Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Editions du Ravin Bleu #Jean-Louis Ivani #Le voleur de crimes #Lucien Léger #Stéphane Troplain

Lucien Léger le mytho-média

Publié le 15 mars 2012 par

Une biographie impressionnante retrace le destin criminel et judiciaire de Lucien Léger, aussi sombre, inquiétant et mythomane que l’époque qui l’a produite

Lucien Léger : une arrestation très médiatique, en direct, à la télévision.
Lucien Léger : une arrestation très médiatique, en direct, à la télévision.
C’est quasi un chef d’oeuvre. Imprimé par un imprimeur-éditeur, Le Ravin Bleu, épais de quelques 700 pages denses, sans publicité, il part avec un lourd handicap de reconnaissance. Et pourtant Le voleur de crimes, enquête minutieuse et ample de Jean-Louis Ivani et Stéphane Troplain sur le destin de Lucien Léger, condamné à perpétuité pour le meurtre supposé d’un enfant et qui passera près d’un demi-siècle derrière les barreaux, constitue un OVNI du genre biographique.

Ci-devant Lucien Léger. Longtemps, il a été présenté aux générations nées à partir des années soixante comme le détenu le plus ancien de France. Durant des décennies, il fut l’éternel recalé de la grâce présidentielle du 14 juillet. Quarante et une années en prison (1964-2005). On ne savait plus vraiment pourquoi. Une mort d’enfant. La mort d’un enfant fugueur, Luc Taron, découvert dans la forêt de Verrières. Une mort par suffocation, et non strangulation comme on le diffusa rapidement. Un étrange « L’Etrangleur » sema alors une série impressionnante de messages écrits revendiquant le meurtre de ce garçon de 11 ans. « l’Etrangleur » se lovait dans le papier journal et les circuits des transistors. « L’Etrangleur » narguait la quarantaine d’enquêteurs. L’arrestation de « L’Etrangleur » alias Lucien Léger fut un modèle du genre : en direct à l’heure du journal télévisé sur la chaîne unique. La scène sur le vif signa la première grande exhibition de la télévision française. Troplain et Ivani ont retrouvé les policiers et les journalistes de Cognacq-Jay à l’origine de cette négociation, et confirment ce montage étonnant et depuis sans équivalent. De même, les médias furent prévenus en 2005 de sa libération du tombeau carcéral et se précipitèrent en essaim absurde devant cet homme privé absolument de parole publique par la loi.

« Le point fondamental de notre enquête a été l’accès à la correspondance complète de Lucien Léger avec son avocat Maurice Garçon » expliquent les deux biographes. Cet échange nourri donne à voir l’instruction et le procès, mais aussi la psychologie intime et très singulière de l’inculpé et les failles du système. Depuis bientôt cinquante ans, on a oublié Lucien Léger, mais également ses mystères, notamment une enquête besogneuse et au bout du compte, particulièrement bâclée. Un étrange homme vêtu d’un costume bleu pétrole, au petit matin, dans un champ… Une deux-chevaux oubliée remplie de sang humain jamais identifié… Le couple de parents de la jeune victime au passé étrange et dangereux, voire criminogène… Autant de faits accumulés comme des petits cailloux, mais finalement rangés de côté par l’instruction pour laisser la part belle à Lucien Léger, infirmier psychiatrique, authentique poète surréaliste et véritable graphomane à la mythomanie déréglée: un homme média à lui tout seul.

L’affaire Lucien Léger : Un roman de Modiano où figure même le père de Modiano

Cinq années de recherches et de recoupements ont été nécessaires aux deux auteurs. Stéphane Troplain, jeune bibliothécaire, a su faire parler la science des archives, reconstituer un monstrueux puzzle de textes journalistiques, policiers et administratifs, suivre les voies biscornues de documents officiels émanant du centre de Fontainebleau, ou exhumer par tout un jeu de dérogations, des pièces importantes des archives nationales. Jean-Louis Ivani, vieux routard de la presse, a recoupé les informations les plus étranges, retrouvé un nombre important de témoins et tiré de cette trame, un récit troublant, sombre comme cette fin des années cinquante, malaxé par l’arrière-fond de guerre d’Algérie et la paranoïa de la Guerre froide, mais aussi les remugles de la seconde guerre mondiale, la soif de consommation et l’apparition de la culture de masse. Les personnages semblent esquissés par Modiano, et on repère d’ailleurs dans cette mêlée improbable des protagonistes de l’affaire Léger, le père même de Modiano, escroc d’envergure!

La qualité première de l’ouvrage tient à cette patience et à la décantation par une écriture subtile. L’ambition (tenue) du récit réside dans sa forme ubiquiste : le lecteur se trouve partout dans le dédale de cette affaire. Comme les enquêteurs et le juge d’instruction, il suit pas à pas les impasses incalculables. Comme eux, il est trompé par le diable des détails et se fourvoie dans ses jugements. Comme Lucien Léger lui-même, le lecteur de ce livre devient également un média mythomane, dansant sur le vrai et le faux, l’erreur et la vérité en permanence. Après le fou chantant, le fou médiatisant. L’enquête d’Ivani et Troplain et c’est une récompense violente, après une telle cendrée haletante, s’interrompt devant un mur. Les auteurs qui auront pu voir Lucien Léger à l’extrême pointe de sa vie, ne donnent pas de leçon mais ont su transmettre à merveille la noirceur et le malaise d’une existence influencée, traversée, aiguillée par la fascination des médias -qui n’est pas sans rappeler un autre suicidé social (mais meurtrier établi celui-là), « Monsieur Bill » excellemment dépeint par l’écrivain Alexandre Mathis. Si Lucien Léger a finalement été libéré, c’est à la condition expresse de ne rien dire ni commenter aux médias sur sa propre affaire. L’affaire est désormais close, jugée, scellée. Ce livre Le voleur de crimes, au fond, constitue le dernier média de Lucien Léger, obsessionnel toujours, de grande noirceur cynique s’il s’avère coupable, étonnant et libertaire s’il se trouve innocent. Les trous noirs parsèment la biographie de Lucien Léger et troublent quelque peu la limpidité du jugement qui n’a jamais apporté de preuve décisive pas plus qu’il n’a su établir le mobile du déclaré assassin. C’est aussi la richesse de ce livre, au-delà du cas Léger, que de montrer l’époque qui a sécrété ce fou médiatisant.

Je m'abonne ! Partage Twitter Partage Facebook Imprimer

Laisser un commentaire

Ce site web utilise ses propres cookies et ceux de tiers pour son bon fonctionnement et à des fins d analyse. En cliquant sur le bouton Accepter, vous acceptez l utilisation de ces technologies et le traitement de vos données à ces fins. Vous pouvez consulter notre politique en matière de cookies.   
Privacidad