Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Pierre Auzias, l’Ulysse des Inuits

Publié le 19 mai 2011 par

Le peintre Pierre Auzias part rejoindre le Groenland à la voile. Son projet : un film sur les bouleversements que rencontre l’ancienne colonie danoise des Inuits à l’heure de la mondialisation et du dérèglement climatique.

auzias.jpg «  Il y aura sans doute des vents contraires, mais ce sont surtout les glaces qui m’inquiètent  ». La voix est posée, les gestes témoignent d’une surprenante sérénité à la veille de ce long voyage dans les mers froides. Pourtant, derrière son allure paisible de bonze tibétain, Pierre Auzias est un bourlingueur compulsif, un acharné de liberté : il s’apprête à larguer les amarres de l’Avannaq, son voilier de 11,30 mètres, pour un trajet de 3.500 kilomètres jusqu’au Groenland. Nous sommes sur le port de Granville, en Normandie, à quelques encablures des îles Chausey et de Jersey ; le vent forcit, la météo annonce une dépression sur la Manche, le marin hausse les épaules. Il partira de toute façon.

«  Ce voyage, c’est notre manière d’officialiser le jumelage entre Granville et Uummannaq, notre port d’arrivée, sur la côte ouest du Groenland. J’aimerais que notre sillage soit un fil tendu entre les deux communes. A bord, mon coéquipier Bertrand Lozay en profitera pour commencer à filmer un documentaire où nous nous interrogerons sur la place des Groenlandais dans le monde actuel  ». Un troisième larron, Jacques Poumet, universitaire et longtemps moniteur à l’école de voile des Glenans, les accompagnera jusqu’en Islande.

Ensuite, ce sera la traversée de l’Atlantique, au-delà du cercle polaire. Un périple qui ne semble pas impressionner Pierre Auzias. A 57 ans, il n’en est pas à sa première aventure.

Premier iceberg

Il vit au Groenland depuis 2006, avec sa compagne Annie Kerouedan, une Française, aujourd’hui médecin chef de l’hôpital de la commune d’ d’Uummannaq – 2300 habitants et 5000 chiens de traîneaux. Ce «  faux calme  », comme disent ses proches, a trouvé son apaisement dans les terres gelées de ce paysage grandiose et tourmenté. Il se souvient de «  l’émotion  » qui l’a assailli à la vue de son premier iceberg, en 1994, et de la «  gaieté fantastique  » des Inuits. Il se souvient aussi de ses rêves d’enfant, quand il s’imaginait «  fuir à bord du pointu de (s)on arrière grand-père paternel  », un ancien de la marine marchande avec une jambe de bois et des tas d’histoires de pays exotiques.

Né sur la Côte d’Azur, Pierre Auzias grandit à Lyon mais s’échappe vite du foyer familial pour aller «  danser (s)a vie  », comme il dit : en 1970, a 16 ans, il monte à Paris pour devenir danseur professionnel, dans une période mouvementée où les compagnies contemporaines venaient chambouler les règles du ballet classique. Pierre Auzias se fait un nom, mais reste sur sa faim. «  La danse, je l’ai vécue durement, raconte-t-il. J’étais esclave de mon art, alors que je me sentais plutôt bohème et vagabond  ». A la fin des années 1970, il part réfléchir à son avenir au port de Granville.
A force de contempler la mer, il s’achète un premier bateau en 1979 et fait ses armes de skipper autour des îles Anglo-normandes – il pousse parfois jusqu’à Pont-Aven, sur la côte sud de la Bretagne, «  pour aller voir les tableaux  » de cette petite ville-musée où beaucoup de rez-de-chaussée abritent une galerie d’art. Car, au moment où il a le sentiment que la danse prend trop de place dans sa vie, il sent monter une nouvelle passion : la peinture.

«  Le mythe de l’Esquimau en a pris un coup  »

En 1984, le danseur étoile abandonne tous ses contrats pour traverser l’Atlantique, «  à bord d’un cornu en bois de 32 pieds  » et vivre sous le soleil des Caraïbes. «  Pendant cinq ans, mon bateau a été ma maison  ». Il rentre de temps en temps en Europe pour renflouer son porte-monnaie, en donnant des cours de danse ou en dansant dans des ballets scandinaves. C’est lors d’un séjour au Danemark qu’il rencontre sa première femme. «  J’aurais pu continuer ma vie de marin bohème, mais j’ai choisi l’amour  ». Il revend son voilier et vient poser sa malle à Copenhague en 1989. Il en sort des carnets de croquis et des toiles réalisées au cours de ses pérégrinations, arrive à les exposer et se fait remarquer par la critique – «  au point qu’un officier est venu me demander de devenir peintre officiel de la marine danoise  », s’étonne-t-il encore. Et cet officier, c’était l’amiral de la flotte danoise, en personne.

L’antimilitariste ne se sent pas vraiment refuser cette proposition alléchante, qui lui permettra de sillonner les mers du nord. C’est au cours d’une campagne d’inspection sur les côtes groenlandaises qu’il lâche ses pinceaux de stupeur devant «  les couleurs et la majesté  » de son premier iceberg. «  C’est tombé à une période où je recherchais davantage de violence dans le motif, où je voulais une nature forte  », explique celui qui ne peut pas se retrouver «  devant une falaise noire sans avoir besoin d’y ajouter des rouges, des jaunes, des bleus  ». Lorsqu’il met pieds à terre, il a en tête les récits de Paul-Emile Victor. «  Le mythe de l’Esquimau en a tout de suite pris un coup. Les gens ne s’habillaient pas avec des peaux d’ours mais circulaient en motoneige et faisaient leur course au supermarché  ». Il y retrouve le goût de peindre et décide d’y vivre après avoir rencontré Annie Kerouedan, une femme originaire de Granville qui venait d’accepter un poste à l’hôpital d’Uummannaq.

«  Un pays nerveux et émotif  »

Désormais installé dans cette région depuis cinq ans, le couple s’exaspère des clichés de chasseurs de phoques que l’ont continue de coller aux Inuits. «  Ce folklore n’est pas la bonne arme pour défendre leur culture, estime Pierre. Ils ont besoin d’entrer dans la compétition internationale pour trouver leur place dans le monde. Le Groenland est un pays nerveux, sensible, émotif, qui a montré combien il était capable de s’adapter rapidement à la modernité. C’est ce qu’on souhaite montrer dans le documentaire, en faisant des escales sur la côte avant d’arriver à Uummannaq  ». Annie, qui est à ses côtés, ajoute : «  Ce n’est pas la mondialisation qui représente un danger pour le Groenland, c’est le dérèglement climatique et la disparition de la banquise  ».

Une bourrasque fait friser la surface de la mer, l’Avannaq tire un peu sur ses amarres, prête au départ. Pierre Auzias vérifie qu’il a bien sa boîte de couleurs et ses carnets de moleskine : il compte peindre son journal de bord, de son style énergique et poétique. Puis il évoque à nouveau ces glaces, qui sont arrivées avec trois mois de retard cet hiver et se prolongent plus longtemps que d’habitude. «  Il faudrait que l’Avannaq arrive à destination le 21 août  », évalue-t-il. Les derniers jours de l’été arctique.

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