Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Bruno Patino #Célia Mériguet #David Pujadas #France Télévisions #FTVi #Jean-François Fogel #Médias #Thierry Thuillier

Bruno Patino l’internetellectuel

Publié le 25 novembre 2011 par

Le directeur des activités numériques de France Télévisions qui vient de lancer le site FTVinfo (FTVi), croit dur comme fer à l’impulsion décisive d’un Internet du service public.

Les usages du savoir-vivre numérique s’inventent peu à peu. Pour l’entretien, Bruno Patino, 46 ans, directeur général de France 5 et des éditions numériques de France Télévisions, a retourné avec civilité, son téléphone portable. De fait, il n’y a que très peu répondu, même si la curiosité le tançait de consulter l’écran et si l’objet ne cessait de vibrer comme un scarabée furieux. Né avec les mass médias, correspondant du Monde au Chili et fouineur de squelettes dans le placard de Pinochet, journaliste dans le big bang audiovisuel des années 1980, remodeleur à succès du Monde.fr en imaginant un système économique mixte des 2002 (flux gratuit, offre premium payantes),ex directeur général de France Culture, après avoir été celui de Télérama, Bruno Patino aura vécu nombre de méandres d’une profession en pleine mutation à l’heure de la Toile océanique : le journalisme, qui se retrouve depuis les années 1990 à la confluence de mutations technologiques, techniques, culturelles, politiques et écrivons le mot, philosophiques. D’aucuns ont longtemps pris ce Patino pour un cyber-techno froid au charabia hautain, assorti d’un jules-vernisme béât. Erreur, il s’efforçait juste de prendre un peu d’avance pour avoir le temps de réfléchir sur ces nouveaux modes de communication, d’en mesurer les avancées inouïes et les effets létaux.

Avec le journaliste Jean-François Fogel, il a livré Une presse sans Gutenberg (2005, Points 2007), un essai vivement recommandé par la maison, plein de finesse et désormais classique des sciences de l’information. Que nous dit-il ? Que la fin du monde des mass médias est avancée : «  Internet est le média ultime, partout présent, immatériel. Son audience, en voie d’élargissement rapide, atteint la dimension de la terre entière, mais les masses y sont émiettées.  » Il nous esquisse aussi la révolution anthropologique d’Internet à l’œuvre, les ouvertures mais aussi les comportements de cet homme en ligne, e-version de Don Quichotte, déréglé par son excès de lecture. Làs, le deuxième tome en cours d’écriture qui devrait signaler ce changement définitif de l’émergence d’une technologie à ses effets sur la socialisation, est encore à la peine. Chronos mange Patino, et la pensée twittée et fragmentée de ses servitudes audiovisuelles depuis septembre 2010 n’accouchera pas le livre aussi facilement.

55 millions d’euros de rattrapage

Photo d'écran de la rubrique En Direct de FTVi.
Photo d’écran de la rubrique En Direct de FTVi.

France Télévisions (France 2, France 3, France 4, France 5, France O) combien de sujets d’informations produits chaque jour ? Pas moins de 40 000. Un trésor considérable que les télévisions du service public ont longtemps négligé.

Le 14 novembre dernier, le grand architecte numérique de France Télévisions a officialisé, en compagnie du PDG Rémi Pflimlin, le lancement de la plate-forme d’information du groupe : FTVinfo (FTVi).

Cinquante-cinq millions d’euros ont été investi pour un grand cours de rattrapage, mettant ce bouquet de chaînes publiques françaises technologiquement au niveau de leurs grandes consoeurs européennes. Pour l’instant, il s’agit d’un rattrapage, tout reste à construire pour ce qui concerne l’identité numérique de France Télévisions: Si l’on voit bien le profit que l’on peut tirer des identités nettes et carrées de France 3, France 5 et France O, quid de France 2 et France 4 sur le Net ? On est loin du labo en ligne d’Arte.

Mais la stratégie globale du groupe a produit quelques effets depuis 2010 : lancement de la catch-up télé (télévision de rattrapage) Pluzz, application des programmes du groupe sur iPhone et iPad, quelques 50 000 visiteurs en une semaine sur le web-documentaire Manipulations, expérience intéressante avec la mise en place de conversations sur Twitter autour des primaires socialistes,…

En 2008, France 3 lançait un site d’infos culturelles, Culture Box, élargi désormais aux autres rédactions du groupe. Avec TVFi, c’est un flux, un flot niagaresque même, d’informations et de vidéos permanentes qui s’écoule sans mollir de 6 heures du matin à minuit, 7 jours sur 7, car « les publics s’informent indifféremment sur tous les écrans à tout moment de la journée« . Trente journalistes, dirigées par la rédactrice en chef Célia Mériguet, ont été mobilisés pour les besoins de la rédaction, de l’animation et de la surveillance du site. D’où une offre disponible sur tous les supports connectés possibles, du web aux tablettes en passant par les mobiles. Il vise un gros million de téléchargements pour cette plate-forme d’infos d’ici la fin décembre. Le site Web est découpé en 5 parties : le Direct, les Titres, les Tops de l’info, les Régions (puissance nucléaire de France3) et les Images (de la vidéo au diaporama).

Les « journalistes orchestrateurs » et « une nouvelle narration journalistique »

France Télévisions, Paris, le 15 novembre 2011, à l’inauguration officielle de FTVi. De gauche à droite : David Pujadas, Hervé Brusini, Bruno Patino et Rémi Pflimlin. (source : France télévisions)
France Télévisions, Paris, le 15 novembre 2011, à l’inauguration officielle de FTVi. De gauche à droite : David Pujadas, Hervé Brusini, Bruno Patino et Rémi Pflimlin. (source : France télévisions)

On appelle celà dans le jargon patinesque: « une nouvelle narration journalistique« , rien que ça. Ainsi l’idée centrale du site est d’une grande séduction intellectuelle pour la théorie du net, mais absolument effrayante quant à l’anthropologie des usages : sur le principe générique du tweet, un flux d’infos rapides se bouscule, permettant à l’usager de poser des questions en temps réel, de commenter, de réclamer des précisions, voire d’interpeller le rédacteur qui ne serait pas assez rapide pour lui répondre à lui personnellement. Les rédacteurs qui se trouvent derrière leur écran sont appelés des « journalistes orchestrateurs« , chargés de la scénographie et de la mise en musique de l’information.

FTVi ressemble à Patino. Un mélange d’ambition, de bricolage juvénile et de politique maison. Pour assurer l’interface diplomatique avec les rédactions traditionnelles, c’est Hervé Brusini qui assure la direction de l’e-rédaction.Comme dans toute entreprise médiatique, le frottement des générations, les effets de concurrence et d’apathie peuvent juguler la belle idée inscrite sur le papier. Tout dépendra finalement de la capacité de Thierry Thuillier, directeur de l’information, à embarquer les rédactions du groupe dans une aventure considérée comme encore trop virtuelle.

Radio France avec Jean-Luc Hees à sa tête n’a pas vraiment cru aux théories de Bruno Patino sur le basculement numérique à opérer. Contre mauvaise fortune, la foi du charbonnier l’a repris quand France Télévisions a insisté ferme pour qu’il rejoigne le groupe audiovisuel.  » C’est ici qu’il faut être pour voir venir la vague numérique » indique aujourd’hui l’internetellectuel qui a longtemps hésité.

A peine avait-il terminé sa conférence de presse et remercié chaleureusement (par trois fois) David Pujadas, le seul journaliste présent du groupe, qu’une petite polémique émergeait sur la Toile.

Sur son blog, Claude Soula, journaliste médias du Nouvel Observateur chicane :  » Est il normal que la télévision publique, avec de l’argent public, fausse la concurrence sur internet ?, demande t-il. Expliquons nous : cela fait maintenant des années que les entrepreneurs privés du web perdent beaucoup d’argent, qu’ils investissent pour construire des sites d’information, en espérant, qu’un jour, la rentabilité viendra les dédommager. C’est un raisonnement valable, entre autres, pour le groupe du Nouvel Obs, mais pas seulement : c’est la même chose pour Le Monde ( dont Patino a créé le site), Le Parisien, 20minutes…ou TF1 et M6. »

Les médias audiovisuels du service public ont une ambitieuse carte à jouer, en stimulant le basculement sociologique des usages du numérique.

Soupir aimable de Bruno Patino : « Franchement c’est ne rien comprendre aux usages d’aujourd’hui. Le nouveau sur Internet ne supprime pas l’ancien, bien au contraire. De par sa dimension, un site comme FTVi crée un véritable écosystème, générant des milliers de liens en quelques jours. Quant à la pub que France Télévisions.fr absorberait au détriment du Nouvelobs.com, il faut raison gardée : que pèsons-nous, les médias français, à côté de l’astronomique chiffre d’affaires de Google en la matière ?

L’histoire des pratiques culturelles nous montre que chaque innovation majeure s’accompagne d’une période de doute, pour ne pas dire de contestation. Comment les gens ont-ils vécu les années Gutenberg (1470-1520), alors que n’importe quel imprimeur pouvait désormais imprimer ce qu’il souhaitait ? Dans le désordre absolu ! On nous parle de l’âge d’or culturel de l’édition, du bouleversement de la transmission des savoirs. Mais toutes ces années-là, à en croire les études historiques récentes sur le sujet, c’est surtout le faux et la pornographie qui ont dominé et même débordé l’édition européenne. Avant que la transmission des savoirs se fasse et se régule par le moyen du livre, il a fallu attendre l’apparition d’usages d’acquisition, de partage et d’intérêt pour ce nouveau support.  »

Surtout, il conçoit la force d’un service public du numérique agissant comme un levier de croissance, car n’étant pas tourmenté pour l’instant par un modèle économique.

« Je ne suis pas un croyant de l’autorégulation spontanée d’Internet : parce qu’il est aussi un marché, il a les tendances à l’appropriation et la concentration ne lui est pas étrangère. C’est pourquoi, dans cette période de gestation, il me semble que les médias audiovisuels du service public ont une ambitieuse carte à jouer, en stimulant le passage à un «  point d’inflexion  » (basculement sociologique/Ndlr) des usages.  » fait-il remarquer.

Un média n’est plus cette église qui se contente de faire affluer le public, il faut désormais qu’il atteigne les personnes. «  On ne cherche plus, ça doit m’arriver  » estime de façon irréversible le consommateur.

Ce sont les usages de la la société numérique en construction qui l’aiguisent le plus depuis une décennie. C’est en historien philosophe et en expérimentateur d’un média mouvant qui modifie nos rapports aux autres, qu’il réfléchit sur l’évolution de l’information dans le bain numérique.
 » Le mot «  usage  » est devenu obsessionnel pour l’industrie des médias sur le web. C’est qu’Internet n’est plus, depuis longtemps, une simple technique de transmission : c’est devenu un espace social, affirme t-il. Un média n’est plus cette église qui se contente de faire affluer le public, il faut désormais qu’il atteigne les personnes. «  On ne cherche plus, ça doit m’arriver  » estime de façon irréversible le consommateur. Avec le réseau social chaque individu «  contextualise  » son environnement personnel. Certains voient en l’Internet un monde régi par la demande, contrairement aux médias traditionnels qui proposeraient un monde régi par l’offre. C’est à mon avis plus complexe que cela : l’Internet permet à chaque individu de bâtir son espace, son environnement, son contexte, dans laquelle il reçoit et transmet un certain nombre d’éléments. Il pourra certes les avoir choisis, mais ceux-ci l’atteindront le plus souvent parce qu’ils auront été choisis par d’autres. Le choix se porte moins sur les contenus que sur les intermédiaires (les «  amis  ») qui les transmettent. Et ceux-ci changent pour chaque individu. Les médias ont à la fois perdu le monopole de la proposition d’agrégation des contenus, et la possibilité de la massifier. »

Tout le monde tâtonne et l’expérience empirique du consommateur lui-même invente une nouvelle pratique. Pour les grands médias, il voit comme un deuil à digérer :  » Il faut concevoir désormais de vivre avec des publics de plus en plus fragmentés. Le comportement moyen n’existe plus. Aucun secteur informationnel et culturel, les exemples frappants étant le cinéma et la musique, n’est parvenu à éclore sans erreurs ni tâtonnements, et en ne proposant pas des solutions très diverses. »

Déjà Bruno Patino envisage les nouveaux chantiers de l’immatériel : moins la fameuse télévision connectée (« on en est franchement au tout début de sa préhistoire« ), que les applications pour tablettes et qu’une nouvelle plate-forme à venir, sportive celle là à l’occasion des J.O de Londres en 2012. L’internetellectuel à encore du grain virtuel à moudre.

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