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L’école républicaine : « Une fiction méritocratique »

Publié le 23 octobre 2012 par

La sociologue Agnès van Zanten avait publié une étude exhaustive en 2001 sur une école républicaine à plusieurs vitesses. A l’occasion de la réédition de l’ouvrage, la chercheuse analyse l’école d’aujourd’hui et les premières mesures de Vincent Peillon

bioduneidee_250.gif L’ouvrage de la sociologue, «  L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue  », vient d’être réédité aux Puf. Dans cette enquête menée pendant 7 ans dans les années 1990 dans des établissements de la banlieue parisienne, Agnès van Zanten analysait les inégalités des chances entre établissements de banlieue défavorisés et établissements ordinaires. L’occasion d’actualiser un constat, dix ans plus tard, sur leur fonctionnement et celui de l’ensemble du système scolaire.

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Les politiques d’éducation  » (2011) d’un Que sais-je ? «  La carte scolaire  » (2010), ainsi que de «  Choisir son école  », dans la collection «  Lien Social  » toujours chez Puf. (Portrait : © Gérard Cambon pour Les Influences) » align= »left » /> «  Les « établissements-labels » sont des repoussoirs.  » Plus de dix ans après la parution de son ouvrage, le regard que la sociologue, spécialiste des questions d’éducation et directrice de recherche au CNRS, porte sur l’école «  de la périphérie  », reste peu ou prou le même. Au Diable programme «  Ambition Réussite  » et autres Zones d’Education Prioritaire (ZEP), qui, faute d’action conjointe permettant de conjurer les causes des inégalités, renforcent en réalité leurs effets. Mais la sociologue n’accable cependant pas les acteurs. Elle se soucie surtout du fait qu’ils aient au cours des dix dernières années insensiblement délaissé la lutte contre les inégalités en faveur des politiques comme les internats d’excellence ou les «  cordées de la réussite  » qui poursuivent l’objectif légitime de renouvellement des élites mais ne contribuent pas à améliorer les résultats des élèves en difficulté ni la situation des établissements d’où ils proviennent.

Et la sociologue d’épingler deux autres réformes du précédent quinquennat : l’assouplissement de la carte scolaire d’abord, qui par ses multiples dérogations renforce la concentration des élèves en difficulté dans les territoires en difficultés. La masterisation des enseignants ensuite, supprimant l’année payée de formation pratique en alternance, «  alors qu’ils débutent généralement leur carrière dans des établissements de banlieue  ».

« Le devoir républicain est de proposer une offre égalitaire… Ce qui n’est pas le cas. Mais peu de responsables politiques et administratifs et même peu d’enseignants osent le dire, comme si l’on craignait que prendre la parole donne encore plus de force à ces inégalités. »

Bref. En 2001, comme aujourd’hui, Agnès van Zanten l’affirme sans détour : il n’existe pas une seule école de la République, mais bien plusieurs. Car si l’unification de l’enseignement secondaire depuis le milieu du XXe siècle a contribué à gommer les différences entre les types d’établissements, elle a aussi conduit à la hiérarchisation les formations. Et cela même si le système reste «  unique  ». A priori. «  La démocratisation de l’enseignement a en réalité été ségrégative, explique la sociologue. Il s’agit bien, sur l’intégralité du territoire français, d’un même niveau d’enseignement, mais la question qui importe aujourd’hui est : « de quel collège/lycée/université s’agit-il ? »  ». En d’autres termes, un bac obtenu en Seine-Saint-Denis ne vaut pas celui obtenu dans un prestigieux établissement parisien, ou à la rigueur dans les Hauts-de-Seine. Surtout quand il s’agit d’intégrer les classes préparatoires élitistes.

«  Il existe des différences qualitatives entre les collèges et entre les lycées notamment dues à leur public. On assiste à une concentration d’un côté des bons élèves, et de l’autre des moins bons… Les niveaux sont de moins en moins uniformes. Alors même que de nombreuses études ont montré que lorsqu’il y avait une certaine mixité en classe, le niveau global augmentait.  » Une réalité dissimulée par un discours, politique et professionnel, affirmant une égalité scolaire, en vérité illusoire.
«  Le devoir républicain est de proposer une offre égalitaire… Ce qui n’est pas le cas. Mais peu de responsables politiques et administratifs et même peu d’enseignants osent le dire, comme si l’on craignait que prendre la parole donne encore plus de force à ces inégalités. On essaie donc de faire croire qu’il y a une unité, puisqu’il y a un programme commun. Nous sommes dans une fiction méritocratique.  »
«  On a longtemps cru que dans les systèmes hautement centralisés, l’existence de programmes nationaux, devant être appliqués de façon identique sur l’ensemble du territoire, garantissait l’homogénéité de la distribution des savoirs  », écrivait déjà Agnès van Zanten en 2001. Son ouvrage montrait déjà à l’époque le contraire, c’est-à-dire qu’il existait des inégalités de savoirs, au delà de l’inégale distribution des filières, matériels et moyens humains. Un problème de taille, justement : le programme.

Trop lourd, il renvoie à la responsabilité des enseignants, qui ne peuvent pourtant pas tout traiter dans certains établissements «  difficiles  », et les adaptent bien souvent via une «  version tronquée et simplifiée  ». Sans oublier les difficultés d’ordre disciplinaire et la menace de fuite de certains élèves vers des établissements plus prestigieux.

En bref, tous les éléments étaient déjà réunis pour que la ségrégation scolaire fasse porter sur certains établissements tout le poids des difficultés. Et le phénomène, exponentiel, semble s’être aggravé depuis 2001.

La sociologue défend aujourd’hui l’idée d’intégrer à la carte scolaire l’enseignement privé, qui, si l’on se penche sur les trajectoires des élèves du primaire au lycée, concerne deux sur cinq d’entre eux

A l’époque, Agnès van Zanten constatait déjà, prenant appui sur les travaux des sociologues urbains, un accroissement de la différenciation urbaine des populations, entre 1982 et 1990, entre divers territoires : «  Cette polarisation sociale entre les communes et entre les quartiers concerne surtout les catégories qui se situent aux deux extrêmes de l’échelle sociale : cadres et personnes exerçant une profession intellectuelle supérieure d’un côté, ouvriers et chômeurs de l’autre.  » Sans oublier un recul général du nombre d’ouvriers, renforçant en périphérie le poids des étrangers. Cette «  polarisation sociale  », qui n’a cessé de s’accentuer, entre les communes et les quartiers n’est pourtant pas la seule à expliquer les inégalités entre établissements scolaires. En effet, selon la sociologue, il existerait une autonomie relative du champ scolaire, qui ne se contente pas de reproduire les inégalités.

L’école serait elle-même productrice de différenciations, via par exemple les stratégies des parents qui accordent de plus en plus d’importance, dans leur projet résidentiel, aux conditions de scolarisation de leurs enfants. Par ailleurs, quand bien même une mixité urbaine existerait-elle, celle-ci peut rester très superficielle, grâce à la possibilité des parents de milieu aisé de scolariser dans des établissements mieux réputés… ou tout simplement privés. Un phénomène que l’assouplissement de la carte scolaire, lancée en 2007 par Nicolas Sarkozy et qui permet aux parents bénéficiant des bons réseaux d’échapper à la mixité sociale, accentue. Résultat : la ghettoïsation de certains établissements, sur certains territoires, s’amplifie. La sociologue défend aujourd’hui l’idée d’intégrer à la carte scolaire l’enseignement privé, qui, si l’on se penche sur les trajectoires des élèves du primaire au lycée, concerne deux sur cinq d’entre eux.

Mais les stratégies des parents ne sont pas les seules à expliquer cette non-mixité scolaire. En réalité, l’intégralité des acteurs (élus, professionnels de l’éducation, élèves…), à toutes les échelles (villes, établissements, classe…), selon les observations de la sociologue, reproduisent, et même renforcent, par leurs stratégies, un ordre social déjà existant. Un cercle vicieux qui semble à l’heure actuelle, verrouillé.

Les établissements eux-mêmes participent également à un renforcement des inégalités scolaires, à travers leurs stratégies pour sélectionner, ou attirer, les élèves «  qui maintiennent ou accroissent leur valeur par leurs qualités scolaires et sociales  ». A noter cependant, que tous n’ont pas les mêmes marges de manœuvre, en fonction du niveau où ils se situent sur des échelles locales de «  réputation  ». «  Ceux qui sont en bas de l’échelle locale doivent plutôt se battre pour retenir leurs meilleurs élèves par le biais de stratégies comme la reprise en main musclée des problèmes d’absentéisme, d’indiscipline et de violence destinées à rassurer les parents et par la création de contextes d’enseignement favorables à la réussite des meilleurs, c’est-à-dire des classes de niveau.  » Une «  stratégie du pauvre  » généralement mise en place dans les collèges ZEP et «  sensibles  ». Une stratégie censée les «  élever  » dans l’échelle locale de prestige, mais qui, en fait, n’améliore qu’à la marge leur image d’établissements «  repoussoirs  » tout en creusant les écarts entre classes au sein de l’établissement.

«  Les classes populaires commencent à se rendre compte que cette soi-disant égalité devant l’enseignement n’est qu’un leurre. En résulte un certain ressentiment de leur part… Un sentiment diffus qu’ils se font avoir.  » Une réaction d’autant plus compréhensible que ces inégalités scolaires renvoient aux inégalités sociales non seulement de capital culturel mais aussi, de façon plus accentuée probablement que par le passé, de capital économique. Déjà, tout simplement parce que ce dernier conditionne le choix de son lieu d’habitation.

« Les parents les mieux entourés et informés, bénéficiant de bons réseaux, ont accès à une connaissance en matière d’établissements où mettre leurs enfants, qu’ils n’ont aucun intérêt à partager »

Quid du capital social ? De l’accès à l’information ? «  Ce dernier facteur est également source d’inégalités fondamentales…  » Car le système scolaire, et surtout universitaire, se complexifie avec la multiplication des passerelles entre formations… Un imbroglio souvent difficile à démêler pour les classes populaires. «  Les parents les mieux entourés et informés, bénéficiant de bons réseaux, ont accès à une connaissance en matière d’établissements où mettre leurs enfants, qu’ils n’ont aucun intérêt à partager. Et cette connaissance est monopolisée par de petits groupes.  » Et la sociologue en fait d’autant plus le constat qu’elle travaille actuellement sur l’orientation vers les études supérieures. «  J’ai été étonnée de constater, en fréquentant les salons de l’orientation que des enfants de classes peu privilégiées se retrouvaient souvent dans des formations privées, aux coûts exorbitants, tout simplement parce qu’ils n’étaient pas informés de l’existence de formations équivalentes, si ce n’est meilleures, dans le public.  »
Tout le monde n’a donc pas les mêmes capacités à «  s’orienter dans le système  ». Résultat : alors que leurs ambitions scolaires s’élèvent, les familles des classes populaires témoignent actuellement d’une confiance moindre que dans la période allant de l’après-guerre jusqu’aux années 1990 dans la capacité de l’école à égaliser les parcours scolaires des enfants.

«  Les difficultés s’agrègent  » donc, s’amoncellent même, dans certains établissements, alors même que les politiques territoriales mises en place depuis 30 ans étaient censées résoudre les inégalités entre eux. L’occasion de surveiller du coin de l’œil le nouveau ministre de l’Education nationale, Vincent Peillon. «  Au delà des priorités fortes qui sont affichées, il faudrait être clair sur ce que l’on fait ailleurs…  » Comprendre notamment, dans les ZEP. «  Sont-elles toujours prioritaires ?  » Et l’universitaire de pointer du doigt un travers propre à l’éducation nationale. «  Au bout d’un moment, il n’y a même plus de circulaires sur telle ou telle politique qui n’apparaît plus prioritaire aux yeux de l’administration ou des chefs d’établissement.  »

Idem pour l’idée d’instaurer des cours de morale à l’école, la sociologue se montre sceptique. «  Parler aujourd’hui de morale laïque relève d’un discours incantatoire dès lors qu’on ne prend pas la peine de définir ce qu’elle doit être dans une société française caractérisée par une très grande diversité de populations, de modes de vie et de valeurs  ». L’absence d’un modèle clair met les acteurs de terrain en première ligne et les oblige à faire des choix difficiles qui, forcément, ne seront pas les mêmes d’une école à l’autre.

«  Un des grands problèmes de la France est qu’il existe un trop-plein de politiques qui ne sont pas articulées entre elles, regrette enfin Agnès van Zanten. Beaucoup de nouveaux responsables politiques ou administratifs évitent soigneusement d’assumer les décisions prises par leurs prédécesseurs et se préoccupent peu de ce que feront après eux leurs successeurs. Ajoutez à cela le fort turn-over de ces responsables et vous obtenez «  un manque de continuité  » particulièrement nuisible à l’efficacité de l’action publique éducative. Cette situation oblige les acteurs de la base à construire la cohérence de cette action à l’échelle des établissements mais, outre le fait que ces derniers rechignent souvent à assumer une responsabilité qu’ils jugent écrasante, les écoles, collèges et lycées défavorisés se caractérisent aussi généralement par une forte rotation des personnels en même temps que par une présence limitée dans le temps hebdomadaire d’une partie d’entre eux, ce qui réduit très fortement les possibilités de concertation et de suivi étroit des élèves le plus en difficulté. Dix ans après son étude, la sociologue n’a pas une conclusion d’étape très optimiste : «  Dans l’école de la périphérie, tout le monde est en pointillé.  »

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