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#Christophe Desjours #CNAM #Marie Pezé #Société #Troubles Musculaires Squelettiques (TMS)

Marie Pezé, une psy au front de la crise

Publié le 20 février 2013 par

Psychologue clinicienne et psychanalyste, reconnue pour son expertise en matière de souffrance au travail, Marie Pezé alerte sur une organisation du travail de plus en plus pathogène

influenceurs_250.gif C’est en travaillant dans un service de chirurgie réparatrice que la psychologue clinicienne et psychanalyste Marie Pezé (1951) a commencé à faire le lien entre travail et souffrance psychique. «  Petit à petit, on nous a envoyé des caissières, des secrétaires, victimes d’accidents du travail… Très vite, j’ai constaté une lassitude et un épuisement dans des corps de métiers dont les tâches ne justifiaient objectivement pas cet état.  » Nous sommes dans les années 1990. Les Troubles Musculaires Squelettiques (TMS) commencent à être évoqués, mais la souffrance psychique liée à l’activité professionnelle est encore bien loin d’être au cœur des préoccupations.

une-peze_.jpg La première consultation sur la souffrance au travail, c’est elle qui l’a créé en 1997 au sein du Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre. Depuis, si celle-ci a disparu, 35 ont vu le jour en France. Elle a également co-fondé, avec le professeur Christophe Dejours, une formation pluridisciplinaire au CNAM (Conservatoire national des Arts et Métiers). Intitulée le «  Certificat de spécialisation en psychopathologie du travail  », elle est ouverte aux membres des CHSCT, aux juristes, et aux cliniciens de terrain. «  Nous avons gagné la bataille des mots, sourit-elle. Nous sommes sortis alors de la naturalisation… Il ne s’agit pas d’un problème de personnes, spécifiquement fragiles ou bourreaux, mais bien d’une organisation du travail problématique.  » Comment expliquer l’explosion de ces troubles, et de leur prise en compte dans les médias et par les pouvoirs publics, depuis une vingtaine d’années ? Pour Marie Pezé, c’est l’intensification du travail qui en est à l’origine. «  Il ne faut pas oublier que les Français, s’il ne travaillent que 35 heures par semaine, occupent la 3e place mondiale en termes de productivité horaire.  »

«  En état de stress post-traumatique  »

Plus qu’une lassitude et un épuisement chez de «  simples  » secrétaires ou caissières, la psychologue a repéré chez ces professionnels le même «  tableau clinique  », que celui caractérisant l’état de stress post-traumatique d’anciens soldats. La faute, selon elle, aux nouvelles formes du travail et aux stéréotypes des managers français. «  Ils croient que les salariés doivent être disciplinarisés : ‘Il ne pense qu’à ses congés, il faut donc le secouer.’ Pourtant, de nombreuses études ont montré que ceux-ci souhaitent vraiment faire du bon travail.  » La sociologue et directrice de recherche au CNRS, Danièle Linhart, que cite régulièrement Marie Pezé, évoquait le concept de «  précarité subjective  ». Un état entretenu par les techniques actuelles du management, qui cherchent à déstabiliser, à mettre le salarié dans une situation inconfortable. Un salarié par ailleurs trop mal informé.

C’est pour remédier à cela, et au manque de mise à disposition des informations adéquates par les pouvoirs publics, que la psychologue a créé son site «  Souffrance et Travail  ». Y figurent notamment les techniques de management pathogènes : surutilisation du lien de subordination (tutoyer sans réciprocité, injures en public, utilisation de l’entretien d’évaluation à visée de déstabilisation émotionnelle…), surutilisation des règles disciplinaires (répartition inégalitaire de la charge de travail, stigmatisation publique d’un ou plusieurs salariés devant le reste de l’équipe…), etc. Ces techniques ont d’autant plus de conséquences aujourd’hui que la crainte de perdre son emploi est extrêmement répandue, dans un contexte de crise qui dure depuis plus de 30 ans. «  Certains manuels de management évoquent clairement le recours à la séduction ou à la peur pour persuader les salariés de faire plus.  » Sans compter les modes d’organisation de certaines entreprises clairement dangereuses… «  Le ‘time-to-move’ de France Télécom et ses mobilités forcées ont provoqué chez certains salariés la traversée des cinq fameuses étapes du deuil…  » (le choc/déni, la colère, le marchandage, la dépression, et enfin l’acceptation, selon Elizabeth Kübler-Ross, ndlr)

«  Elle voulait se tuer pour pouvoir enfin dormir  »

Quand on lui demande quels patients l’ont tout particulièrement marquée, Marie Pezé se souvient d’une secrétaire, en «  burn out  » avancé, salariée d’une entreprise américaine. «  Elle voulait se tuer pour pouvoir enfin dormir. Quand je l’ai rencontrée, elle s’était déjà renseignée sur les horaires des trains pour pouvoir se jeter sur la voie. Sa voix était atone, sans affect… Mais tous mes patients m’ont marquée.  » Décompensations psychiques, accès de violence… Tout au long de sa carrière, la psychologue a observé des pathologies plutôt graves, et directement liées au travail. «  Ce sont généralement les salariés les plus structurés, les ‘salariés-sentinelles’, qui sont le plus touchés par cette organisation du travail qui pousse toujours au ‘plus vite’.  » Quelles sont les caractéristiques de ceux qui s’en sortent ? «  Ce sont les plus rapides… Mais ils sont vite « crâmés ».  » Une situation d’autant plus inextricable que la démission n’ouvre pas de droits au chômage. D’un côté le harcèlement, de l’autre les risques d’exclusion, comme deux parties d’une même «  mâchoire  » qui se referme sur les salariés.
Face à cela, la méthode psychanalytique doit être écartée selon Marie Pezé : «  Quand une personne consulte alors qu’elle rencontre de grandes difficultés professionnelles, on ne va pas évoquer l’Œdipe ! Il faut nous décoller de l’histoire personnelle, car nous risquons de les maltraiter avec cette technique. Ces personnes-là sont en apnée, constamment sous cortisol (hormone du stress, ndlr). Il faut les considérer comme étant victimes du système, et appliquer des techniques spécifiques.  » Celles de la psychopathologie des violences collectives, plus précisément.

 » Les bonnes volontés sont partout… Mais les stéréotypes subsistent, autant du côté des employeurs que des salariés, et des syndicats « 

Ironie du sort, Marie Pezé connaît d’autant plus son sujet aujourd’hui qu’elle a elle-même été licenciée en 2010 du CASH de Nanterre. Atteinte d’un handicap, sur lequel elle préfère visiblement rester discrète, elle n’a jamais obtenu les adaptations de postes demandés. Un refus lié à un plan d’économies, et qu’elle a très mal vécu. Aujourd’hui, la simple idée de retourner dans ces lieux provoque, chez elle, des symptômes similaires à ceux qu’elle avait précédemment observé chez certains de ces patients. Les phobies, notamment.

«  Les bonnes volontés sont partout… Mais les stéréotypes subsistent, autant du côté des employeurs que des salariés, et des syndicats. Pourtant, nous avons d’excellents psychologues cliniciens, une école d’ergonomie reconnue au niveau international. Par ailleurs, d’excellents rapports parlementaires ont vu le jour… pour finalement n’aboutir à rien.  » Et de citer le «  Rapport Copé  », publié en 2009, l’un des travaux parlementaires auquel elle a eu l’occasion de participer. Une «  littérature grise  » ou «  littérature d’experts  » jamais utilisée. «  Le passage du verbe à l’action n’existe pas en France. C’est un énorme gâchis.  » Mais elle reste non loin de la ligue de front de la guerre économique, et de ses têtes cassées de la crise.

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4 commentaires sur “Marie Pezé, une psy au front de la crise

  1. Marie Pezé, une psy au front de la crise
    J’ai fait une crise d’épilepsie dans le cadre d’une placardisation (Boreout).

    Malheureusement, le burnout/boreout n’est pas encore reconnu en France comme maladie professionnelle.
    N’hésitez pas à utiliser mon témoignage (pétition) pour obtenir la reconnaissance du Burnout/Boreout en France.

    Lien vers mon témoignage : (Nécessaire de faire un copier/coller)
    https://www.change.org/p/scandaleux-viré-après-avoir-été-victime

  2. Marie Pezé, un apport concret
    Sans s’attarder sur l’origine de la chose (l’œuf ou la poule), l’essor de la psychopathologie du travail, en lien avec la souffrance au travail et les nouvelles idéologies managériales… (Pezé, Dejours…). Entre l’écrit qui reste réservé à des interprétateurs isolés par le concept et la posture engagée de Marie Pezé qui, opère une articulation intelligente par le recul vis-à-vis des concepts afin de remettre la consultation et par là même la discipline au centre de la Cité. Entre le terrain (réalité de la souffrance), écoute pragmatique (risquée), sans se départir des limites qu’impose la consultation en se référant aux autres disciplines (psychiatrie…), Pezé, à l’instar de Dejours qui a permis que le débat sur la souffrance au travail descende dans l’arène sociale (Cf : Souffrance en France), Marie Pezé, par sa combativité (contenue et discrète) a permis le positionnement concret et progressant de la discipline au sein de l’institution sanitaire, pour se proposer au service des autres et ainsi valider l’adage qui veut que le progrès, ne vaut que si il est partagé par tous…

  3. Marie Pezé, une psy au front de la crise
    Les travaux sur la souffrance au travail remontent aux années 1950 et étaient le fruit pour la plupart de médecins psychiatres dont le plus connu est le Docteur Louis Le Guillant. Peu de rides à ces travaux dont la lecture est toujours d’actualité. La multiplication des écrits, des émissions, des cabinets spécialisés en  » Souffrance au Travail » est à la fois une bonne chose mais elle expose à une risque dé dérive dont le plus grave est la simplification de la compréhension des processus psychopathologiques à l’oeuvre dans les rapports entre la subjectivité et le travail. Nous constatons fréquemment à un manquement qui fonde pourtant l’approche médicale à savoir l’établissement du diagnostic différentiel permettant d’éliminer des pathologies psychiatriques graves voir dangereuses pour autrui. La psychiatrie, dscipline médicale, a tout à fait son rôle dans la prise en charge des pathologies liées au travail d’ailleurs c’est aux médecins psychiatres que les expertises d’imputabilité au travail sont confiées mais la rigueur clinique et l’appréciation du risque d’intrumentalisation doivent rester au coeur de nos préoccupations et du fondement de notre profession. Docteur Brigitte Font Le Bret Psychiatre

    1. Marie Pezé, une psy au front de la crise
      Décidément, ces médecins savent vraiment tout et mieux que tout le monde. Le plus grave étant que nous autres simplets, nous ne nous en rendons même pas compte. Merci pour ce rappel.

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