Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#François Hollande #Le Rhéteur cosmopolite #Politique

Comment François Hollande nous parle

Publié le 27 janvier 2012 par

Le rhétoricien Philippe Salazar, auteur de De l’art de séduire l’électeur indécis, pointe et analyse les faiblesses et les points forts de l’éloquence politique du candidat

badge-3.gif«  Quand on désire pénétrer dans ses sources profondes une œuvre oratoire, il faut d’abord se demander pour quel public elle a été composée  », c’est du Bourget.

Non pas le Bourget du discours de François Hollande, mais du Paul Bourget – qui parle d’ «  œuvre dramatique  » : or un discours politique est une œuvre dramatique, surtout un discours d’entrée en campagne. Un moment d’hyper-politique, et d’hyper-rhétorique.

Décryptage rhétorique de ce discours, à commencer par l’unité de temps.
Dramatique, le long, très long discours de François Hollande au Bourget a bénéficié en effet, dans le timing général de la campagne des présidentielles, d’un cadrage temporel parfait : il a parlé un dimanche et comme le dimanche les nouvelles sont rares et les téléspectateurs souvent s’ennuient, l’hiver et le soir venu, les télés, surtout les télés adorent. Sans forcer la note Hollande a célébré la messe et donné son Grand Sermon Républicain du Dimanche.

Bien joué pour ce qui concerne le timing

hollande1.jpg En outre, puisque le team Sarkozy n’a pas décidé de frapper les trois coups, il fallait bien que son challenger se décide et y aille. Comme on dit aux Etats-Unis, le candidat en place (l’incumbent) peut se permettre d’attendre car de toute manière les projecteurs de l’actualité le suivent vu sa fonction, mais son challenger lui doit créer l’occasion de sa déclaration. On a vu comment M. de Villepin a raté son entrée. M. Sarkozy peut se permettre le silence. Pour M. Hollande, entrée parfaite, fracassante – du point de vue du timing. Il a focalisé d’un coup la campagne sur lui. Bref, le dimanche et le silence ont servi à démultiplier l’effet de mise en scène, à propulser ce discours d’annonce dans les JT, et à occuper le terrain du lundi, côté news, au moins jusqu’à la mi-journée. Bien joué.

Le discours que les vingt-cinq mille militants ont écouté durant une heure trente n’est pas le discours que la plupart des Français ont entendu.

hollande2.jpg Mais ce long, très long, trop long discours, ce discours sur-écrit, est un montage qui, comme je vais le décrypter, ne tient pas aussi bien qu’il aurait dû le faire, la promesse du timing – pénétrons dans «  ses sources profondes  ».

Pour commencer, ne nous leurrons pas sur la nature du discours. Il y a en fait deux discours : le discours que les vingt-cinq mille militants ont écouté durant une heure trente n’est pas le discours que la plupart des Français ont entendu. Ce que les Français savent de ce discours, c’est ce qui en a été extrait par TF1 et France2, et cités par les journaux du lundi matin qui souvent eux-mêmes reprennent le résumé des télés – les mots clefs et les temps dits forts. Mais pas le montage rhétorique.

D’où la question, à la Bourget et du Bourget, de savoir pour quel public le discours a été composé. Dans une telle campagne électorale dont l’enjeu est la prise de pouvoir, et d’un pouvoir personnel quasi absolu, un élément décisif de rhétorique politique est de faire en sorte que l’orateur projette en avant son moi (écoutez avec quel goût M. Hollande dit «  je  » : je ferai, je créerai, j’engagerai ; un «  je  » aussi omniprésent naguère que celui de M. Sarkozy) et, dans cette projection oratoire, effectue sa rencontre avec non pas un mais deux auditoires : le public de la salle, interactif et visible, que l’orateur connaît, et le public immensément plus large, silencieux et invisible des électeurs derrière leurs écrans (audience des deux principaux journaux télévisés : sept à huit millions).

A chaque public son enjeu de projection : le public vivant, réel, dans la salle, l’orateur Hollande en connaît les désirs et les habitudes et s’il ratait son «  oral  », ce public-là voterait tout de même pour lui, par habitude, loyauté ou en désespoir de cause.

A la limite ce public ne compte pas réellement – un discours moins bien fabriqué (j’y viens) aurait fait l’affaire. La limite c’est le public qui compte vraiment, dont les voix compteront pour faire basculer le vote, c’est cette multitude par delà les JT du soir du 22 janvier et, en particulier, les Indécis qui plus que les Indignés, dont les convictions sont faites et comptabilisées par les équipes de campagne (tant pour M. Mélenchon, tant pour Melle Le Pen, tant pour Mme Joly etc.), placeront les deux premiers au premier tour, et feront le président au deuxième tour. Dans le cas du discours du Bourget l’effet voulu était donc double : galvaniser les supporters qui à leur tour, dans les fédérations et au niveau local, galvaniseront les adhérents ; et impacter sur l’auditoire décisif, les Français. C’est pour eux que le discours a été sur-écrit, sur-joué, et que M. Hollande a dû, littéralement, se surmonter.

Les Indécis plus que les Indignés feront la différence au deuxième tour

hollande3.jpg De fait, un discours politique n’est pas un texte, mais une performance dramatique, peu importe donc s’il est bien, littérairement, écrit, tant qu’il produit l’effet voulu. Un tel discours décisif d’entrée en campagne est une tension créatrice entre éloquence et rhétorique.

Je m’explique : M. Hollande est éloquent, et vise juste, parfois cruellement, quand il arrive à maîtriser ses deux défauts naturels – une pétulance intempestive et un didactisme tatillon envers ceux qui en savent moins que lui (souvenez-vous du débat entre primarisés, et du regard lancé à Mme Aubry, qui a du répondant toutefois). M. Hollande a dû surmonter ses deux défauts d’éloquence. La machine rhétorique du discours a maîtrisé l’éloquence erratique du candidat : ce discours sur-écrit, et répété, coaché, lui a permis de se contrôler, jusqu’à simuler l’improvisation. Les moments d’envolée étaient écrits, chose que les militants, qui n’avaient pas le texte écrit sous les yeux, ont pris, à l’évidence, pour une improvisation «  naturelle  » et révélatrice de ce qu’il est vraiment «  et bien, là  » (je cite un militant). Du grand art même grâce à un trébuchement qui donc en accentue le naturel (alors que l’oral suit exactement l’écrit, donc appris par cœur) : au lieu de «  c’est moi qui vais vous conduire à la victoire  » on entend M. Hollande balbutier et dire quelque chose comme «  moi qui va  ».

François Hollande a déclamé un grand discours, appris par cœur jusqu’à simuler l’improvisation. La politique, la grande, étant un calcul constant de la fin et des moyens, autant accepter que les discours, quand ils paraissent «  naturel  » (je cite un militant) sont en réalité des fabrications. Les militants n’ont pas «  découvert l’homme  », celui qui «  est bien là  » (je cite) mais découvert un orateur chevronné qui sait comment y faire devant son public à lui.

Autrement dit le mécanisme de la performance est double : en direction des militants il est de simuler la présence «  naturelle  » du chef, en contrôlant son éloquence par un montage rhétorique (la fausse improvisation) afin que M. Hollande puisse, enfin, «  incarner  » la Gauche (un militant le déclare «  transcendant  » – dans le mille !), alors qu’en direction des Français l’effet à produire était de le placer au centre de la campagne, en position présidentielle – c’est aux Etats-Unis, au même moment, la stratégie dite d’ «  électibilité présidentielle  » des partisans de Mitt Romney : M. Hollande doit convaincre l’électorat des Indécis qu’il a la stature d’un président à l’ancienne, maintenant que ces mêmes Indécis ont goûté du Président Nouveau pendant quatre ans, et l’ont trouvé aigre.

Le discours du Bourget, oratoirement, fonctionne sur des répétitions clefs, autant de tags fournis aux relayeurs d’information. Reste à voir comment, section par section, le taggage a pris. Ou pas pris.

hollande4.jpg Reste l’effet à longue portée, vers les électeurs, le plus important. Ceux-ci, justement, qu’ont-ils vu ou entendu de cette harangue ? Le critère quasiment absolu c’est ce qu’en rapportent les deux grands journaux télévisés du soir. Ces deux JT filtrent, ajustent, interprètent et reconstruisent le discours. A la limite ils le réinventent.

Selon le JT de TF1, le discours tient en trois déclarations : «  c’est moi qui vous représente…vous conduire à la victoire  », «  je vais vous confier mon secret…j’aime les gens  », «  je vais vous dire qui est mon adversaire…le monde de la finance  ». Certes il y aura, après, l’interview, exercice rhétorique étrange où le candidat devient son propre commentateur.

France2, service d’Etat oblige, et sans entretien post-discours comme sur TF1, livre un résumé plus circonstancié (commentaires, extraits qui ne suivent pas fidèlement l’ordre des paragraphes du discours, panneaux explicatifs), en sept temps : «  Je veux conquérir le pouvoir, mais je ne suis pas vorace  », «  j’ai grandi en Normandie…cette famille (conservatrice) m’a donné le liberté de choisir  », «  l’égalité, c’est ce qui a permis à un orphelin… de devenir prix Nobel (Camus)  », «  je serai le président de la fin des privilèges  », le passage sur la finance, en citation plus longue, «  avant tout effort supplémentaire…je ne me poserai qu’une seule question…si c’est juste…  », «  Pas plus que je n’accepte la délinquance financière…je ne tolère qu’un petit caïd avec sa bande mette une cité en coupe réglée…la République vous rattrapera  ».

La question ici n’est pas le contenu de la mise en extraits (ça c’est pour l’analyste des médias), mais il s’agit de voir si ce discours, sur-écrit, sur-joué, sur-calculé posait effectivement les jalons qu’on voulait voir repris par les salles de rédaction dans leur montage d’extraits. Je m’explique : quand un discours conçu pour produire un effet galvaniseur sur son propre public doit aussi, en outre et en réalité, produire un effet puissant et durable sur un public hétéroclite (les téléspectateurs), ce discours-là doit contenir des tags rhétoriques qui sont offerts aux journalistes pour la reconstitution en accéléré du discours. C’est comme cela que l’orateur réalise son effet à longue portée.

Le discours du Bourget, oratoirement, fonctionne sur des répétitions clefs, autant de tags fournis aux relayeurs d’information. Reste à voir comment, section par section, le taggage a pris. Ou pas pris.
Après l’introduction, banale, la première partie (onze paragraphes), se structure autour de la formule «  présider la République  », scandée, plutôt scolairement, au début de chaque paragraphe. Les JT ont-ils happé le tag? Non. Effet nul. Et pourtant c’est la formule qui était destinée à propulser «  l’électibilité  », à impacter sur le grand public des électeurs. La suite de lieux communs sur ce qu’est bien «  présider la République  » est, à mon sens, à la fois trop appuyée (onze définitions !) et trop de but en blanc. Il aurait mieux valu garder cette section pour la fin, la péroraison du discours, en la ramassant, afin de terminer sur un élan porteur, porteur vers l’électibilité – dit autrement, c’est le reste du discours qui aurait dû servir de preuve et de support à la proclamation de présidence. L’effet aurait été assuré sur le public des militants, sur le public des électeurs, et sur la rédaction des JT.

Le coup rhétorique est mal, très mal monté – rien, rien des onze paragraphes n’a été cité, et rien, rien des vingt-trois derniers non plus. Reste donc le milieu du discours pour jauger l’impact rhétorique et voir quels tags ont pris.
Deuxième partie (quinze paragraphes) : elle est du storytelling, le récit de la vie d’un homme de «  la Gauche  », articulée autour de confessions intimes sur la famille, sur la vie, sur des convictions secrètes, autour de dates inspirées – bref, un récit de formation personnelle «  de gauche  » (le terme revient) qui culmine sur la nomination de l’ennemi absolu : «  l’argent  ».

C’est assez laborieux : on voit que la seule du leçon de storytelling qui a été retenue c’est celle du récit structuré ; mais on a oublié que le but du storytelling est de fabriquer une «  marque  ». On raconte une histoire pour vendre un produit – c’est toute la technique des interventions du très regretté (et déjà oublié) Steve Jobs d’Apple. Un récit perso met en scène un produit à vendre, le rend perso en d’autres termes.

Question : le récit émotionnel, touchant et presque «  féminin  » dans son retour sur soi déclamé par M. Hollande (émotion scriptée : pas un dérapage de l’oral sur l’écrit, du par cœur ; tout y est artificiel, et heureusement) a-t-il produit un tag rhétorique relevé par les JT, ces grands interprètes vers le public qui compte, qui entrera dans une relation perso avec l’Hollande Story ? Oui, deux tags mais pas repris ensemble : «  Je veux conquérir le pouvoir, mais je ne suis pas vorace  » (France2) et «  mon secret…j’aime les gens quand d’autres sont fascinés par l’argent  » (TF1). Rien du reste, du très, trop long Hollande Story.

Bien sûr le passage sur l’argent a chauffé à blanc les militants, c’est le fer rouge posé sur la chair du forçat, l’effet était naturel et attendu : des cris de rage. Mais quid de ces électeurs derrière les écrans – car, je le répète, c’est ce public-là qui compte, le jour du vote ?

Le grand défaut, quand on fabrique un discours, c’est de ne pas se mettre à la place de ceux qui vous détestent : il faut toujours imaginer ce que va dire celui qui veut votre tête

hollande5.jpg Le rédacteur du discours a-t-il sacrifié la vraie proie, capter les Indécis, pour satisfaire à la jouissance immédiate des vivats de ceux qui sont acquis et donc pas à acquérir? Jouissance à pure perte ?

L’erreur rhétorique c’est ici d’avoir appliqué une formule (le storytelling) sans en peser le mécanisme persuasif (comme en management où cette ânerie a fait des ravages). Et le mécanisme persuasif aurait été de se dire : de quel «  produit  » veulent les non-militants ? Un autre avatar de Corrèze ? Un autre enfant de Normands monté à Paris, devenu énarque et politicien de profession ? Un autre «  héritier  » comme dirait Bourdieu qui reproduit les habitudes de la classe sociale où il s’est agrégé ? Un autre maire, député, président, l’habituelle kyrielle des honneurs électoraux ? La liste est longue.

Le grand défaut, quand on fabrique un discours, c’est de ne pas se mettre à la place de ceux qui vous détestent : il faut toujours imaginer ce que va dire celui, celle qui veulent votre tête, il faut avoir suffisamment de contrôle de soi pour s’insulter soi-même, à haute voix, afin de pénétrer la source rhétorique de l’attaque qui, à coup sûr, viendra. C’est un test – similaire au test publicitaire d’un produit par quoi on imagine le scénario catastrophe quand, malgré une story bien montée, on fabrique sa parodie afin d’y parer. Je ne crois pas que, dans ce récit littéraire, très sage en fait, un peu copie de classe de première chez les curés, on ait demandé au maire naguère de Tulle de se tester comme produit présidentiel, bref de jeter un regard acerbe sur lui-même et de se dire des mots durs, très durs.

Troisième section, en treize longs paragraphes qui débute sur, enfin, un tag qui accroche : «  Je vais vous dire qui est mon adversaire…la finance  ». C’est la première fois, dans ce discours sur-écrit, qu’une formule d’attaque (au double sens d’entrée en matière et de combat) est reprise telle quelle par les JT dans la récriture qu’ils fabriquent du discours à l’intention des sept-huit millions de téléspectateurs.

Avant de décrypter, un rappel basique : la tactique de nomination de l’ennemi doit, en politique, et en rhétorique, répondre à une stratégie de persuasion. Cette stratégie est simple : si on veut prendre le pouvoir c’est à celui qui est en place qu’on doit l’arracher s’il veut s’y maintenir ; il faut donc nommer celui-ci comme étant l’ennemi. On ne peut pas faire autrement, et hésiter à le faire c’est déjà démontrer aux électeurs qu’on n’a pas le vrai vouloir du Pouvoir.
Qui veut exercer le despotat présidentiel doit, avant d’être président(e), montrer dans le ton de son éloquence qu’on «  veut  », vraiment, le Pouvoir. C’était la force de Mme Royal, et probablement son unique force. Une manière de montrer, rhétoriquement, qu’on possède ce vouloir absolu, c’est de nommer, directement, frontalement, violemment même l’ennemi. Or l’autre, en l’occurrence M. Sarkozy, ne s’est pas déclaré candidat. M. Hollande se croit donc réduit à effectivement ne pas le nommer mais, à sa place, de nommer un substitut abstrait : «  l’argent  ».

François Hollande a oublié qu’un adversaire ça a toujours un nom. Même dans la Bible il a un nom : Satan, le Tentateur, le Persuasif

hollande6.jpg Côté militants la formule passe à fond (celle sur la délinquance des cités par contre ne passe pas si bien) : depuis Zola «  l’Argent  » est une allégorie clef de la rhétorique socialiste. Côté «  Français  », ceux qui sont l’autre public, bref les centristes à séduire, je doute que la formule fonctionne et si elle fonctionne elle risque plutôt d’apporter des voix à Melle Le Pen ou à M. Mélenchon qui ont, eux, un véritable électorat populaire et ouvrier pour qui l’argent n’est pas une formule imaginaire et rituelle, un tag discursif faisant partie d’un capital immatériel, mais un manque cruel et réel d’argent pour vivre.

M. Hollande a commis ici une erreur, et cette erreur est de nouveau littéraire.
Emporté par le storytelling personnel, voulant faire coïncider son trajet intime avec l’histoire de «  la Gauche  », bref se légitimer par un montage rhétorique par quoi sa vie serait une métaphore de la Gauche, il a oublié qu’un adversaire ça a toujours un nom. Même dans la Bible il a un nom : Satan, le Tentateur, le Persuasif. Clairement le nom il sait quel il est. Mais il lui manque l’audace, contrôlée, de le dire. L’audace rhétorique ici, la grande éloquence, dans la haute tradition d’un Jaurès, aurait été de nommer Nicolas Sarkozy. Il aurait dû le nommer, et le sommer de ne pas se présenter, de renoncer, de ne pas oser venir devant les Français comme le représentant personnel de l’Argent. M. Hollande aurait alors dramatisé le tag en direction des Indécis, mettant en scène le mortal combat du Destin généreux contre le Destin méprisable.
Voilà quel aurait été le scénario gagnant. L’équipe Hollande a voulu bien faire, respecter le fait que M. Sarkozy ne s’est pas déclaré, et vouloir donner les grands eaux de l’éloquence zolienne en chauffant les troupes.

On va me rétorquer : «  D’accord, mais si après coup Sarkozy ne se déclarait pas ?  »- «  Eh bien, vous avez la réplique : M. Hollande dirait, ‘il a obéi à mon injonction de renoncer, il s’est soumis’  ». Donc, que l’adversaire nommé se présente ou ne se présente pas, M. Hollande aurait fait mouche. Gagnant à tous les coups. La formule, «  l’Argent  » est littéraire, une métaphore, une allégorie, elle sent le Lagarde et Michard…rhétoriquement elle percute mal et il sera très facile aux adversaires de M. Hollande de la parodier : je les y invite car rater une telle occasion rhétorique d’audace dans l’attaque mérite punition.

Après ce ratage, la longue troisième section du discours est ignorée par les JT : elle cabote autour de la question européenne, mais il est clair que le rédacteur du discours a voulu taguer cette séquence avec «  redressement  » (cité plusieurs fois) mais sans vraiment se décider quant à l’effet voulu, sauf qu’on s’aperçoit (en lisant le texte, donc «  les spécialistes  ») que cette pénible suite de paragraphes se conclut sur une étonnante banalité : «  proposer le changement  ».
On en reste, rhétoriquement, stupéfait. La montagne accouche d’une souris. Derechef, ce qui nous intéresse n’est pas de juger le contenu du message, du tag, mais l’efficacité persuasive du tag rhétorique.

Le problème avec le «  changement  » est donc que le mot s’est déprécié

Deuxième rappel basique : évidemment un candidat qui veut en remplacer un autre doit appeler au changement, c’est le principe même d’une élection démocratique. On vote pour que ça change, et que la place s’échange (même mot, d’ailleurs). Et on propose le changement car le changement apportera du mieux être. Sinon, à quoi bon faire l’échange ? Basique. Giscard aussi en appela au changement. Et Sarkozy en 2007. Pas un seul candidat qui ne l’a fait. Le problème avec le «  changement  » est donc que le mot s’est déprécié. En dehors du fait, cité, qu’une élection sera toujours entre celui qui incarne le statut quo ou celui qui promet de changer de l’intérieur le statu quo (bref de changer tout en maintenant au pouvoir le parti de pouvoir – tour de passe-passe de 2007) et celui, celle qui veut le changement, et dit avoir le vouloir nécessaire pour pouvoir le faire, la stratégie rhétorique pour argumenter le changement ne peut reposer que sur ceci : propulser l’évidence du «  changement  ».

Dans le cas de Barack Obama, à l’évidence il incarnait un «  changement  », et on a vu depuis comment son programme était un montage bancal de fausses promesses, un sophisme persuasif mais, peu importe puisque Noir américain, s’il devenait président, le changement serait matériellement «  évident  ». Du coup son slogan «  le changement, maintenant !  » avait un support persuasif, l’homme lui-même. En 2007, M. Sarkozy, ni énarque (comme Mme Royal), ni grand bourgeois (comme M. Fabius), ni lettré (comme M. Bayrou), ni, ni, ni…et, de plus, assez jeune et sportif, et osant tuer le Père, son prédécesseur : bref, à l’évidence, il incarnait le «  changement  » pour des Français alors champions de la déprime en Europe.
En rhétorique politique le changement (qui est la règle d’une élection) ne devient actif, opérationnel, persuasif que si le candidat, le challenger surtout, propulse une image immédiate, évidente, du «  changement  ».
Ici encore, un ratage. Pourquoi ? Par défaut de compréhension du mécanisme rhétorique de l’évidence.
C’est crypté, je m’explique : une évidence, en rhétorique, tient autant au support (le candidat) qu’au public. L’exemple canonique de l’évidence c’est celui d’un peintre grec dévoilant soudain le corps nu d’une belle, accusée d’un crime, devant un aréopage de vieillards, l’air de dire : «  Comment, avec ce corps, elle aurait pu faire ça ?  » – acquittée. La force de l’évidence est de produire, dans un public, un effet logique, à savoir une déduction allant d’une image physique vers une proposition abstraite. Obama : comment, Noir américain, vous pensez que je garderai Guantanamo ? Impossible. Mais c’est le cas. Sarkozy : comment, moi, un battant, toujours aux manettes, vous pensez que je vais ne rien faire de concrètement bon? Regardez vers la Lorraine, voyez Areva.
Question : quelle est l’évidence que veut propulser le team Hollande ? Réponse : l’équipe a malheureusement tablé sur deux effets contradictoires – à savoir en direction des militants, sur l’appel automatique au vocabulaire socialiste («  l’Argent  ») ; et en direction des Français sur la mise en scène présidentielle du discours : le fond bleu roi, les drapeaux sur leurs hampes, le costume sobre, le pupitre solitaire, la marche d’entrée, et le cadrage des caméras, en plan serré ou moyen, bref très conférence de presse à l’Elysée.
Pourquoi ? Pour tenter de répondre au désir profond ressenti par beaucoup de Français, au centre du marché électoral, non pas du changement mais du retour à une gestion traditionnelle, moins aventureuse, du pouvoir. Un changement vers un avant reconstruit désormais comme meilleur (mais dont on sait, sous Chirac quinquennal, à quel point il était honni, méprisé même). Un changement en arrière, un retour au calme. Or ce que les militants ont apprécié c’est, par contre, le style «  combatif  » (je cite un militant), un style que M. Hollande adopte naturellement, étant de nature sanguine, mais en contradiction avec le style du retour à la gestion sage et pondérée de la République que le décor et le reste veulent suggérer. Il faut choisir. On ne peut pas propulser à la fois deux argumentaires d’évidence de ce qu’est la personnalité d’ «  électibilité présidentielle  » du candidat.

Dites ce qui est, en lettres capitales, EGALITE, tout simplement

La quatrième section de ce discours-fleuve sert à expliquer le «  changement  » selon la campagne Hollande : l’égalité. Une quinzaine de paragraphes martèle ce tag rhétorique. A mon avis, et je le donne pro deo, c’est là le seul slogan possible. Autant mettre le mot, seul, sur une bannière. Oublier le reste, le «  rêve français », pâle copie de l’ «  American dream  », ou «  changement c’est maintenant  », autre copie désespérante du «  change now  ». Dites ce qui est, en lettres capitales, EGALITE, tout simplement.
Mais le rédacteur du discours a préféré en faire un simple effet de répétition de mot pour alimenter la machine à paroles. De nouveau mon jugement n’est pas sur le contenu, mais sur l’efficacité persuasive : si «  égalité  » est si central, il faut alors le pousser en avant et pas seulement s’en servir comme d’un procédé stylistique, et littéraire. Dire : «  Je suis le candidat de l’égalité et mon adversaire, notre adversaire à tous, est M. Sarkozy, représentant du pouvoir inégalitaire de l’argent, corrompu et corrupteur, lui que je somme, ici, aujourd’hui de renoncer à se représenter. Qu’il renonce à rester, dans cette République, notre, votre République, le pourvoyeur des inégalités, des privilèges et des injustices. Il est temps de partir, Monsieur le Président. C’est assez !  ». Enfin, dans ce genre-là. Je ne suis pas speechwriter et un bon discours est toujours écrit en fonction d’une occasion précise et d’un public connu et évalué. Mitterrand, je pense, aurait osé. D’ailleurs, en 1968, il osa, me semble-t-il, déclarer la vacance du pouvoir.

Les salles de rédaction des JT ont picoré des phrases ici et là. En d’autres termes, le tag planté par l’équipe pour ancrer le discours n’a pas pris ; et rhétoriquement c’est très mauvais. Cela a un nom : rater son effet.

Derechef, mon jugement est purement technique : si on veut atteindre un but persuasif (ici faire passer l’idée d’égalité), on doit prendre les mesures rhétoriques qui s’imposent. Or, de ces quinze paragraphes, les JT n’ont pas choisi de citer une seule fois «  l’égalité  » – sauf le passage sur Camus, qui est bizarre, à dire vrai… Le rédacteur du discours a-t-il voulu dire que Hollande a lu Camus, tandis que Sarkozy n’a pas lu la Princesse de Clèves ? Très mauvais exemple, trop compliqué, pas assez ciblé…Personnellement j’aurais cité Edouard Glissant, plus actuel. Les salles de rédaction des JT ont picoré des phrases ici et là. En d’autres termes, le tag planté par l’équipe pour ancrer le discours n’a pas pris ; et rhétoriquement c’est très mauvais. Cela a un nom : rater son effet.

Quant au reste, la cinquième et dernière partie, soit une vingtaine de paragraphes, pas un mot dessus, pas une reprise, rien. Comme si rien n’avait été dit. Du gaspillage. Sauf, sur France2, le court passage, tronqué, concernant la délinquance des cités. C’est dire qu’en dehors des militants les derniers 2/5e du discours restent ignorés du grand public, celui qui déterminera l’élection, sauf pour le passage en question qui risque d’aliéner des électeurs socialistes sans pour autant attirer les autres.
Bilan : timing parfait, effet improductif sur les électeurs : l’électibilité présidentielle de François Hollande, que ce discours aurait dû booster, est toujours sur la sellette, autant dire que l’évidence n’a pas pris.
Il y aura d’autres discours. Il y aura des débats. Il y aura des phrases assassines.
A quoi donc doit servir, une fois prononcé, un tel discours d’entrée en campagne, en dépit de son effet incertain sur la question de la stature présidentielle de M. Hollande, puisque, tout de même, sept à huit millions de Français ont regardé les versions express des JT ? A cadrer un candidat dans l’esprit des électeurs et à réconforter ses troupes.

L’équipe Hollande doit reprendre ce que les JT ont retransmis et se focaliser dessus : c’est désormais le cadre objectif de référence.

Les troupes vont avoir constamment besoin d’être réconfortées, car pour elles il ne s’agit pas d’être convaincues de la rectitude du programme (c’est acquis) mais de la justesse éloquente de leur candidat – sur ce point l’exercice a réussi, Hollande est la «  voix  » des militants, «  transcendant  » comme le déclare l’un d’entre eux, et c’est dire l’effet purement oratoire du discours sur les troupes. Il faut aussi que les fameux «  ténors  » du PS restent en concert unanime. Pas une voix dissonante. Pas de grand air de soprano. Chorus absolu.

Les électeurs, de leur côté, c’est-à-dire les centristes qu’il faut absolument séduire pour l’emporter, doivent avoir retiré un cadre de référence de ce que les médias leur ont dit de ce discours dans ses versions express. L’équipe Hollande doit reprendre ce que les JT ont retransmis et se focaliser dessus : c’est désormais le cadre objectif de référence. Et ce cadre doit tenir le coup quatre mois au risque de tomber à 25%, seuil périlleux avant le premier tour, ou rester coller à 29%, seuil létal en vue du second.

Il faut désormais que toute la campagne de M. Hollande se structure, de manière systématique, autour des thèmes du discours tels qu’ils sont imprimés dans la pensée des gens. Il faut, sur les posters, les blogs, les posts de forums, dans les discours des alliés et des supporters, reprendre, expliquer, éclairer, animer, rendre évident chacun des points clefs de programme en fonction de ce cadre objectif de référence. Au besoin afficher cet article, stabyloté, dans la salle de com’. Ne pas dévier. Ne pas rajouter. Ne pas retrancher. Réviser, raffiner, ajuster. De sorte que, le jour du premier tour venu, les fameux Indécis sauront que le candidat Hollande a la tête bien faite, connaît bien sa direction, a les mots pour dire et possède le vouloir nécessaire pour remplir, sûrement et sagement, une fois président, le cadre encore vide du discours du Bourget.

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2 commentaires sur “Comment François Hollande nous parle

  1. Comment François Hollande nous parle
    «  Je suis le candidat de l’égalité et mon adversaire, notre adversaire à tous, est M. Sarkozy, représentant du pouvoir inégalitaire de l’argent, corrompu et corrupteur, lui que je somme, ici, aujourd’hui de renoncer à se représenter. Qu’il renonce à rester, dans cette République, notre, votre République, le pourvoyeur des inégalités, des privilèges et des injustices. Il est temps de partir, Monsieur le Président. C’est assez !  »

    Je partage votre avis, cette phrase seule aurait été capable de galvaniser la majorité de français susceptible de porter Hollande aux plus hautes « manettes »…

    Merci une fois de plus pour votre décryptage « sans concession », comme on dit, à mon avis, le « staff-wrigther » du parti socialiste devrait vous consulter pour ses discours, j’ai été passionnée par votre analyse, originale et, par là-même, tout à fait unique !

    Je vais de ce pas lire la version « light » citée en bas de l’article ! :o)

    A bientôt ! (j’attends avec impatience vos prochaines analyses, y’a du taff en ce moment !)

    Cordialement,
    Corinne

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