-midi), il surligne le rôle oublié de l’administration française dans la mise en place de la structure d’internement de la cité de la Muette et secoue une nouvelle fois le cours tranquille de la mémoire nationale.

De même, son 1953: un 14 juillet sanglant (Agnès Vienot, 2003) durant lequel sept manifestants ont été abattus par la police, s’il n’est pas le tout premier travail sur la question, a permis de relancer publiquement le thème des violences policières oubliées, si ce n’est occultées par l’État. Maurice Rajsfus a également eu un rôle pionnier dans l’analyse et le référencement de ces mêmes violences régaliennes, son bulletin « Que fait la police ? » puis ses différentes enquêtes demeurent des références sur le sujet. À l’heure où Internet n’existait pas, dépouillant simplement la presse, pointait leurs traces. De ce travail, il publia un livre illustré notamment par Siné et Tignous, Je n’aime pas la police de mon pays (Libertalia) en accès libre et gratuit téléchargeable. Maurice Rajsfus se souvenait trop bien de ce policier ordinaire, l’inspecteur Mulot, venu les arrêter et qui a poursuivi sa sa carrière de policier ordinaire sans être tourmenté.

À la mémoire de son père

Enfin, dans son livre peut être le plus personnel, le plus émouvant, Mon père l’étranger (L’Harmattan, 2005), il raconte à travers la correspondance familiale, la vie de Nahoum Plocki et Rywka Rajsfus, ses parents immigrés juifs, venus au pays des droits de l’Homme. A la différence de son frère, David, parti «  construire le socialisme  » en URSS, Nahoum a tenté bien avant les autres l’expérience du sionisme. Il s’est installé en 1913 en Palestine pour construite une société fraternelle avec des militants du mouvement sioniste socialiste, Poalé zion. De retour en France, il a travaillé chez Renault à Billancourt, la même année que Makhno comme il l’indique dans une note en bas de page. Nahoum est devenu vendeur sur les marchés. Travailleur, il a pu prendre des vacances en 1936 «  les seules vacances qu’il n’aura jamais connues au pays de la liberté  ».

Par ce récit et comme à son habitude, Maurice Rajsfus voulait transmettre une flamme, comme un passeur de mémoire : «  Manifestement, Nahoum cherchait en France l’intégration, sinon l’assimilation, tout comme il aurait tenté d’y parvenir en Amérique ou en Russie. Non pas pour lui, c’était prématuré mais au moins pour ses enfants. Ce qu’il n’a réussi que partiellement car la guerre s’est montrée une implacable alliée du retour au ghetto, je pense l’avoir réalisé à sa place. Je crois – enfin j’espère – qu’il serait fier de moi, fier surtout de ses petits-enfants et de ceux qui porteront encore son nom dans ce pays qui était pour lui synonyme de liberté. Même si cela représentait une certaine tromperie dont il n’avait jamais été tout à fait dupe, il avait pourtant le grand mérite d’en sourire.  »
En 1985, dans une dédicace de L’an prochain la révolution (Mazarine), document consacré aux juifs communistes dans la tourmente stalinienne, Maurice Rajsfus écrivait: «  Nos grands parents disaient l’année prochaine à Jérusalem, nos parents disaient l’an prochain la révolution, il nous reste l’espoir  ». On ne sait ce qu’il aurait pu écrire pour les générations suivantes…
Ainsi n’est plus Maurice Rajsfus, citoyen historien toujours sur la brèche d’une mémoire incommode. Ses archives sur les violences policières bâties au fil des décennies devraient lui survivre, selon son meilleur éditeur, Libertalia paraphrasant les Bérurier noirs: « Ami, ta rage n’est pas perdue ».

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