Influences (n. fem. pluriel)
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Les Influences

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Le plan secret pour faire disparaître la pauvreté aux États-Unis

Publié le 21 mai 2009 par

Un gag ? Non, un plan secret d’experts sociaux a bien été mené, entre 1945 et 1974, dans le but d’éradiquer la pauvreté. Nixon a été à deux doigts de gagner cette guerre. Dans un livre passionnant, l’historien Romain Huret retrace les intenses débats politiques, moraux, philosophiques et techniques qui ont accompagné cette initiative et qui n’a rien perdu de son actualité.

Romain Huret a décortiqué la guerre secrète des Américains contre la pauvreté.
Romain Huret a décortiqué la guerre secrète des Américains contre la pauvreté.
Comment penser la pauvreté, et son éradication ? Qu’est ce qu’un pauvre ? Quelle catégorisation, s’il en faut une, et quel seuil de pauvreté doit-on envisager ? Quels outils statistiques et processus redistributifs peut-on forger sur une grande échelle ? Toutes ces questions ont longtemps été posées, de manière souterraine et secrète, entre 1945 et 1974, par des ingénieurs sociaux étasuniens. La visée était sérieuse, et même assurée dès l’après-guerre : mieux que l’URSS, les Etats-Unis supprimeraient la pauvreté. Définitivement. En avril 1966, l’agence fédérale chargée de diriger cette lutte, l’Office of Economic Opportunity (OEA) fixa même la date officielle de cette disparition à la fin de l’année 1976. Trente-trois ans plus tard, l’échec est patent, et la crise financière a réveillé plus que jamais la grande peur de la déchéance liée à une situation massive de fragilité sociale.

Que s’est t-il passé ? Fort de l’invitation de Jules Michelet à passer du «  salon à la cuisine  », Romain Huret, historien et membre du Centre d’études nord-américaines de l’Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales), exhumant à travers mémos d’experts sociaux et archives officiels déclassifiés, a étudié les coulisses de ce fameux programme secret mais officiellement intitulé «  La Guerre contre la pauvreté  ». Il donne quelques hypothèses.
Pour l’auteur, et contrairement à ce qu’assène une vulgate historiographique et sociologique, ces années-là n’ont pas constitué «  un purgatoire idéologique des pauvres  ». Bien au contraire, tous ces experts réformistes, marqués par le marasme économique de 1929 et le New Deal, se sont échinés à révéler l’existence d’une pauvreté relative au cœur même de la société de consommation, et faire admettre par l’opinion et les politiques, l’existence d’une classe de travailleurs pauvres.

La nébuleuse des experts réformistes

«  A l’origine de l’engagement politique, le malaise intellectuel est incontestable, et prend la forme d’un profond sentiment d’inquiétude parmi les universitaires et les fonctionnaires, avance l’historien. Sceptiques à propos des bienfaits de la croissance, ils souhaitent retisser du lien social dans le pays et faire émerger davantage d’authenticité dans la société américaine.  »

Ce qui marque une rupture avec 1935, date fondatrice de la loi sur la sécurité sociale qui distingue le volet assuranciel du volet d’assistance. Dans le deuxième volet, on y oppose alors les pauvres «  méritants  » comme les orphelins, les femmes seules, les personnes âgées aux parasites sociaux, tels ces jeunes hommes, souvent afro-américains, oisifs et suceurs de subventions assistantielles. Le terme welfare (assistance sociale) est dans années 50 extrêmement péjoratif.

Au départ, «  la nébuleuse  » comme l’ appelle Romain Huret, un groupe de chercheurs du social, trouvent des relais politiques dans les administrations démocrates de John Kennedy (1960-1963) et de Lyndon Jonhson (1963-1968). Trois courants se dessinent chez les experts. «  Un courant institutionnel favorable au renforcement du volet d’assistance de la sécurité sociale, un courant fiscal prônant la mise en place d’un crédit d’impôt universel (negative income tax) et un courant pragmatique qui vise à promouvoir l’autonomie et les capacités de prise en charge des populations pauvres (empowerment)  » décrit l’auteur. La concurrence souterraine entre ces trois courants d’idées va se perpétuer sous les mandats démocrates Kennedy et Johnson jusqu’à celui, républicain, de Richard Nixon. Toutes ces années sont un chassé-croisé exceptionnel de théories sur la pauvreté, où tour à tour chaque famille doctrinaire prend de l’influence sur les autres, même si les tenants de l’empowerment semblent avoir l’ascendant.

Las, ces chercheurs en phase avec de nouvelles générations plus radicales et plus concrètes sur les questions sociales, ne parviennent pas à sortir de leur giron universitaire et à faire partager à l’opinion leur point de vue sur un projet novateur : le revenu minimum universel garanti.

Changer le mot «  pauvres  » par «  familles à bas revenus  »

Nixon, au lendemain de son élection en 1968, surprend les chercheurs réformistes, en proposant au congrès un revenu minimum garanti pour les familles, et en s’adjoignant comme conseiller sur la question, le très iconoclaste Daniel Patrick Moynihan. En apparence, le courant fiscal a eu gain de cause. Mais là encore, le lobby réformiste de la nébuleuse se perd dans les labyrinthes de la décision politique.

Les sénateurs républicains ne sont pas tous sur la même ligne de méfiance, certains estiment qu’il faut aller plus loin dans l’extension de la mesure, et même augmenter significativement le revenu minimum. Mais sénateurs et experts républicains, proches d’un Milton Friedmann, et ne souhaitant pas favoriser un parasitisme social, déploient toute leur énergie de persuasion. Ils siphonnent peu à peu le projet de revenu minimum pour les familles de sa substance, en multipliant chicanes techniques et effets de seuil. En août 1969, Richard Nixon annonçant une refonte du welfare tant honni, précise la morale qui sous-tend sa décision : «  La pauvreté doit être vaincue sans sacrifier la volonté de travailler, car si nous prenons en permanence la voie de la main tendue, le caractère américain lui-même sera appauvri.  » Même assortie de cette prudence, le projet présidentiel se voit méthodiquement érodé, notamment par la commission sénatoriale qui ne désarme pas sur l’objection d’assistanat abusif.

De l’alambic de la Commission des finances du Sénat, en septembre 1972, sort au bout du bout du compte, une loi d’un revenu minimum garanti, uniquement pour trois populations cibles : les personnes âgées, les aveugles et les handicapés percevront ainsi 1680 dollars pour une personne seule, 2520 pour un couple. Plus de trois millions de pauvres méritants seront ainsi récompensés à partir de 1974. Une lecture très catégorielle et culturaliste de la pauvreté est ainsi assumée par le législateur. Symptôme : Nixon, dès sa première entrée en fonction, a aussi demandé aux ministères d’évacuer de leur terminologie, les mots «  pauvreté  » et «  pauvres  », au profit de «  familles à bas revenus  ». En 1973, l’OEO est démantelé. La Guerre contre la pauvreté n’aura pas lieu. La réforme inachevée du welfare ouvrira l’ère du workfare, très appuyé par la présidence de Bill Clinton.

Dans son étude passionnante et stimulante, Romain Huret décortique aussi les relations impossibles entre les politiques et les intellectuels, lorsque les seconds s’illusionnent sur leur pouvoir d’influence. La leçon n’est pas seulement américaine.

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