Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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#Féminisme #Islam #Politique #Zahra Ali

En question : «  On peut être féministe et voilée  »

Publié le 12 novembre 2012 par

Zahra Ali l’affirme dans son essai Féminismes islamiques (La Fabrique)

fabrique_230-2.gif Politique.Féminismes islamiques… L’expression peut sonner probablement aux oreilles d’Européens athées comme un oxymore, voire une provocation rouée et ambigue d’une Tariq Ramadan en hijab, et pourtant, il est bien possible d’être à la fois féministe… et musulmane. C’est ce que nous rappelle et cherche à argumenter, non sans pédagogie, Zahra Ali, une doctorante en sociologie de l’EHESS et l’IFPO, spécialisée dans les études de genre. Dans son essai, la jeune militante musulmane, qui revendique également son féminisme et son antiracisme, revient sur la condition féminine à travers l’Histoire de l’Islam, et propose ses traductions d’écrits de féministes musulmanes vivant partout dans le monde et très peu connus en France. Le fait est qu’elles ont été et restent fort nombreuses à estimer que les textes originels défendent en réalité l’égalité entre les sexes.

LES INFLUENCES : Pouvez-vous nous en dire plus sur vos activités militantes et la raison pour laquelle est né cet ouvrage ?

zahra_ali.jpg Zahra Ali : « J’ai milité pour des causes féministes, anti-racistes, et musulmanes… Cet ouvrage est le fruit de plusieurs réflexions et de discussions collectives, menées dans le cadre de cercles de réflexion à la mosquée avec plusieurs autres filles avec qui j’ai milité. Celles- ci tournaient autour des questions de spiritualité, de politique et d’actualité… Nous parlions de notre vécu, du sexisme, ou encore de racisme. Je voulais que cet ouvrage leur apporte un outil leur permettant de poser des mots sur la réalité que nous vivions : nous sommes féministes musulmanes avant même que ce concept ne se soit démocratisé. Le but de ces traductions était donc aussi de fournir un outil, ces lectures académiques n’étant pas forcément accessibles à celles qui ne maîtrisent pas l’arabe.

Comment expliquez-vous qu’il soit si difficile pour la plupart des Français de trouver un lien probant entre le progressisme du féminisme et la religion de l’islam ?

En Occident, on associe souvent l’Islam à l’oppression des femmes. Mais de l’autre côté, dans les sociétés majoritairement musulmanes, l’idée du féminisme est extrêmement péjorative puisqu’elle fait allusion à une espèce d’occidentalisation… Et l’idée de suivre le modèle occidental ne plaît pas du tout. Donc d’un côté on retrouve une essentialisation totale de l’Islam (qui serait par essence sexiste et patriarcal), de l’autre, on se méfie d’une définition du féminisme, fruit d’un Occident qui veut imposer son modèle. Il est donc difficile des deux côtés de lier les deux mots.

Par ailleurs, à mon sens, cette difficulté tient également au fait que l’on n’a toujours pas fait de déconstruction historique des évènements du 11 septembre. Le problème c’est que l’on a associé les musulmans à la question de la violence, du terrorisme… Ce qui n’a pas aidé à rétablir une image juste, et différente de la pensée dominante.
Je pense donc en effet qu’il y a instrumentalisation médiatique et politique. D’autant plus que je ne suis pas si sûre que les musulmanes de France seraient plus victimes du patriarcat que les autres femmes françaises… Il y a du machisme et du sexisme en France. Les musulmanes ne le subissent pas plus que les autres.

A lire votre ouvrage, le féminisme islamique est incarné par les femmes qui ont généralement un certain parcours universitaire. Saida Kada qualifie par exemple le féminisme français de « bourgeois », mais le féminisme islamique ne pourrait-il pas recevoir les mêmes critiques ?

J’associe l’émergence elle-même du féminisme islamique, dans les sociétés majoritairement musulmanes, à la hausse du niveau d’instruction, dans la mesure où toute posture auto-critique demande une certaine capacité d’abstraction et donc d’initier une démarche intellectuelle. Mais si le féminisme islamique a été théorisé par des femmes ayant plutôt un profil d’universitaires, il est dans la pratique porté par des femmes qui ont un certain niveau d’instruction certes, mais qui sont avant tout des militantes de terrain. Certaines s’approprient les productions académiques, d’autres formulent leurs propres conceptions selon les termes qui leur conviennent (politique, religieux, etc.) C’est aussi pourquoi je parle plutôt de féminismes islamiques au pluriel, car ce mouvement est très hétérogène. Les profils vont de chercheuses de grandes universités à des militantes d’associations locales qui formulent une critique de la domination masculine a partir d’un référentiel religieux.

Quelle définition du féminisme, les femmes musulmanes lui donnent-elle en France : s’agit-il de respecter une tradition, d’un repli identitaire dans une société qui peut les exclure ?

A mon sens, oui, on peut être féministe et voilée. Lutter contre l’inégalité et le patriarcat ne signifie pas forcément suivre un modèle normatif de féminisme. En France et dans les sociétés occidentales, certaines femmes en ont assez de l’érotisation et de la marchandisation du corps des femmes, de ces corps nus que l’on voit partout affichés dans la publicité. Pour certaines d’entre elles, le foulard est vu comme un outil de lutte contre cette manière de soumettre sans arrêt les femmes au regard et au désir masculin. Il peut également y avoir à mon sens un certain repli identitaire quand il y a discrimination et stigmatisation accrue. D’ailleurs, la loi de 2004 et la polémique qui a suivi, ainsi qu’une certaine banalisation de la parole islamophobe en France ont créé une forme de repli identitaire. Enormément de femmes ont décidé de se recouvrir le visage en se disant : «  Cette société ne veut pas de moi  ». C’est un moyen de rentrer finalement dans un mode de religiosité, un mode alternatif de militantisme. Même si toutes femmes portant le niqab ne sont pas forcément dans cette posture. D’ailleurs, plusieurs études sont parues sur le niqab : il y a une souffrance face au racisme, qui crée justement une crispation et une volonté d’être dans la résistance à un modèle intégrationniste. C’est donc une manière de promouvoir une féminité, une identité alternative. Ca a beaucoup à voir avec l’islamophobie. Et au delà de l’injonction religieuse, certaines femmes gardent le voile par geste de solidarité. J’avais d’ailleurs recueilli dans un mémoire des témoignages en France de femmes qui ont déclaré avoir commencé à le porter après la polémique de 2004 pour résister justement à cette injonction raciste, et pour se solidariser avec femmes voilées victimes d’exclusion et de discrimination.

Quelles sont les autres grandes différences entre le féminisme islamique et le féminisme européen ?

A noter tout de même qu’un féminisme musulman peut aussi être occidental… Mais pour dire les choses simplement : la principale différence tient au référentiel religieux. Historiquement, le féminisme en Occident a mis à distance le religieux et a cherché à briser tout ce qui est propre aux normes religieuses. Le féminisme islamique, lui, est issu de ce cadre religieux, s’exprime à partir de lui. Les féministes musulmanes considèrent que c’est à partir d’un référentiel spirituel, et à partir de ce principe du Tawhid, de l’unicité divine, que l’on pense l’égalité. Il ne s’agit pas pour les féministes musulmanes par exemple de s’opposer à l’idée de mariage… Pour les féministes musulmanes, le mariage est quelque chose qui peut être oppressant, mais qui ne l’est pas par essence. L’aspect spirituel est donc essentiel.

Le voile est un sujet de controverse avec les féministes européennes. Comment serait-il possible de faire converger, du moins en France, ces deux types de féminismes ?

Il y a eu des initiatives… Tel que le Collectif des féministes pour l’Egalité, dont Christine Delphy était la présidente, et moi-même la vice-présidente. Et si je n’en fait plus partie aujourd’hui, il existe encore. Il y a donc eu un regroupement entre féministes de tous genres, musulmanes ou non, voilées ou pas voilées. Personne n’a à dicter aux femmes la manière dont elles doivent se vêtir, c’est à elles-mêmes de définir les modalités de leur émancipation, de décider de la manière dont elles souhaitent être libres. Pour moi, le fondement du féminisme est de partir d’une grille de lecture qui serait égalitariste, ce qui implique une remise en question de toutes les formes de domination, y compris celle qui pourrait exister entre femmes : entre françaises de souche et issues de l’immigration, entre les plus anciennes et les plus jeunes féministes… Il faut laisser la place à toutes les formes de lutte, car il existe bien différentes manières de se dire libres et émancipées.  »

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