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Les Influences

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#Alternatives Economique #Denis Clerc #INSEE #Pauvreté #Travailleurs pauvres

Travaillez, appauvrissez-vous !

Publié le 4 mars 2011 par

« La France des travailleurs pauvres », de l’économiste Denis Clerc démontre que ce phénomène n’est pas du tout une fatalité.

livre_clerc.jpg Fins de mois difficiles, emplois mal payés et indignes, inégalités et mal-être : non seulement la pauvreté se développe dans la société française parmi ceux qui sont marginalisés ou sans protection sociale, mais de surcroît elle touche de plus en plus le monde du travail. Il ne suffit plus de nos jours d’avoir un emploi pour échapper à la précarité matérielle. Selon l’économiste Denis Clerc, dans La France des travailleurs pauvres, essai qui vient d’être réédité en format poche, ce n’est pas, loin s’en faut, une fatalité. La politique de l’emploi semble en cause : elle privilégie, de façon manifeste, la quantité à la qualité.

8 millions de pauvres en France

L’INSEE mesure chaque année, à partir d’échantillons de déclaration fiscales, le «  revenu disponible par ménage  » ; il était de 1466 euros en 2006 (aux dernières statistiques connues). Tous ceux dont le revenu est inférieur d’au moins 40% à ce chiffre, soit moins de 880 euros par mois, sont considérés comme pauvres d’un point de vue monétaire. Selon cette mesure, dont les critères et les choix méthodologiques sont contestés, 13% de la population française serait pauvre, soit 8 millions de personnes. A l’échelle de l’Europe, la France est loin de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie, dont 20% de la population vit dans la pauvreté.

Qui sont ces «  pauvres  » ? «  En 1970, […] la grande majorité des personnes en situation de pauvreté étaient des personnes âgées, dont la retraite insuffisante ou inexistante était compensée par un minimum vieillesse particulièrement faible. […] Cette pauvreté se voyait peu : les personnes âgées ne font pas la manche […]. En revanche, les pauvres d’aujourd’hui sont des personnes comme tout le monde. Des familles avec enfants, des jeunes sans emploi, des chômeurs de longue durée, et même des travailleurs comme tout un chacun : en 2006, 1,89 million de personnes en situation de pauvreté l’étaient bien qu’elles travaillaient. Autrement dit, presque deux tiers des personnes en situation de pauvreté monétaire vivent dans un ménage de travailleur pauvre ! ».

Avec une analyse plus fine, on repère toute une variété de travailleurs pauvres, rappelle Denis Clerc : les nouveaux arrivants sur le marché du travail, des intérimaires, des travailleurs saisonniers, un grand nombre de salariés en CDD, les salariés à temps partiel, les emplois aidés… La pauvreté n’est plus marginale, elle se trouve au cœur du salariat. Et il faut ajouter à ceux-là, les allocataires des minimas sociaux, ASS, RMI ou API… Comment dès lors réduire ces demis ou ces quarts d’emplois à revenus indignes, et faire en sorte que chacun puisse vivre de son travail ?

«  Contre le chômage, on a tout essayé  » – François Mitterrand, 1993

De 1997 à 2007-2008, plus de 3 millions ont été créés, soir plus que pendant tout le période des Trente Glorieuses… Comment expliquer cette soudaine embellie de l’emploi ?

Par les emplois aidés ? Résultant d’un contrat à durée déterminée passé entre un employeur et une collectivité qui prend en charge une partie relativement importante du coût salarial, les emplois aidés sont censés favoriser une insertion plus durable, et permettent à l’employé d’acquérir, précisément, une meilleure «  employabilité  ». Si ces emplois ont effectivement fait baisser les chiffres du chômage, ils n’en sont pas moins temporaires, et «  dans la majorité des cas, les personnes concernées ont replongé dans le chômage  », constate Denis Clerc.

Faut-il compter à ce moment-là sur la baisse des cotisations sociales ? Elle est intéressante si elle est orientée vers les bas salaires, rappelle l’économiste : «  Elle permet de réduire la sélectivité du marché du travail. Car les employeurs sont d’autant plus exigeants vis-à-vis des salariés qu’ils recrutent que ces derniers coûtent cher et, dans le secteur marchand, si un emploi coûte plus cher qu’il ne rapporte, il finit tôt ou tard par être supprimé. D’autre part, cette forme de réduction du coût salarial favorise la création d’emplois peu ou pas qualifiés, en général payés à un niveau proche du Smic. Or ce sont ces salariés qui sont le plus victimes de chômage.  » Les mesures d’allègements de charges de 1995 et 1996 auraient permis la création ou préservation de 460 000 emplois. Toutefois, ces mesures se payent trop cher : 7 milliards d’euros à l’Etat en 1997, soit 30 000 euros par emploi supplémentaire.

Et les 35 heures ? Mesure largement décriée, la réduction du temps de travail aurait permis, toujours selon l’INSEE, la création d’environ 350 000 emplois supplémentaires. De 1997 à 2002, la création d’emploi s’est avérée nettement plus dynamique en France que dans tout le reste de l’Union européenne. D’un point de vue de l’emploi, la mesure est positive. Mais d’un point de vue économique, elle implique un coût salarial plus fort pour les entreprises, gelant la progression des salaires, et coûtant à la collectivité entre 6 et 8 milliards d’euros… Il n’y a donc pas de mesure qui soit parfaite, mais tout un ensemble.

Le marché de la pauvreté

Denis Clerc
Denis Clerc
Le philosophe de l’équité, John Rawls, nous enseigne que l’on mesure le degré de civilisation d’une société à la façon dont elle traite les plus désavantagés de ses membres. Il s’agit dès lors de ne pas se tromper d’objectif. Si « l’essentiel de la pauvreté est aujourd’hui lié à l’absence ou à l’insuffisance d’emplois  », la véritable question est la suivante : «  Comment réduire la pauvreté laborieuse ?  », car c’est bien le plus grave échec du marché que de ne pas permettre aux gens de vivre de leur travail. Denis Clerc émet une série d’idées de mesures concrètes et qu’il voit assez riches d’effets positifs.

Baisser le Smic est à proscrire, car si l’on peut supposer que cela créera de l’emploi par un coût salarial moindre, cela plongera dans la pauvreté davantage de travailleurs. L’idée est ainsi de « ne pas encourager les emplois paupérisants, c’est-à-dire à temps trop partiel pour que celui ou celle qui l’occupe puisse en vivre décemment. Car, paradoxalement l’Etat y consacre beaucoup d’argent  » avec les réductions d’impôts et les allègements de charges sociales.

Une seconde idée serait de créer un revenu social de complément : il s’agirait de compléter les revenus d’activité de sorte que la rémunération perçue devienne au moins égale à celle du seuil de pauvreté. «  Le RSA devait être la carotte permettant de revenir à l’emploi, pas le moyen de lutter contre la pauvreté laborieuse. […] Et l’on a oublié que, sur les 3,7 millions de ménages devant recevoir le RSA, la grande majorité était déjà en emploi (2,5 millions sur 3,7), et que le problème, pour eux, était la mauvaise qualité de l’emploi dont ils ne parvenaient pas à vivre.  »

D’autres idées encore pour lutter contre la pauvreté en France : transformer les emplois aidés pour qu’ils deviennent «  transitionnels  » plutôt qu «  occupationnels  », en leur permettant d’être à durée variable, à temps plein, ouverts aux entreprises plutôt que réservés aux associations et collectivités publiques. Il s’agirait également de réformer l’indemnisation du chômage en diminuant les allocations des cadres, qui n’ont en général aucune difficulté à retrouver un travail, et en augmentant celles des plus menacés (travailleurs temporaires, saisonniers, etc.) ; allocation qui serait suspendue en cas de recherche insuffisante ou inexistante d’emploi. Il faudrait enfin favoriser l’insertion par l’activité économique: entreprises d’insertion, entreprises de travail temporaire d’insertion, association intermédiaires, ateliers et chantiers d’insertion, etc.

Denis Clerc a bien conscience que ces mesures auront un coût important. «  Mais il s’agit d’un investissement dans l’homme  ». A l’heure où le gouvernement est en train d’annoncer un train de mesures pour aider les jeunes et les formations en alternance, il est clair que la puissance publique a tous les moyens de mettre en œuvre des politiques de lutte contre la pauvreté, et surtout contrer les effets désastreux de la pauvreté laborieuse. Le livre de Denis Clerc agit comme une utile piqûre de rappel.

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