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Les Influences

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#Aux origines du goulag #François-Bourin Editeur #Nicolaï Kisselev-Gromov #Sozerko Maslagov

Biographie du SLON

Publié le 5 janvier 2012 par

Deux officiers tsaristes Sozerko Maslagov et Nikolaï Kisselev-Gromov nous éclairent sur l’immense barbarie et absurdité du «  camp de rééducation par le travail  » des îles Solovki, les ancêtres du goulag

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Félix Dzerzhinsky
Félix Dzerzhinsky
On aurait pu titrer ce document, « Les prémices de l’Archipel ». Avant le goulag, sévissait le SLON, le camp de rééducation par le travail. Témoignages quasi-uniques de la mise en place de l’univers concentrationnaire soviétique, les deux textes rédigés par deux officiers tsaristes, réunis dans le même ouvrage Aux origines du Goulag n’ont pour autant pas eu la même réception. L’île de l’enfer de Sozerko Maslagov publié à Riga puis traduit à Londres en 1925 connût une bien plus grande diffusion que Les camps de la mort en URSS de Nicolaï Kisselev-Gromov publié à Shanghai dans les années 30 et dans un quasi anonymat.

Les deux «  rapports  » abordent pourtant les mêmes thèmes comme les différentes catégories de prisonniers, les méthodes punitives dans les îles Solovki. Mais une différence temporelle d’importance existe puisque Maslagov arrive à se réfugier en Finlande en 1925 soit un an après la prise de pouvoir par Staline tandis que Kisselev-Gromov n’édite son ouvrage qu’à partir de 1930. En effet, le camp de Solovki n’est au départ qu’un univers sauvage où sévit la terreur arbitraire et absurde des tchékistes. Kissilev-Gromov relate plus méthodiquement l’organisation des camps et ses activités économiques si bien que l’on ressent la mutation du camp en un système médité et organisé.

Ce que Maslagov condamne avant tout, c’est «  l’égoïsme révoltant, la dureté et l’insensibilité indicible  » qui ont été «  inoculés au pauvre peuple russe  ». Il s’agit d’un récit, sans ambition littéraire d’un russe blanc qui assume pleinement le code de l’honneur des officiers tsaristes. C’est aussi le récit d’un Ingouche né pour respirer librement, qui ne voulait pas être humilié ni détruit. Son fils qui a rédigé une postface voit dans cette expérience inhumaine, la fin de la foi en dieu, de l’espace spirituel et de l’abstraction divine.

Le point de vue de kissilev-Gromov nous plonge encore plus brutalement dans la vie quotidienne du camp si bien que le lecteur pourrait s’imaginer en haut du mirador. Malgré beaucoup d’incertitudes sur les données employées, son récit demeure un tableau effrayant des camps de la mort reflétant le vice des tchékistes et la brutalité animale de l’administration des camps. Celle-ci n’était d’ailleurs que la main exécutante du pouvoir central qui transforma la force vitale d’une grande civilisation en un communisme cadavérique. C’est pourquoi son livre mobilise l’âme et atteint son but puisqu’il invite le lecteur à ne pas rester passif.

La taylorisation du camp de travail

Le ton laconique, comme une fatalité, employé par les deux auteurs frappe le lecteur. C’est avant tout la description presque taylorienne des catégories de prisonniers qui occupent une large part de leur «  compte-rendu  ».

La catégorie la plus nombreuse est celle des contre-révolutionnaires qui englobe le clergé, les paysans, les cosaques, les juifs, les Russes blancs, l’intelligentsia et toute «  personne socialement dangereuse  » pour le nouveau régime. Le sort des activistes politiques (démocrates-sociaux, libéraux, anarchistes) demeure en général plus enviable car ils bénéficient de l’attention de l’aile droite du PCUS. Enfin les criminels qualifiés de «  pègre  » par Malsagov s’arrangent de connivences avec les tchékistes eux-mêmes issus du monde du crime pour régner en maître dans le camp des prisonniers. Ces quatre catégories ont frappé l’imaginaire des deux officiers russes qui décrivent minutieusement leurs us et coutumes, leurs motivations, et les raisons injustes de leur incarcération.

La punition préférée des tchékistes consiste à attacher un homme nu près d’un marais où les moustiques finissent par le dévorer

Les deux récits insistent sur la dimension pathologique des tchékistes et renvoit le lecteur à des images plus connues ailleurs de kapos drogués et alcoolisés tandis que leur brutalité atteint des seuils jamais connus. Cela s’explique par leurs traumatismes de la période du «  communisme de guerre  » lorsque le pouvoir central luttait contre les tentatives occidentales de déstabilisation.

Toute une gamme de punitions est prévue pour écraser le moindre signe de rébellion. La punition préférée des tchékistes consiste à attacher un homme nu près d’un marais où les moustiques finissent par le dévorer. Mais des hommes sont également envoyés à la «  hurlerie  » sorte de cachot loin du camp où «  on n’entend pas ces chacals crier  ». La «  Sekirka  » sorte de cachot placé dans un endroit isolé permet quant à elle d’interner les individus qui n’ont pas le droit de parler ni de bouger. L’individu y est soumis juste après à un travail intense pour lequel il ne peut pas survivre plus de deux mois. Enfin les «  niches de pierre  » prolongent l’enfer, puisque les hommes enfermés ne peuvent ni s’assoir ni être complétement debout, et finissent généralement gelés.

Ancien tchékiste mais finalement envoyé au SLON pour «  activité économique suspecte  » Kisselev-Gromov avoue n’avoir «  jamais réussi à saisir jusqu’au bout la psychologie du garde de SLON même après dix ans  ».

«  Nous bâtirons une nouvelle Suisse sur le dos des détenus  »

L’objectif principal des camps était initialement d’éloigner la population subversive d’URSS et de l’éliminer «  sans pétards  » selon Dzerjinski. En réalité Le SLON doit atteindre un double objectif commercial (main d’œuvre gratuite) et politique avec la suppression systématique des «  gêneurs  ». Le SLON ou le capitalisme sauvage parfaitement compris par ses meilleurs adversaires : «  Nous bâtirons une nouvelle Suisse sur le dos des détenus  »

En avance sur la philosophie des plans quinquennaux, il s’agissait déjà dans les années vingt de d’engager la compétition socialiste «  pour battre Chamberlain  ». La principale activité économique consistait à abattre une quantité pharaonique de bois pour l’exportation, propagande oblige. Le reste consistait en des asséchements de marais, et à la construction de voies ferrées et de routes. Leurs mises en place coûtent la vie à des milliers de personnes. Le travail dans le marais s’apparente à une lutte permanente contre la boue qui envahit tout. Sans encadrement technique, les travaux s’éternisent et restent sous les ordres des tchékistes qui agissent sans plan ni réflexion.

C’est également le mensonge et l’absurdité qui régissent la vie quotidienne des détenus. Propagande oblige, les camps de rééducation par le travail sont censés symboliser le paradis socialiste. Des excursions touristiques pour des civils des alentours sont donc organisées pour prouver la véracité de cet idéal. Mais personne n’est dupe, et les familles russes agitent le SLON comme un épouvantail pour faire peur à leurs enfants pas assez obéissants.

Ces deux récits qui expliquent la mise en place du système concentrationnaire, sont complétés par les préfaces de Nicolas Werth (co-auteur du Livre noir sur le communisme) et de Sergueï Maslov. Ceux-ci nous éclairent sur les dangers des utopies qui dérapent. Malheureusement, comme les historiens de l’école de Franfurt l’ont prouvé, la mise en place d’idées empreintes d’idéalisme dans un contexte de guerre civile et d’invasions étrangères font déraper les hommes les plus conscientisés vers un jusqu’auboutisme macabre et sadique. Le SLON n’était qu’une mise en bouche de l’horreur concentrationnaire soviétique.

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5 commentaires sur “Biographie du SLON

  1. Biographie du SLON
    Je viens d’acheter le livre mais je ne l’ai pas encore commencé. J’en profite donc pour lire le résumé et ce que vous avez écrit confirme mon pré sentiment: ce livre n’aborde pas un sujet des plus gai mais s’apparente comme la collecte de deux témoignages exceptionnels pour la dénonciation du paradis socialiste. Je demeure et demeurai pourtant toujours en faveur du communisme, mais je ne ferme pas les yeux sur les atrocités qui ont été commises en son nom, et ne me positionne pas comme un défenseur acharné de l’URSS. Il faut comme toujours remettre les choses dans leur contexte. personnellement, je vois dans l’échec de l’URSS davantage la violence endémique qui caractérise la société russe comme responsable plus que la tentative de collectivisation des moyens de production qui demeure la seule véritable alternative de l’exploitation de l’homme par l’homme.

  2. Biographie du SLON
    Article un peu long, mais intéressant. d’une manière générale, trop peu de livres ont été publiés sur la période communiste en Russie, après l’archipel du Goulag. On pensait que le mythe allait s’effondrer mais après Soljenitsyne, peu d’ouvrages ont publié sur la barbarie soviétique en fin de compte. Avoir réunis ces deux témoignages inédits constituent une bonne démarche pour la mémoire en générale.

  3. Biographie du SLON
    ça fait peur. On a trop tendance à penser que les goulags sont liés à la période stalinienne, alors que Lénine et ses copains sont à l’origine de tout ça. Même si on sait que le communisme de guerre a durement éprouvé la matière grise des bolchevicks, qui pour sauver la révolution, ont dû s’employer dans un jusqu’au boutisme terrifiant, l’exemple du SLON fait quand même froid dans le dos. une petite comparaison avec la Vendée n’aurait pas fait de mal je trouve, pour monter comment les idéalismes avortent brutalement et plongent dans la terreur.

  4. Biographie du SLON
    j’avais déjà vu la vidéo sur youtube. l’article le complète bien. Il donne un « aperçu » assez saisissant de ce qui se tramait dans cette contrée glaciale, et pas que pour la température. bonne continuation.

  5. Biographie du SLON
    Témoignages très intéressants sur la naissance du Goulag. aurait été intéressant de plus fouiller sur la biographie des auteurs d’avant 1917. sans faire la fine bouche, et sans saluer le bilan « globalement positif de l’URSS » il est évident que deux officiers tsaristes ne pouvaient être complaisants à l’égard des forces de la tchéka.

    portrait édifiant des administrateurs du camp des solovki : Comment ne pas comprendre dès lors « le malheur russe » si bien décrit par Carrère d’Encausse.

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