Influences (n. fem. pluriel)
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  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

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Publié le 4 janvier 2012 par

Demain, la vie privée en ligne : analyse de quatre scénarii possibles

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Depuis quelques années, explosent régulièrement les controverses au sujet des questions de données personnelles. S’ajoutent les usages semi-privés ou semi-public de médias sociaux (Twitter, blogs), mais aussi l’utilisation «  politique  » (surveillance, écoutes) ou économique (publicité individualisée) des données. Last but not least, les failles de sécurité des données personnelles et le piratage de la vie privée sont devenus des enjeux essentiels de la structuration d’Internet, de son économie, de son éthique, voire de son écologie.

Bien souvent, lorsque l’une de ces affaires est révélée au public, les médias ont tendance à renvoyer à de vagues dichotomies public/privé, devenues «  cliché  » de la presse TIC. Que tel ou tel se fasse licencier pour avoir publié des opinions politiques de comptoir ou des ragots de couloir, et nous obtenons une «  dérive  » dans le respect de la vie privée. L’objectif de cette contribution est donc de pousser modestement la réflexion sur les différentes façons de comprendre la vie privée en ligne.

Comprendre la vie privée en ligne : quatre discours

A l’évidence donc, la vie privée n’est plus ce qu’elle était. Le droit à la vie privée naît en 1890 avec l’article «  The right to privacy  » de S. Warren et Louis Brandeis. Il serait trop long de retracer l’histoire de la privacy, mais on peut d’emblée penser que la «  vie privée  » en tant que notion de droit est prise aujourd’hui dans une renégociation économique et sociotechnique. Une brève généalogie montre en effet que les justifications philosophiques qui le fondent émanent principalement des Lumières, du libéralisme politique du XIXe siècle (contre le fait du prince, pour avoir la liberté de ses opinions, etc.) et de théories psychologiques ultérieures liées au développement personnel (intimité, relations sociales, etc.) Protéger sa vie privée, il y a encore quelques décennies, signifiait se prémunir des intrusions publiques et privées de tierces personnes : la privacy se pensait presque exclusivement en termes politiques, sociaux, identitaires, et la technologie et l’économie n’entraient en ligne de compte que de façon marginale. Aujourd’hui, protéger sa vie privée renvoie, en plus de tout cela, à des questions de paramétrages technologiques et à des enjeux économiques.

On retrouve aujourd’hui, à l’heure de l’Internet, quatre discours, ou quatre grandes approches qui permettent de penser la vie privée en ligne. Aucune ne s’exclut, chacune constitue une grille interprétative.

1.«  La vie privée contre la société de surveillance  » :

La vie privée est un droit qui, fondamentalement, doit me protéger de toute intrusion et de toute collecte ou exploitation de mes données personnelles. Le spectre de Big Brother rôde : tout ce que l’on sait de moi, on pourra l’utiliser contre moi. Vidéosurveillance, géolocalisation, cartes à puces, technologies d’identification… Nous sommes en permanence tracés, fichés, espionnés, localisés, identifiés. Dès lors, le droit à la vie privée est un rempart essentiel et nécessaire qui permet une protection territoriale et numérique de ma personne, physique ou virtuelle. Cet argumentaire de la vie privée est, sans doute, le plus répandu.

2. «  la vie privée n’existe plus  » :

Jean-Marc Manach rend compte de ce discours et le désapprouve, dans son ouvrage La vie privée, un problème de vieux cons. Certains acteurs majeurs de l’économie des TICs, ou des scientifiques, ont intérêt à diffuser l’idée que la vie privée est un concept et un droit dépassé. Dans ce discours en effet, la révolution de la vie privée serait à notre début de millénaire ce que la révolution sexuelle fut aux années 60. La norme serait devenue l’absence de pudeur. On est suspect de ne pas avoir de profil Facebook : tant de secret est bien la preuve que l’on a des choses à cacher, donc à se reprocher. On se souvient avec un sourire amer de la déclaration d’Eric Schmitt, ex-PDG de Google : «  Si vous souhaitez que personne ne soit au courant de certaines choses que vous faites, peut-être que vous ne devriez tout simplement pas les faire […] C’est une question de discernement.  »

Ces deux premières approches confinent à la caricature. Les deux suivantes en revanche sont plus intéressantes, nuancées, et étudiées.

3. «  La vie privée contextuelle  » :

La privacy in context ou encore la contextual integrity (particulièrement développée par Helen Nissenbaum) consiste à dire que c’est moins la nature d’une donnée, ou la plateforme sur laquelle elle est publiée, que le contexte où elle est échangée, où elle circule, qui détermine sa qualité de donnée publique ou privée, ou encore son intégrité. Le contexte permet de dépasser la catégorisation classique public/privé d’une information. Dans un hôpital, ou plus généralement dans le milieu de la santé, telle ou telle information sur un patient aura, selon les personnes, le traitement de la donnée, son usage, un caractère de secret plus fort que dans un autre milieu. Dans un contexte de travail, telle information aura par exemple un caractère «  semi-public  », alors qu’elle sera intime dans un espace privé. Etc. Le nombre de situations, parfois croisées, de personnes impliquées, et de données différentes rendent la caractérisation relativement complexe. Une telle approche, utile pour penser la régulation de la vie privée, est assez difficile à mettre en œuvre, mais elle fonde l’essentiel des mécanismes de régulation actuellement.

4.«  La vie privée comme propriété de mes données personnelles  » :

cette approche est très bien développée par Emmanuel Kessous et Bénédicte Rey. Laisser des traces en ligne, comme nous le faisons tous plus ou moins sciemment, avec ou sans notre consentement, sert une économie de l’attention, à l’échelle individuelle. En permettant à tel service de collecter et d’exploiter des données qui me concernent, je me donne la possibilité de personnaliser, affiner, rendre pertinentes les informations qui me seront communiquées en retour. Publicité personnalisée, suggestions d’achats et tarifs préférentiels, suggestions d’amis ou de relations diverses, etc., les usages sont multiples. Cela rejoint la grande idée d’économie de l’attention de Simon et Goldhaber : dans une société ou les informations sont surabondantes, c’est l’attention qui devient la ressource rare. Je peux consentir, pour certaines données, pour certains services, à certaines conditions, à renoncer ponctuellement à quelques informations privées. Dès lors, la gestion de la vie privée revient à gérer ses propres données personnelles, leur distr ibution et leur stockage. On peut légitimement se considérer «  propriétaire  » des informations nous concernant. Cette approche renvoie naturellement à la question du droit à l’oubli, dont on entend beaucoup parler ces derniers temps.

Le droit à l’oubli, un droit de l’homme virtuel ?

On ne compte plus les cas où des personnes cherchent à effacer des informations les concernant sur Internet, qui leur portent préjudice au quotidien. Les enjeux les plus évidents sont nombreux : discrimination à l’embauche, mauvaise réputation, articles diffamants, etc. Retenons en tout cas une réflexion subtile au sujet de la technologie et la vie privée est émise par le professeur Viktor Mayör-Schonberger (School of Public Policy, Singapour). Jusqu’à l’époque contemporaine, dit-il en substance, il était plus facile et moins coûteux d’oublier (à une échelle macro-sociale) les informations, et notamment les informations personnelles. Les coûts et investissements, en temps, en argent en éducation, que demandaient scribes, moines, et autres mandarins, ainsi que les supports d’écriture, papier ou autres, les dispositifs de reproduction (dont le livre avec l’avènement de l’imprimerie), les dispositifs d’enregistrement (audio, video, etc. à l’ère moderne) rendaient l’information et sa diffusion plus chère et plus volatile. A l’ère numérique, en revanche, les valeurs se retournent. Les coûts marginaux de sauvegarde de l’information tendent vers zéro. Et inversement, c’est l’oubli qui est devenu l’exception : il est plus onéreux et difficile aujourd’hui de chercher à effacer des informations personnelles que des les reproduire, des les publier, et de les diffuser à vaste échelle. La mémoire technologique, ou plutôt la technologie elle-même porte le germe du retournement de la conception de la privacy, en même temps qu’elle permet et développe le marché des données personnelles. Le droit à l’oubli, si l’on le rattache à l’idée que l’on est propriétaire de ses données personnelles, est une évidence. Mais là encore, sa mise en œuvre et son application sont délicates. Espérons en tout cas que la révision de la directive européenne 95 saura prendre en compte la complexité de ces situations.

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