Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Faut-il sauver la Grèce ?

Publié le 15 septembre 2011 par

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
«  Un jeune homme de retour de l’étranger où il s’était donné la peine de suivre des cours de rhétorique fut puni par les dirigeants de Sparte au motif qu’il ‘débitait des discours séducteurs qui brouillaient le vie publique’. Et d’ailleurs les Spartiates, pères sévères, haïssaient à ce point la rhétorique qu’ils parlaient simple et bref. Voilà pourquoi l’ambassadeur qu’ils avaient délégué en Perse pour porter la contradiction contre les Athéniens, après avoir patiemment écouté leurs discours à n’en plus finir, en veux-tu en voilà, prit son bâton et traça deux lignes sur le sol ; une courte et raide ; l’autre longue et flageolante. Et il dit au satrape : ‘Tu choisis !’. On a compris. La ligne droite c’est le laconisme sans embrouille. La ligne sinueuse, la rhétorique. Une autre fois qu’un ambassadeur vint à Sparte plaider avec éloquence le renflouement des finances de sa cité-Etat, Chios, ils lui dirent d’aller voir ailleurs. Mais quand la cité leur envoya un autre ambassadeur, aussi rapide et concis que l’était l’imminence d’une catastrophe financière, et tout ce que ça voulait dire, stratégiquement, pour le flanc oriental du monde civilisé, ils lui accordèrent aussitôt un prêt. Toutefois, au moment où il partait, les Spartiates lui firent reproche d’avoir été bavard : ‘Il te suffisait de nous montrer un sac de blé vide’ »[[Adapté de Contre les rhéteurs, livre exquis de Sextus Empiricus, §21-23 (édition moderne de Pierre Pellegrin, dans Contre les professeurs, Paris, Seuil/Points, 2002).]].

Pour tirer une leçon d’actualité de cette historiette anti-rhétorique (comme je suis rhétoricien je dois bien lire les anti-rhétoriciens, noblesse oblige, tout comme Marx lisait Luther), il faut voir qu’elle est en trois temps.

D’abord, le coup du gamin revenu de son MBA promotion Périclès; et l’idée que les discours politiques sèment le trouble. De quel trouble s’agit-il ? Pas de troubles dans la rue, mais de trouble dans les esprits. De quel trouble dans les esprits ? Du méli-mélo que les communicants politiques servent à leur boss en quête incessante du dernier buzz («  rilance  », vous vous souvenez ? «  les classes moyennes  », qui n’a pas fait long feu etc.) afin de créer une sensation éphémère, un coup qui lui fasse marquer des points sur l’échelle des sondages de cette fameuse «  opinion publique  », qui n’existe pas sauf dans l’illusion de son existence fomentée par les sondages justement[[Relire Bourdieu, «  L’opinion publique n’existe pas  », Les temps modernes, 318, janvier 1973, pp. 1292-1309. Repris in Questions de sociologie, Paris, Les Éditions de Minuit, 1984, pp. 222-235. En ligne: http://www.homme-moderne.org/societe/socio/bourdieu/questions/opinionpub.html]]. Le jeu entre la droite nationale et la droite libérale roule sur quelques sons («  immigration  », «  français  », «  république  », «  l’Europe  ») qui sont utilisés à l’encan pour faire du score. Aux élections à venir tout se jouera dans un mouchoir de poche, donc le moindre point compte. On ne peut pas attendre bien sûr des «  penseurs  » des deux camps de la droite politique qu’ils nous fassent des explications intellectuelles sur ce que ces mots veulent réellement dire pour eux, puisqu’eux-mêmes savent que leurs explications mettraient à jour qu’une idée politique est une conviction et qu’une conviction est, chez les politiciens, un préjugé viscéral travesti en ‘discours séducteurs’.

Deuxièmement, le coup du bâton dans le sable. Les Spartiates étaient des innocents. Dire au trafiquant d’armes de l’époque, et potentat oriental, adepte des tractations internationales, qu’il suffit de choisir est une très grande naïveté. Elle est nourrie de l’illusion qu’un code de parole, parfaitement adapté à la culture spartiate, fonctionne comme un code universel. Un Spartiate peut croire en effet que dire les choses simplement c’est révéler que les choses sont effectivement simples, mais c’est aussi ne pas admettre qu’ailleurs la complication, la manipulation, le détour et l’embrouille sont une manière de penser que la vie politique internationale est, essentiellement, compliquée, manipulée, détournée. Par exemple les Etats-Unis croient au «  straight talk  » au parler direct. Mais pas les Irakiens ou les Pakistanais. Dit autrement, choisir ne répond pas à la même croyance rhétorique. Des processus persuasifs différents sont en action, et tu peux tracer ta ligne dans le sable tant que tu voudras, il n’existe pas de ligne universelle d’argumentation.

Enfin, le coup du sac de blé. On pense à la danse de saint-guy autour de la faillite grecque. Des mois de «  discours séducteurs  », des mois de «  on tire la ligne dans le sable! c’est fini comme ça  », pour devoir nécessairement en venir à remplir le sac de blé : car il est vide. Et comme Sparte à l’époque le fit, l’Allemagne devra sauver Chios. Il faut sauver Chios parce que, comme Chios était alors le maillon faible de la Grèce, à la frontière avec la Perse, la Grèce est, depuis l’écrasement de la résistance communiste en 1945, le maillon faible de l’OTAN, donc son maillon le plus important, jadis contre les Balkans soviétisés, et aussi pour contrebalancer une Turquie toujours susceptible. Depuis lors, l’Europe occidentale s’était acheté une tranquillité renforcée, et a fait des affaires juteuses[[Voir le dossier de The Economist sur les prêts continus des Etats riches de l’Europe à la Grèce, quasiment tous employés à acheter de l’armement militaire…procurés auprès d’entreprises des pays créditeurs.]]. Le sac de blé est vide, il suffisait de le montrer dès le début. Mais l’Allemagne, goinfre et satisfaite, et qui a remplacé la Grèce par la Croatie pour des vacances cheap, à la différence de Sparte ne croit pas à la vertu d’évidence du sac de blé vide. Quant à la France, où les «  discours séducteurs  » sont le pain et le levain de la politique…le Général, lui, aurait depuis longtemps dit : «  Trêve de fariboles. Il faut casquer  ».

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