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#Editions Denoël #Eric Zemmour #Gallimard #Israël #Le Meilleur des mondes #Olivier Rubinstein

Olivier Rubinstein, comment je me suis «  désexcité  » de l’édition

Publié le 4 septembre 2011 par

Les adieux au métier d’éditeur et de chef de file des néo-conservateurs français.

L'éditeur Olivier Rubinstein en 1998 à son arrivée aux éditions Denoël. (©Denoël)
L’éditeur Olivier Rubinstein en 1998 à son arrivée aux éditions Denoël. (©Denoël)
C’est juillet, et les écrivains sont à la plage. Règne en fin de journée, rue du Cherche-Midi, un silence provincial de bibliothèque. Seul à cette heure au siège social, Olivier Rubinstein se prépare lui à un déménagement de treize années d’édition chez Denoël.

La rentrée littéraire se fait sans lui. Même s’il peut avancer quelques romans intéressants, et si sa griffe sera apposée sur le catalogue des éditions Denoël du prochain semestre, Olivier Rubinstein ne se sent plus des leurs, les éditeurs, ni du manège électrique de la rentrée des livres, de ses calculs et de ses prix. Il a quitté discrètement la filiale de Gallimard, qu’il administrait depuis treize ans. Depuis le 1er septembre, il peut même se replier derrière le devoir de réserve de tout administrateur relevant du ministère des affaires étrangères : «  Rubi  » entame un mandat de directeur de l’Institut français à Tel-Aviv (Israël), le plus prestigieux et iconoclaste des quatre que compte le pays. Olivier Rubinstein cumule également une fonction de conseiller culturel auprès de l’ambassadeur de France. Bref, une histoire qui peut l’occuper pour plusieurs années.

Parfait novice même si le poste est attribué traditionnellement à une personnalité de la société civile, sa nomination n’a pourtant pas été évidente, et le lobbying de ses amis auprès de trois ministres des affaires étrangères a du se faire constant. «  J’ai entamé ma candidature avec Bernard Kouchner, l’ai poursuivi avec Michelle Alliot-Marie et été finalement accepté par Alain Juppé  », dit-il rapidement, et de savourer : «  Refaire sa vie à 53 ans, c’est quand même pas mal !  » A Tel-Aviv, il succède ainsi à l’ethno-psychiatre et écrivain Tobie Nathan, puis à la journaliste Annette Lévy-Willard. Si la littérature est en bonne place dans le soft power français, l’Institut français est bien plus que ça : un ministère miniature de la culture et de la séduction.

«  Il n’est plus honteux socialement d’avouer que l’on ne lit jamais un livre.  »

rubinstein2.jpg Un éditeur qui tire sa révérence de son vivant, c’est tout de même rarissime. Qui plus est, Olivier Rubinstein : ci-devant CAP de peinture en bâtiment (mais au moins master en anarchisme et post-situationnisme), qui fut représentant d’une filiale de diffusion de Gallimard à l’âge de 20 ans, libraire à Amiens et de la partie pour ce qui concerne les créations des éditions du Dilettante, puis de Climats et enfin, des Mille et une nuits.
Que reste t-il de treize années chez Denoël, et des centaines de livres qui s’alignent dans une bibliothèque encombrée ? «  Une chose est certaine, je ne renie rien et emporte de bon cœur tous les livres avec moi.  »,jurait-il à la veille de son déménagement pour Israël. Même s’il a du mal à détacher ses préférences, il s’autofélicite une brêve seconde du «  Marx, les juifs et les droits de l’homme  » du philosophe André Sénik, du millier de pages sur la Révolution russe par l’historien Orlando Fajes, ou bien encore de «  Fraternité  », de son ami de toujours, le romancier Marc Weitzmann –qu’il n’aura pu faire venir comme directeur de collection, le romancier star de Gallimard, Didier Daeninckx, égratigné dans un roman de son collègue, ayant signifié en haut lieu ses profondes réticences-, sans oublier «  Les Contre-réactionnaires  » de Pierre-André Taguieff. Dans cette théorie d’auteurs à surface sulfurée, on rajoutera également ce qui fit la bonne fortune scandaleuse d’Eric Zemmour, son essai Le premier sexe.

Mais la lassitude a gagné petit à petit. «  Je me suis désexcité de l’édition, le livre n’est plus un symbole social et la génération 20-35 ans est de ce point de vue complètement flinguée : il n’est plus honteux désormais d’avouer que l’on ne lit jamais, ou presque, un bouquin  », détaille le fantôme d’éditeur. Outre l’ambiance intellectuelle du papier mâché et des idées pré-mâchées, l’édition dans la tourmente, la librairie qui «  va s’en prendre plein la gueule  », les livres qui ne se vendent pas, tout cela, par petites touches, lui a fabriqué comme un grand moment de fatigue.

«  Denoël, un ADN compliqué  »

rubinstein3.jpg L’avantage d’avoir débarqué chez Denoël en 1998 fut que la maison était endormie. Tout à refaire, ou presque. «  Du catalogue sidérant des origines, Céline, Blaise Cendrars, Paul Eluard, il ne restait plus grand chose comme auteurs représentatifs de la maison : seuls résistaient Sébastien Japrisot, Pierre Magnan, Sempé  ». Filiale gallimardisée, Denoël dans les années 80-90 avaient tenté de prendre, sous le foc de Gérard Bourgadier, un vent littéraire un peu chic avec Jorge Semprun, Alain Finkielkrault, Calaferte ou Philippe Sollers. Auparavant, le maison avait navigué dans les eaux plus mainstream du document, de la péroraison choc (François de Closets) et des beaux-livres. Comment relancer une maison en déconfiture ?

Olivier Rubinstein a choisi de nouvelles peintures et des papiers-peints plus vifs. Il a ainsi remis de l’électricité dans les documents, en faisant venir à ses côtés le survolté Guy Birenbaum pour animer la collection Impacts. Les documents étaient censés constituer la machine à cash de la maison. Avant que le couple impossible ne disjoncte violemment quelques années plus tard, la foudre politique et le succès éditorial se sont conjugués de façon exceptionnelle, notamment avec le témoignage explosif du juge Eric Halphen en 2002 (Sept ans de solitude), le pamphlet politique d’Arnaud Montebourg contre le président Chirac (La machine à trahir), ou encore le récit de Samira Bellil, victime des «  tournantes de cité  ».

Olivier Rubinstein n’a pas oublié de se pencher sur «  l’ADN compliqué  » de cette petite maison créée en 1928, et vivant sous la grande ombre et les coupes-claires de Gallimard. C’est le problème numéro un rencontré par le directeur-gérant : «  Le groupe Hachette, lui, n’a pas de soleil, et toutes ses maisons d’édition sont de véritables entités. Les filiales de Gallimard sont plus stratifiées et composites et doivent composer avec la maison mère. » De fait, cet été, le départ d’Olivier Rubinstein a fait l’objet de nombreuses spéculations chez Gallimard même, et chez les analystes de l’édition avec cette question serpent de mer : et si Denoël ne devenait plus qu’une marque ? «  Rubi  » aurait bien vu un Florent Massot lui succéder, Antoine Gallimard a tranché en nommant Béatrice Duval, éditrice rompue aux best-sellers populaires (Harlan Coben, Le Diable s’habille en Prada…).

Créer et vulcaniser son identité à tout prix, résister le plus possible à l’attraction de la rue Gaston-Gallimard : A partir de 1998, «  Rubi  », repéré par Pierre Cohen-Tanugi, à l’époque grand connétable de Gallimard, a réveillé le département science-fiction doté d’un fonds conséquent (Ray Bradbury, Philip K. Dick, J. G. Ballard…), créé un secteur de romans graphiques et de documents de pop culture (X-trême), et s’est exercé avec Philippe Garnier à faire venir de jeunes auteurs (Richard Morgiève, Christophe Dufossé, Céline Minard…). Du côté de la fiction étrangère, Arto Paasilinna, Mark Z. Danielewski, Eve Ensler, Chuck Palahniuk, Sarah Waters. Comme un signe d’une fin d’époque, l’un de ses auteurs, le Québecquois Gil Courtemanche qui a connu le succès avec son roman rwandais, Un dimanche à la piscine de Kigali (2000) est décédé en août.
Mais ce sont les spectres littéraires de la maison qui se sont aussi réveillés, d’aucuns se moqueront de cette propension d’éditeur d’auteurs à succès morts : le fonds Blaise Cendrars notamment a été spectaculairement remis à flots, mais également l’éblouissement Irina Nemirovsky a constitué le joli roman de l’ère Rubinstein. Pourtant depuis quelques années déjà, il se sentait caler devant trop de vaine énergie dépensée. «  Certes, éditer Bob Woodward ou Patti Smith, y mettre de la patience, de la passion, de la ruse et recevoir les félicitations de la presse, c’est chic, mais ça ne vend pas vraiment  », glisse t-il.

«  La fin de la revue Le meilleur des mondes constitue mon plus grand regret d’éditeur  »

rubinstein4.jpg Sur son bureau de directeur-gérant bientôt en exil, trône, comme une provocation, le portrait du fondateur de cette maison d’édition, Robert Denoël, éditeur inventif, génial, pressé mais collaborationniste, mystérieusement assassiné à la Libération. Dans la théorie des directeurs de Denoël, Olivier Rubinstein a choisi, lui, une filière intellectuelle qui «  constitue un courant d’idées plus ou moins visible selon les époques  ». Après les attentats du Word Trade Center de septembre 2001, il s’est lancé dans l’aventure de la revue trimestrielle «  Le Meilleur des mondes  ». Au bout de 9 numéros, beaucoup d’échos et de polémiques, de soutien en 2007 pour certains à la candidature Sarkozy mais avant tout aux guerres en Irak et en Afghanistan, la revue s’est éteinte. La plupart de ses contributeurs, de Pascal Bruckner à Weitzmann, de Glucksmann père et fils à Nicole Bacharan, d’Antoine Vitkine à Romain Goupil, s’est dispersée. Cette revue «  née de l’ennui, de la solitude et du malaise croissants de journalistes, écrivains, chercheurs face à une vie publique française qui semble se complaire dans le ressassement de mythes intellectuels usés et de rancœurs politiques impuissantes  » sera considéré comme un vivier de «  néo-conservateurs  » atlantistes, bushistes et anti-musulmans. Le rédacteur en chef Michel Taubmann est devenu depuis, le biographe officiel de Dominique Strauss-Kahn, et si son héros n’avait pas chuté, cet ancien journaliste d’Arte aurait probablement dirigé durant la campagne présidentielle de 2012, une revue toute à sa gloire intitulée «  Building  ».

Depuis 2009, le comité de rédaction du Meilleur des mondes n’est plus comme la chambre d’écho du «  Cercle de l’Oratoire  » de l’explosive pasteur Florence Taubmann, où se pressèrent Bernard Kouchner, Fadela Amara, ou Pierre-André Taguieff. Même si Libération et Marianne étrillaient régulièrement les « néoconservateurs français » de la revue, on ne prête qu’aux riches : Le Meilleur des mondes se vendait aux alentours de 1200 exemplaires, «  4000 pour le numéro spécial Israël  » précise Olivier Rubinstein. Il songera bien, avec Michel Taubmann, à lever des fonds pour lancer un mensuel plus ambitieux en kiosque en 2010. Sans succès. «  En fait, l’arrêt de la revue constitue mon plus grand regret d’éditeur  », estime t-il. Alors écrire, dix ans après, une nouvelle vie dans un Israël bousculé par les printemps arabes, le doute et un mouvement social inédit d’indignation. Tourner la page mais ne pas dire son dernier mot.

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4 commentaires sur “Olivier Rubinstein, comment je me suis «  désexcité  » de l’édition

  1. Olivier Rubinstein, comment je me suis «  désexcité  » de l’édition
    Il faut parfois savoir se taire… Il devait réveiller « la belle endormie »(les Editions Denoël) et il l’a tué à petits feux!!!
    Il faut être fière mais pas prétentieux Monsieur Rubinstein…
    Je pardonne mais je n’oublie pas disait mon grand-père.

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