L’art allemand du lobbying
Publié le 29 janvier 2014 par Christian Harbulot
Comment le groupe Daimler a damé le pion aux constructeurs français sur le dossier du véhicule électrique européen
Rares sont les cas d’exemplarité qui permettent de mettre en évidence par le biais des sources ouvertes la manière dont un acteur économique l’emporte sur un autre dans les affrontements économiques. L’affaire de la normalisation européenne de la prise de rechargement de la voiture électrique est une démonstration très didactique de la différence entre le mode opératoire français et celui pratiqué par nos amis d’outre- Rhin.
Si l’Allemagne est mondialement connue pour ses performances dans le domaine des voitures thermiques, la France s’est lancée dans l’aventure du véhicule électrique. Ce choix a été notamment facilité par des subventions gouvernementales dans l’achat et le déploiement d’un réseau de bornes de recharges. Pour consolider cet avantage commercial sur le marché européen, encore fallait-il gagner la bataille d’experts sur la définition d’une norme commune.
Le débat s’est focalisé entre deux propositions : le type 2 mis au point par la petite firme allemande Mennekes et le type 3 développé par l’entreprise française EVPlug Alliance soutenue par les groupes Legrand et Schneider Electric. La différence entre les deux systèmes réside dans la présence d’un obturateur sur les prises de type 3, empêchant le contact entre les parties métalliques transmettant le courant et l’utilisateur, ce qui évite à ce dernier de s’électrocuter alors que la prise n’est pas parfaitement enfichée dans le véhicule.
La sécurité dans la prise de type 2, est assurée par un ensemble de circuits électroniques empêchant la mise sous tension tant que toutes les conditions ne sont pas réunies. Pour les défenseurs de la prise de type 3, ces sécurités électroniques peuvent être à la merci d’une panne, exposant ainsi l’utilisateur au risque d’électrocution, tandis que la prise de type 3 protège l’utilisateur par un système physique, a priori non soumis au risque de panne.
L’Allemage a un savoir-faire indiscutable en matière de lobbying à Bruxelles
Pour comprendre les raisons de cette victoire allemande, il faut revenir sur le savoir faire en lobbying pratiqué à Bruxelles par les Allemands. Les Français se sont focalisés sur une argumentation technique de la sécurité en croyant pouvoir imposer cette norme nationale à l’Europe sans autre forme de discussion. De leur côté, les Allemands ont pris le problème très en amont. Au niveau allemand, le groupe Daimler est censé avoir établi le cahier des charges de leur modèle de prise et en aurait confié la réalisation à Mennekes, une petite entreprise de matériel électrique située en Westphalie. Au niveau européen, Daimler a fédéré les grands fabricants d’automobile (BMW, Volkswagen, Porsche, Ford, Opel, Toyota, Mitsubishi et Fiat) et a mené une pression discrète et constante sur les autorités européennes pour imposer les vertus techniques de son standard.
Pendant ce temps, les Français ont mis un an et demi à développer leur modèle de prise au lieu des trois à quatre mois prévus. Lors du salon de Paris de 2010, Mennekes présenta sa solution alors que le prototype français était encore dans les cartons. Le 24 janvier 2013, la commission européenne a tranché en faveur de la solution allemande qui est désormais le standard européen.