Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Julian Assange #Le Rhéteur cosmopolite #WikiLeaks

Notre psy, WikiLeaks

Publié le 11 décembre 2010 par

J’essaie de comprendre la rhétorique WikiLeaks.

Génération Vanité

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
Les blancs-becs de la Génération Y sont surexcités, «  c’est la démocratie en action !  » Bien sûr. Alors je m’informe en relisant un article du New York Review of Books à propos de Facebook et de cette famous Génération Y[[Zadie Smith, «  Generation Why?  », New York Review of Books, 25 novembre 2010 (http://www.nybooks.com/articles/archives/2010/nov/25/generation-why/?page=1).]]. Je comprends aussitôt que la vie privée est une commodité, comme disent les économistes, et que les réseaux soi-disant sociaux sont en fait des assemblages mécaniques (ils sont électroniques, donc mécaniques) de production standardisée (par Facebook et ses critères casuistiques) de cette commodité. Et puis, baste, j’ai été brièvement au tutorat d’Althusser et j’ai lu Marx, a luta continua, et je sais qu’une commodité est un bien produit par le travail, et qu’il en résulte une valeur d’échange. Je vois bien que pour Facebook le travail c’est la vie privée du blanc-bec à la tâche, et que ce «  travailleur  » se fait complètement berner par le capitaliste qui vend cette vie privée à des annonceurs, comme un produit, et ne paie rien à Gros Jean comme devant. Jamais la rouerie capitaliste n’a aussi bien fonctionné. Jamais l’adulation perverse du bien produit n’a été aussi bien intériorisée par ceux qui n’ont rien, sauf leur privé à donner. Jadis on se donnait volontairement en esclavage en donnant ce seul qu’on avait, le privé du corps.

Tout ça fonctionne à la vanité, valeur sûre depuis qu’on ne lit plus les Évangiles.

Vanitas vanitatum en effet. Régulièrement, des firmes américaines m’embêtent pour que ma biographie paraisse dans tel ou tel Who’s Who : ma réponse est immuable, un versement préalable de 5000€, et pour cette édition seulement, et une menace de poursuites par mon solicitor s’ils s’avisent de publier sans mon consentement. Parfois je reçois une réponse sincèrement, gentiment, vainement, très Génération Y et perplexe. «  Comment je ne suis pas «  fier  » que ma biographie soit online ?  » Non. Si ma «  biographie  » a une valeur marchande, j’en veux ma part, puisqu’elle est le produit de mon travail-vie. Sur Facebook, on donne tout contre rien  et le travail-vie fait faire des millions à Mark Pain de Sucre.

WikiLeaks ? Je ne sais pas. J’ignore si Mister Assange est comme («  as  ») un ange et empile des bénéfices sur le dos du travail des diplomates et militaires américains, ou s’il est un angélique baudet («  ass  ») qui porte les couffins fourrés de renseignements du SVR russe[[L’espionnage russe, successeur du Premier Directorat du KGB, me semble-t-il.]]. J’ai lu les câbles des ambassadeurs américains en poste à Paris, relatant des conversations avec M. Rocard, Mme Royal, M. Hollande, M. Strauss-Kahn, M. Kouchner et même M. Morin[[Consultés sur http://213.251.145.96/origin/36_0.html]]. Leurs portraits sont involontairement criants de vérité («  M. Hollande sous-impressionne  »[[Câble classé «  confidentiel  » du 7 juillet 2005 («  François Hollande underwhelms ambassadorial group  »).]]) mais, comme je ne suis pas comédien stand-up, je n’en ai pas saisi l’intérêt, surtout quand ce n’est plus d’actualité. J’ai aussi lu sur Twitter les sottes dix-neuf pages de messages, en suédois, d’Anna Ardin, l’accusatrice aristophanesque de Julian Assange[[Le message 336, prélude au «  viol  ».]]. Et je ne comprends toujours pas ce qu’est WikiLeaks sauf, comme tout le monde vous le dira, que c’est un déballage. Mais un déballage de quoi ?

Assange assèche

time_wikileaks_vignette.jpg «  Leak  » est un mot intéressant : il vient du proto-germanique, *lek-, qui signifie que quelque chose s’assèche, d’où un manque. Une fuite ça assèche d’où ça vient, qui du coup est en manque, et ça «  mouille  » là où ça passe (un autre sens, par homophonie avec un mot de l’ancien Norse). Bref, les WikiLeaks ça assèche, ça crée du manque et ça mouille. D’où le nom de Julien l’Apostat cybernétique : «  assange  », l’ange qui assèche. Et mouille les Américains.

Vous me trouvez délirant ? Lisez plus avant.

D’abord, comme je suis rhétoricien et un peu philosophe, ça m’agace de ne pas comprendre. Je suis censé déboulonner au chic et renvoyer, en volée de revers, les phénomènes de parole publique. Là, je cale. Ma boîte à outils manque de clef à molette et mon étui d’une bonne raquette. Bien sûr j’ai des idées, comme tout le monde, sur les raisons, les intentions, les dérapages. «  Une idée d’imbécile  », répliquait, je crois, Louis Jouvet à Suzy Delair, «  mais une idée tout de même  »[[Dans Lady Paname d’Henri Jeanson (1950).]]. Mais je ne vois pas comment, tout de même, expliquer le phénomène : tenez, The Economist parle de «  démocratie athénienne 24 /24  » pour qualifier les contre-attaques par les supporteurs anonymes d’Assange, rejetons de la Génération Y[[En date du 8 décembre 2010. (http://www.economist.com/blogs/babbage/2010/12/more_wikileaks).]]. C’est une formule, à la Jouvet, mais vraiment je ne comprends pas ce qu’elle veut expliquer. J’évoque la voix parigote de Suzy Delair : «  Ct’ Athaînes, vint’ quâââtre heur-eu sur vint’ quâââtr’  »… et j’entends une idée d’imbécile.

Alors, comme il est question de viols répétés du secret d’État et d’une accusation de viol, de la levée des protections dont jouissent diplomates ou militaires et de sexe non-protégé, de fuites et du refus de la fuite (Assange s’est livré à la police anglaise), que tout cela tisse un rapport entre jouissance et pouvoir, relire Lacan s’impose. Je range ma Rhétorique d’Aristote et j’ouvre Encore[[Jacques Lacan, Le Séminaire. Livre XX. Encore (Paris, Seuil, 1975).]]. Et je pose la question : «  Où, Y qui fut y  » ?[[Bref, en traduction hyperlacanienne de «  wiki leaks  ».]]

Les quatre discours de WikiLeaks

Lacan distingue quatre types de discours par quoi l’être parlant, comme il dit, a prise sur le monde et les autres : la parole du maître, celle de l’université, celle de l’hystérique et celle du psychanalyste. Tout est là[[Encore, chapitre II, p. 21 pour un divin diagramme qu’on devrait apprendre, par cœur, en classe de troisième et afficher dans toutes les salles de rédaction.]].

1. La parole du Maître.

Le maître est cet être parlant qui produit un signifiant capable d’investir des objets multiples (qui sont donc «  signifiés  »). C’est cela la maîtrise. Mais, hélas, il y a toujours encore plus à signifier et le maître, tel Achille courant à pure perte après la tortue, ne rattrape jamais ce plus à signifier, et à investir de son pouvoir. Ce sur-plus (le plus qui échappe en sus de ce qu’on a déjà signifié et investi) s’appelle l’objet a, c’est-à-dire le désir, qui est toujours donc un manque (un sens de «  leak  », voir plus haut). La parole du maître s’assèche donc encore et encore Cela se nomme la jouissance : savoir que le dépit de ne jamais être satisfait n’est pas le pire, mais la reprise de la prise. Jouir est ainsi illimité. Encore, et encore.

Eh bien, regardez WikiLeaks : après les fuites sur la guerre en Irak, les fuites sur la guerre en Afghanistan, voici les fuites diplomatiques. Encore et encore. La limite n’existe pas. On pourra toujours assécher ici et mouiller là. Et c’est le ressort même des Anonymes qui défendent Assange : ça n’a pas de limite, il manque toujours un document, car il s’agit d’une forme neuve du discours du maître qui veut investir tous les objets possibles et avoir prise sur toutes les formes de gouvernance (voir la Mission)[[About WikiLeaks (http://213.251.145.96/about.html).]]. Leur objet a c’est le secret d’État américain.

D’où le culte wikileakiste de la «  transparence  » : il faut jouir de la tombée d’un voile, et d’un autre, et encore d’un autre ; bref, être pornographe. Les wikileakistes, en prise sur la masse des pornocybernautes (25% du trafic, 57 milliards de revenus par an) sont accrochés comme eux à la jouissance virtuelle, vivent du sur-plus, et veulent jouir, encore et encore, et ne se satisfont jamais. Discours du Maître.

(Précision : pour Lacan la jouissance est toujours celle du phallus d’où, je suppose la justesse, métaphorique, de l’accusation de viol portée par Anna contre Julian : tu as joui, pas moi, donc tu m’as violée – mais, comme disait Lacan, c’est toujours comme ça, Madame… les Écrits sont tout de même traduits en suédois…il faut lire, dame !).

2. La parole de l’Expert.

Lacan vivait à une époque bénie où l’Université était le seul reposoir du savoir, il disait donc «  discours de l’Université  », mais on peut parler désormais du discours de l’expert, de celui qui «  sait  ». Ici c’est le «  savoir  » qui actionne la machine désirante du pouvoir, par une expertise qui se présente comme neutre, universellement garantie, où celui qui l’exprime se cache sous l’autonomie neutre du Savoir.

Paradoxe : plus le savoir est imparti par celui qui prétend n’en être que le simple passeur, plus ce savoir est présenté comme évident, vérifiable, indépendant de celui qui le prononce, plus il est donc présenté comme «  transparent  » (un mot clef de la Mission de WikiLeaks) ; et plus celui-ci qui l’actionne dissimule son désir de maîtrise. Exemple sublime : Mediapart. Exemple grotesque : l’émission «  On n’est pas couché  »[[France 2.]].

Alors que dans le discours du Maître il s’agit du sur-plus de jouissance à investir les autres, et à en faire parade, il s’agit ici de ne rien dire de la manœuvre. La jouissance de l’Expert est dans sa dissimulation sous la transparence du savoir. Voilà pourquoi les intellectuels ou les experts font de mauvais politiciens et que M. Strauss-Kahn ne sera jamais président. Ils n’osent pas jouir ouvertement du pouvoir. Ils font «  comme si  » ils n’existaient pas.

«  Comme si ?  » Dans le cas de WikiLeaks, ce que révèlent les fuites c’est l’incroyable banalité des informations et le désir de les faire passer pour des preuves absolument transparentes d’un savoir expert (celui du diplomate, et celui de WikiLeaks). Comme si on ne savait pas que les États-Unis sont le principal suppôt d’Israël. Comme si on ne savait pas que les Arabes détestent les Aryens (en termes moins linguistiques : les Saoudiens, les Iraniens). Comme si on ne savait pas que la guerre est cruelle. Comme si…J’ai été frappé de la banalité de la longue note écrite en préparation à la visite de M. Obama[[Câble classé «  secret  » du 20 mars 2009.]]. Ou le politicien de Chicago ne lit pas les journaux, ou ses diplomates sont des sots ? Non : le rédacteur du câble fait «  comme si  » son patron ne savait pas (on espère).

Or cette transparente banalité, tant des documents eux-mêmes que de la mise en scène wikileakiste, dissimule que le vrai savoir n’est évidemment pas là. Plus ça fuit, plus ça nous «  manque  » (souvenez-vous du sens du mot) de savoir si, dans le fourrage, il y a de vraies choses qu’on ne savait pas, vraiment pas, des choses qui soient comme des preuves irréfutables de choses inouïes. Pas du «  comme si  » qui se comporte comme de la Vérité.

3. La parole de l’hystérique.

Dans le discours hystérique, la machine à parler n’est plus actionnée par le maître du signifiant ou le savoir expert mais par le sujet barré $[[ésormais, souvent noté $, symbole du dollar, à cause de la standardisation des claviers. Lacan, grâce aux imprimeurs, barrait le S transversalement, de la tête à la queue et de droite à gauche.]].

Qu’est-ce que le sujet barré $? C’est vous et moi en qui le langage réactive incessamment un refoulement originaire : le refoulement est là, comme une barre, mais on ne le (la) voit pas. Le refoulement nous parle cependant à coups de symboles (c’est le langage) qui nous dirigent : le refoulement nous «  tient la barre  » mais ce barreur est invisible. Le refoulement est toujours une scène fondatrice de séduction, au Père. Alors, l’hystérique essaie de reprendre la barre (c’est, cliniquement, une névrose de défense) en offrant des sur-interprétations, du savoir à la tire-larigot, des discours «  hystériques  » sur son état qui vous prennent la tête. Et ce défoulement de paroles est sa jouissance. Lacan : «  Ce qui lui importe, c’est que l’autre qui s’appelle l’homme sache quel objet précieux elle devient dans ce contexte de discours  »[[Lacan, Le Séminaire. Livre XVII. L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p.]]. L’hystérique «  sait  », mieux que l’analyste, et jouit de ce savoir en (se) le donnant au psy. Le système tient à la séduction qui reprend la barre invisible, bref la scène refoulée de séduction d’où toute la machine s’engrène.

Certains politiciens se donnent comme maîtres d’une parole d’Expert quand il sont en réalité «  hystériques  » : ils sont toujours à en rajouter sur «  je sais, je sais mieux, je sais tout  », ils se défoulent sur nous, qui devenons leur jouissance, du refoulement de la séduction du Père (on a saisi : Mme Royal n’en revenant pas du Père, Mitterrand).

WikiLeaks  est aussi la mise en scène d’une séduction refoulée, que Wikileaks défoule sur internet. Je propose de nommer ce refoulement : l’authenticité.

Je m’explique : les fuites sont du vrai, mais du vrai plus que vrai. Je m’explique derechef : le vrai judiciaire est du vrai fabriqué à coups de preuves aléatoires (d’où l’erreur dite judiciaire quand une nouvelle pièce change la «  conviction  » ; d’où l’invention aussi de l’ «  intime conviction  » par les juristes de la Révolution française pour parer, au nom de l’infaillible raison individuelle, aux aléas des pièces dites, faussement, à conviction). Le vrai politique, lui, se fabrique à coups de scénarios (du type : si j’ai fait x, vous devez me croire, je ferai y…ah bon ? et pourtant une élection fonctionne sur ce tour de passe-passe). Mais le vrai-de-vrai, bref l’authentique, est une autre affaire. Il relève du désir absolu de jouir de ce qui n’est ni de conviction ni de scénario, de ce vrai derrière quoi il n’y a pas de double fond.

La cataracte WikiLeaks, comme le défoulement des paroles hystériques, déverse de l’authentique sur le monde : «  Lisez, et ça suffit pour tout comprendre  ». Assange, qui fait l’âne et l’ange, a vu Dieu. Dans la conception WikiLeaks de l’information journalistique comme exposé continu de documents secrets, ces documents se suffisent à eux-mêmes. C’est cela l’authenticité. Il suffit de toujours plus en déballer pour savoir «  comment ça marche  ». Jamais le littéralisme biblique n’a été poussé à cet extrême. «  Mangez et buvez  ».

(Essayez donc de transférer le système aussangiste dans votre vie privée et vous verrez que c’est la vie elle-même qui s’en assèche, à coups de notes authentiques trouvées dans la lessiveuse).

4. La parole de l’analyste.

Il s’agit ici de la cure. Je ne peux pas jouir de la vie, à cause de maman, guérissez-moi, docteur. Nous ne pouvons jouir du monde à cause de mamérique. Guérissez-nous, Assange.

Dans ce discours-ci, l’analyste se met à la place de l’objet du désir, qu’il occupe dans la mesure où l’analysant (le «  patient  ») veut en faire son partenaire dans le crime, en quelque sorte – admettre le désir du Père. Nous sommes les analysants de WikiLeaks, notre analyste global. Et de quoi veut donc nous guérir WikiLeaks ? De l’Amérique, sa cible obsessionnelle ? Oui, et mieux encore : de la politique. Dans le mi-dire  des fuites la politique des démocraties s’assèche comme devant l’image primale du Père nu[[J’attends des «  où Y qu’y fuit  » de Chine, d’Iran, et des autres régimes bénins.]].

Je m’explique sur cette sibylline formule primesautière. Dans le protocole de lecture wikileakiste[[About WikiLeaks (http://213.251.145.96/about.html).]], qui peut se lire en parallèle avec les protocoles de psychanalyse[[Par exemple, ceux de l’École de la Cause freudienne. (http://www.causefreudienne.net/index.php/ecole/textes-fondateurs/principes-directeurs-de-l-acte-psychanalytique).]], le «  mi-dire  » est le terme clef comme il l’est dans la cure: il n’est jamais question de commenter les documents, WikiLeaks observe un silence de psy ; écrits qui sont donc laissés au milieu de la cybertable, là, entre le dire stupéfiant de leur nudité désirable et traumatique (comment, on nous trompe, nous sommes dupes !), et ce que nous devons en dire pour nous-mêmes et pour ce que nous désirons de «  la politique  » (mais que c’est excitant !).

C’est un terrible piège car, pour citer maître Jacques, «  les non dupes errent  » : nous ne sommes plus dupes (sur tel ou tel point, et à condition de passer au tamis les centaines de milliers de documents) mais nous errons en pensant que nous sommes guéris. Guéris de quoi, en fait ? de la politique, le nom du Père? J’ai bien peur que le pire soit à venir si la Génération Y tombe dans ce piège, et nous y entraîne.

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Un commentaire sur “Notre psy, WikiLeaks

  1. Notre psy, WikiLeaks
    « Ils » ont tout éffacé…

    Situation analytique? certes! d’où l’intérêt.
    Mister Assange analyste? Rien de moins sur, au contraire! C’est lui qui cause…par délégation, en hystérique ventriloque.
    Le mot de la fin: « Du Père au Pire » (Lacan, Télévision).

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