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Les Influences

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#Donald Trump #Etats-Unis #Politique

USA, naissance d’une nation fasciste

Publié le 18 janvier 2021 par

L’idée : Trump perdant des élections ? Dans un long article publié par le New York Times, l’historien Timothy Snyder, spécialiste des totalitarismes, fait l’inventaire du trumpisme et de ses marqueurs.

L'historien Timothy Snyder (source : Chronicle.com)
L’historien Timothy Snyder (source : Chronicle.com)

HISTOIRE DES IDÉES. Grand spécialiste des régimes totalitaires du XXe siècle et observateur attentif de la politique américaine, l’historien Timothy Snyder décrit, dans un long article paru dans le New York Times le 9 janvier 2021[[The American Abyss. Disponible en français sur le site du journal depuis le 13 janvier sous le titre L’Amérique au bord de l’abîme.]], le processus qui a mené le camp républicain d’un soutien du bout des lèvres en 2015 au profond malaise né de la prise du Capitole par des sympathisants se réclamant de leur parti.
Dans cet essai, il est beaucoup question de racisme, de prédations, de post-vérités mais aussi de pré-fascisme et de fascisme. Rappelant que, depuis quatre ans, le débat sur la nature du régime trumpien agite le monde universitaire américain (entre ceux qui rejettent le rapprochement avec les régimes fascistes par ce que fondé sur des comparaisons directes et ceux qui y voit un phénomène dont les caractéristiques peuvent être observées au-delà de l’Europe des années trente), l’auteur de De la tyrannie[[De la tyrannie. Vingt leçons du XXe siècle, traduit de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat, Gallimard, 2017.
Signalons également l’analyse du philosophe Jacques Rancière parue sur le site AOC : Les fous et les sages – réflexions sur la fin de la présidence de Trump (13 janvier 2021).]] met en avant la connaissance du passé pour pouvoir «  distinguer et conceptualiser des éléments du présent qu’autrement nous négligerions  ».

Le président de la post-vérité

Tout a commencé dès 2015 par des petits mensonges, nombreux mais petits. Leur effet s’est fait sentir par accumulation : les croire revenait à accepter l’autorité d’un seul homme et à rejeter tous les autres faits. À l’instar des leaders fascistes, Trump s’est rapidement présenté comme l’unique source de vérité. Son recours au terme «  fake news  » fait écho au sinistre Lügenpress des nazis qui qualifiaient, comme lui, les journalistes d’«  ennemis du peuple  ».
Fort du succès de la mise en place de cette réalité alternative, Trump est passé aux mensonges moyens, comme d’autres dirigeants, en Pologne ou en Hongrie : il est un homme d’affaires brillant, la Russie ne l’a pas aidé en 2016, Obama est né au Kenya, etc.
Une fois conditionnée, une large partie de l’opinion est prête à entendre le «  big lie  ». En novembre 2020, Trump a fait passer auprès de millions de personnes (grâce à Twitter) «  un mensonge autrement dangereux dans son ambition  » : il a gagné l’élection !
La force d’un mensonge de cette taille réside dans le fait que beaucoup d’autres choses doivent être crues ou rejetées pour y adhérer : il sous-entend la méfiance envers les journalistes et les experts de toutes sortes et envers toutes les institutions quel que soit l’échelon (depuis les responsables des bureaux de vote jusqu’à la Cour suprême en passant par la Homeland Security). Cette fiction, fondée non sur des faits vérifiables mais sur des allégations reprenant d’autres allégations, repose donc sur la mise en palace d’une théorie du complot.

Le complot anti-Noirs

Juin 2015, le gouverneur d'Alabama décide de faire dépendre le drapeau confédéré considéré comme raciste, qui jusqu'alors flottait devant le Capitole de cet État.
Juin 2015, le gouverneur d’Alabama décide de faire dépendre le drapeau confédéré considéré comme raciste, qui jusqu’alors flottait devant le Capitole de cet État.

L’analyse de Timothy Snyder devient moins convaincante quand il a lui-même recours à une forme de théorie du complot. Mettant en avant la haine multiséculaire qu’éprouve une partie de la population à l’encontre des Noirs, il relève que les irrégularités électorales pointées par le camp trumpien concernent principalement des villes où vivent et votent des Noirs. C’est pour lui la preuve que le «  fantasme de fraude correspond au fantasme d’un crime commis par les Noirs contre les Blancs  ».
Il s’attache dès lors à démontrer en quoi ces suspicions de fraude sont totalement infondées en recourant à une série d’observations dont le but est peut-être de convaincre les lecteurs que les Noirs votent peu : ils «  attendent plus longtemps que les autres  » pour voter ; ce sont «  leurs bulletins qui sont vérifiés le plus souvent  » ; ils sont plus «  susceptibles  » que les autres de souffrir ou de mourir de la Covid-19 ; il leur est plus «  difficile de s’absenter du travail  ». Du reste, la Cour suprême n’a-t-elle pas supprimé la protection de leur droit de vote laissant libre cours aux États pour adopter des mesures qui ont pour effet de réduire le vote des pauvres et des communautés de couleur ?
Une autre preuve flagrante du racisme anti-Noirs est ensuite avancée : lorsque Ted Cruz annonce son intention de contester le résultat du vote, il invoque le Compromis de 1877 qui avait permis, face au blocage des chambres (un contexte bien éloigné donc des élections des représentants en 2020), de clore les élections de l’année précédente. Or pour les Afro-Américains, cette décision de déclarer vainqueur Rutherford B. Hayes marque précisément leur mise à distance des isoloirs pendant près d’un siècle, avec la fin de la Reconstruction et la mise en place d’une discrimination légale des Noirs (dont les lois Jim Crow). Snyder qualifie ce moment de «  péché originel de l’histoire américaine post-esclavagiste  » et de «  flirt le plus poussé à ce jour [de l’Amérique] avec le fascisme  ». Du coup, le défilé des drapeaux confédérés au Capitole n’est-il pas une preuve de la résurgence de cette tendance ?

Les prédateurs du Grand Old Party

Après avoir précisé que, il y a justement un siècle, c’était les démocrates, majoritaires dans les États du Sud, qui étaient anti-Noirs et relevé que, aujourd’hui, ce sont leurs candidats qui obtiennent les meilleurs scores auprès des femmes, des non-Blancs et des électeurs ayant fait des études supérieures, Snyder propose de révéler ce qui se cache sous le capot du Parti républicain pour en dévoiler la mécanique cynique et délétère.
Les leaders de ce parti sans légitimité électorale (depuis longtemps minoritaire) ont mis en place une stratégie bien cachée afin de profiter du système. Cette stratégie, mise en place depuis les années Reagan, repose sur la légitimation mutuelle que s’accordent les deux grands courants en concurrence en son sein. En «  qualifiant les élections de révolution (Tea Party) ou en prétendant s’opposer aux élites  », elle leur permet de détourner l’attention de la réalité : servir l’intérêt de quelques-uns.
D’un côté, les «  gamers  », les joueurs (la majorité des politiciens et certains électeurs), qui utilisent le système pour se maintenir au pouvoir, tirant parti des failles du système constitutionnel pour emporter des élections avec seulement une minorité d’électeurs motivés. Une partie de ces joueurs ont repris le récit délirant de Trump et lui ont permis de s’épanouir tant qu’il servait leur jeu. À leur tête, Mitch McConnel dont le silence tactique équivaut à une approbation.
De l’autre côté, développant une stratégie très éloignée, les «  breakers  », les casseurs (quelques politiciens et de nombreux électeurs), qui cherchent à briser le système et à conquérir le pouvoir en dehors de la démocratie.
Le fossé entre ces deux groupes est devenue particulièrement visible le 30 décembre dernier quand le sénateur Josh Haley, suivi par Ted Cruz et 10 autres sénateurs (et une centaine de représentants) ont annoncé leur intention de remettre en cause la validité du scrutin prévu le 6 janvier au Congrès. Et il n’a fait que se creuser au cours du mois de janvier.

Les républicains à l’heure du choix

Au début, le racisme affiché et les mensonges continuels et grossiers de Trump ont fait peur aux joueurs : faute de culture politique, il menaçait l’équilibre subtil mis en place par le parti. Mais une fois au pouvoir, ses talents de casseur ont permis aux joueurs de tirer leur épingle du jeu pour s’assure un maximum d’avantages (dont les réductions d’impôts pour les plus riches).
L’objectif de Trump, dépourvu de toute idéologie, n’est pas pour autant de casser le système au profit d’un groupe mais pour lui-même. Sa vision n’a jamais dépassé son propre reflet dans le miroir. Quand il profère son plus gros mensonge sur le truquage des élections, c’est parce qu’il est conscient du risque de perdre personnellement beaucoup. Snyder estime cependant difficile de lui prêter l’intention d’avoir fomenté un coup d’État décisif, tout en restant persuadé qu’il a bien tenté un coup. Il n’a par exemple jamais cherché à s’assurer de la sympathie des chefs de l’armée – au contraire – pourtant indispensable au succès d’un tel projet et sa manipulation des réseaux suprémacistes, via Twitter et lors de son discours devant la Maison-Blanche, ne dénote aucune intention de la sorte. En conséquence, les manifestants n’avaient aucune idée claire de ce qu’ils pouvaient ou devaient faire une fois à l’intérieur du Capitole !
Dans le même temps, Snyder nous met en garde : son «  ralliement  », quelques jours plus tard, à une transition pacifique n’est pas une volte-face. Il accompagne sa déclaration d’une reprise amplifiée de sa fiction électorale. Bien plus, il cherche à l’élever au rang de cause sacrée (certains se sont même déjà sacrifiés pour elle) faisant de lui la victime, une sorte de «  martyr en chef  ».
Après l’invasion du Capitole, les joueurs, effrayés, estiment que Trump est discrédité et qu’il est désormais inutile car il ne peut plus les aider à masquer leurs stratagèmes.
Et s’il apparaît comme le casseur en chef, Trump est de plus en plus encombrant pour son clan (Cruz, Hawley, Gaetz) : comment hériter de quelqu’un qui est toujours dans le jeu ? C’est la raison pour laquelle les casseurs cherchent maintenant à transformer le mythe de Trump en quelque chose qui le dépasse : un mythe sur la nation. Au risque, malgré toutes les précautions oratoires propres à la post-vérité (ne pas parler de fraudes mais d’allégations de fraudes), de se trouver définitivement asservis au mensonge et de se transformer en une faction fasciste s’appuyant sur «  une minorité en colère, organisée et enfin prête à la violence  » pour voler les prochaines élections. Puisque leurs adversaires l’ont fait en 2020.

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