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Les Influences

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Alexandra Laignel-Lavastine vs Père Desbois

Publié le 8 juin 2009 par

Pour avoir émis, sur France Culture, de fortes réserves et des doutes quant à la méthodologie du prêtre, Alexandra Laignel-Lavastine vient d’être exclue du Séminaire sur la Shoah qu’elle était censée animer à la Sorbonne avec le même père Desbois. Anecdotique ? Un important front anti-Desbois est en train de voir le jour chez les historiens. La polémique ne fait que commencer sur fond de rivalité entre université et Conférence des Evêques de France.

 

Alexandra Laignel-Lavastine (portrait Gabriel pour L’Agence IDEA)
Alexandra Laignel-Lavastine (portrait Gabriel pour L’Agence IDEA)

En 2009, les règlements de compte universitaires se font en ligne et sur des blogs. Exemple :

«  Suite à l’émission « La Fabrique de l’histoire », j’ai dû, à mon grand regret, signifier à Alexandra Laignel-Lavastine, qu’elle ne pouvait plus faire partie de l’équipe d’animation du séminaire d’enseignement et de recherche « Ecrire l’histoire de la Shoah aujourd’hui » que je dirige à Paris-Sorbonne (www.seminaireshoah.org)  », poste l’historien Edouard Husson sur son blog du 2 juin.

De son côté, l’universitaire Alexandra Laignel-Lavastine a diffusé ce laconique message de licenciement, qu’Edouard Husson n’avait pas mis sur son blog hébergé par Marianne2.

«  Chers collègues, chers amis,
Je tiens à vous informer qu’il est mis fin immédiatement à la collaboration d’Alexandra Laignel-Lavastine avec l’équipe du séminaire « Ecrire l’histoire de la Shoah aujourd’hui » (master 1, master 2 et doctorat) de Paris-Sorbonne.

Le séminaire continuera comme prévu durant l’année universitaire 2009-2010, sous ma direction, avec Patrick Desbois comme co-animateur.

Bien à vous.

Edouard Husson.  »

À ma gauche, Edouard Husson, maître de conférences à Paris IV, spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Allemagne et de l’Europe, et co-auteur du Dictionnaire de la Shoah (Larousse). À ma droite Alexandra Laignel-Lavastine, philosophe et historienne de l’histoire contemporaine de l’Europe de l’Est, essayiste, collaboratrice régulière au Monde des Livres et traductrice de l’impressionnant Cartea Negrea, document monumental sur la destruction des juifs de Roumanie (Denoël). Deux caractères tranchés, deux styles. Pourquoi tant de haine ? Une affaire d’egos XXL, de réseaux universitaires, de rancœurs dont le pouvoir intellectuel a le secret sur fond de débat d’histoire vieux comme l’antique : qui a la légitimité intellectuelle du travail de mémoire ?

«  L’interruption, décidée le 28 mai dernier, de la collaboration d’Alexandra Laignel-Lavastine à notre séminaire de l’UFR d’histoire de Paris-Sorbonne «  Ecrire l’histoire de la Shoah aujourd’hui  » qu’elle co-anime avec le Père Desbois n’a été motivée que par des raisons strictement professionnelles, et non idéologiques  », martèle à IDEE @ JOUR, l’historien Edouard Husson qui estime que cette affaire est en voie «  d’apaisement  ». Voire.

De la dispute à la polémique

Depuis le mois de mai, une dispute intellectuelle s’est amorcée entre historiens de «  la Shoah par balles  ». Le chercheur emblématique, (et quasi-monopolistique selon ses détracteurs), est le père Patrick Desbois. Depuis 2002, à la tête de l’association Yahad-in Nahum, il recueille des témoignages en Ukraine, recense traces de charniers, exactions et massacres perpétrés sur les juifs par les «  Einsatzgruppen  », (unités mobiles nazies), avec la complicité plus ou moins consentie de la population. Le directeur du service national pour les relations avec le judaïsme, un service rattaché à la Conférence des Evêques de France, a su populariser son travail de recherches, même s’il n’a pas une formation universitaire d’historien. Son documentaire «  Shoah par balles, l’histoire oubliée  », son livre «  Porteur de mémoires  » (Flammarion, 2009), la grande exposition en 2007 au Mémorial de la Shoah, ont su faire événements sur ce qui constitue une nouvelle friche historique.
Cette personnalité de l’Eglise dont le but est de consolider le dialogue interreligieux et a été nommée Docteur Honoris Causa, le 12 mai dernier, de l’Université Bar-Ilan, se retrouve pourtant dans le collimateur de nombre d’historiens. On critique ici et là son goût de la médiatisation, son manque de rigueur que biaisent les contingences de la diplomatie vaticane, sa franche réticence à s’expliquer sur ses recherches ou encore à partager ses documents, son autocratisme.

À couvert, souterraines, maugréées, ces critiques surgissent désormais sur la scène publique. Emblématique de cette fronde, l’article co-signé par Christian Ingrao (directeur adjoint de l’Institut d’histoire du Temps présent) et de Jean Solchany (maître de conférences à l’IEP Lyon) dans la livraison de mai de la revue XXe siècle. Le texte a mis le feu aux poudres : seize pages argumentées s’inquiètent ainsi d’une dérive sensationnaliste et de la médiatisation des recherches du père Desbois, présentées par lui-même comme étant absolument inédites. Depuis, la discussion est devenue dispute, et même polémique.

Fin mai, dans le cadre d’une série sur les questions de l’histoire qui ont fait débats, le journaliste Emmanuel Laurentin, producteur de La Fabrique de l’histoire, sur France Culture, retient cette discussion. Le père Desbois contacté par l’émission donne son accord de principe, puis la veille, prétexte un départ urgent pour Moscou. L’équipe tente alors d’inviter l’universitaire Edouard Husson, responsable du séminaire co-animé par Patrick Desbois et Alexandra Laignel-Lavastine. En vain.

«  Oui, j’ai déconseillé à Patrick Desbois et à ses collaborateurs de Yadah, de se rendre à un tel débat, biaisé, et qui ne pouvait engendrer qu’un esprit de lynchage. L’écoute de cette émission ne m’a pas démenti  » déclare Edouard Husson aux Influences. Emmanuel Laurentin, contacté par nos soins, conteste en bloc cette version.

Le fond de la polémique

Trois saillies d’Alexandra Laignel-Lavastine ont particulièrement choqué Edouard Husson qui lui a demandé, en vain, de s’excuser dans un média. «  Premièrement, l’affirmation selon laquelle les témoins du Père Desbois parleraient dans un climat de peur suscité par l’équipe de Yahad elle-même est inacceptable, reprend Edouard Husson. Deuxièmement, l’idée selon laquelle Patrick Desbois n’aurait découvert aucune fosse commune contenant des restes de Juifs assassinés par les nazis et leurs auxiliaires qui ne fût déjà connue est archi-fausse : la moitié des centaines de fosses repérées par le Père Patrick Desbois et son équipe n’étaient pas connues par la recherche historique . Enfin, affirmer que Patrick Desbois n’est accompagné d’aucun «  historien professionnel  » est inexact, lorsque l’on sait qu’Alexandra Laignel-Lavastine a signé en 2008 un CDD de six mois en tant que conseillère scientifique auprès de Yahad.  »

Alexandra Laignel-Lavastine qui a fait cinq semaines de terrain en Podolie avec l’équipe Desbois estime avoir vu in situ «  les limites de la méthode d’histoire orale telle que la pratique Patrick Desbois : «  laquelle, comme toute méthode, s’expose à la critique intelectuelle. Faudrait-il faire exception à cette règle parce qu’il s’agit d’un prêtre ?  » demande la jeune femme. Selon elle, les questions posées et les méthodes d’approche des derniers témoins — elle préfère les appeler les « spectateurs » — occulteraient un paramètre central pour comprendre comment une population, en l’occurrence les juifs, a pu être «  génocidée  » au beau milieu d’une autre -leurs voisins- et surtout dans ces villages. « Nous sommes tout de même en Ukraine,pays pogromiste par excellence, là où les plus grands massacres de juifs de l’histoire pré-hitlérienne ont eu lieu, notamment dans les années 1918-1922  ».

Université vs Conférence des Evêques de France

Sa mission avec Yadah lui aurait ouvert les yeux sur une démarche qui désormais l’indispose. Pourquoi ? «  Parce que je pensais qu’il s’agissait justement, pour Desbois, d’éclairer dans quelle mesure, en Ukraine, l’environnement humain, globalement hostile aux juifs, sinon indifférent à leur sort, comme le savent tous les historiens, constituait un terreau ou un climat favorable au crime. Or c »était en fait un malentendu  », explique Alexandra Laignel-Lavastine.

L’accusation est sévère : «  Il y a beaucoup d’impréparation et d’amateurisme dans les missions de Yadah, une légèreté incroyable par rapport au travail d’archives, au recoupement et au croisement des sources en amont comme en aval du terrain, décrit l’historienne. Sur place, il était en outre rigoureusement interdit d’évoquer, même en fin d’interview, les pogroms ou les pillages qui, la plupart du temps, suivaient les exécutions. C’est inadmissible. Comme le relève aussi Omer Bartov, l’un des meilleurs historiens de la Shoah à l’Est dans un article critique sur le travail des Desbois : «  Nous sommes dans des régions ou pratiquement personne n’était un simple témoin ou «  bystander  » passif  » ( Haa’retz du 16/10/2007). Je trouve ce parti pris très dommageable. D’abord parce qu’il empêche une reconstitution honnête, conforme à la vérité historique, des circonstances du crime, ensuite parce qu’ il y a là un énorme gâchis : nous avions enfin l’occasion et les moyens d’éclairer ce que j’appelle «  le ventre mou du génocide  ». Comme l’écrit très justement Antonella Salomoni dans L’Union soviétique et la Shoah (La Découverte), l’extermination des juifs d’Ukraine n’aurait pas pu être mise en œuvre de façon aussi massive, aussi rapide et aussi systématique sans le concours d’un nombre très élevé d’habitants de ces régions. Manifestement, il s’agit-là d’une évidence pour tous, sauf pour le père Desbois  ».

Le CDD n’a pas été renouvelé. Et la méfiance est devenue défiance : le séminaire de la Sorbonne, même s’il connaît un succès notable, aimantant jusqu’à une cinquantaine d’étudiants et de chercheurs, ne se sera jamais déroulé selon le projet initial. A savoir, la co-animation par Alexandra Laignel-Lavastine et Patrick Desbois. Les deux protagonistes auront tout fait pour s’éviter.
Edouard Husson quant à lui préfère expliquer cette dispute sur le terrain d’une mésentente entre le père Desbois et Alexandra Laignel-Lavastine. «  Ce sont deux tempéraments qui n’ont pas su s’accorder  », analyse t-il.

Alexandra Laignel-Lavastine persiste et signe. Elle réserve d’autres faits de la méthode Desbois, qu’elle souhaite rendre publics dans un livre à venir. L’éviction d’Alexandra Laignel-Lavastine du séminaire a précipité la constitution d’un front anti-Desbois ces derniers jours. Plus d’une centaine d’historiens ont soutenu par mail leur consœur, signalant au passage leur adhésion à la critique globale sur le prêtre chercheur de la Shoah par balles. La personnalité du père Desbois, mais également celle d’Edouard Husson, artisan du rapprochement depuis 2006 entre l’association et la Sorbonne, ont cristallisé bien des rancoeurs universitaires.

De son côté, Edouard Husson balaie ces objections d’un revers de main. «  Je voudrais que l’on en vienne à un débat vraiment scientifique, celui de Christian Ingrao et Jean Solchany  », confie Edouard Husson. Pour l’instant, il préfère se concentrer sur l’important colloque intitulé «  Opération 1005  », c’est-à-dire les mesures mises en œuvre pour effacer les traces des meurtres de masse en Europe centrale et orientale, de 1942 à 1944. Celui-ci se tiendra les 15 et 16 juin au Collège des Bernardins, avec un plateau d’historiens internationaux (lire document en PDF). Ce sont le cardinal André Vingt-trois et le prêtre Patrick Desbois qui l’inaugureront. De quoi agacer un peu plus les historiens de l’université. Le débat continue.

Documents joints

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7 commentaires sur “Alexandra Laignel-Lavastine vs Père Desbois

  1. Alexandra Laignel-Lavastine vs Père Desbois
    Je me suis toujours interrogé sur les « similitudes » entre le massacre de Katyn (attribué initialement aux nazis)et la Shoah par balles.

    PS : j’espère que personne ne sera choqué par cette interrogation.

  2. Au-delà de la controverse Laignel-Lavastine vs Desbois
    J’ai attendu un an pour réagir, afin que les passions soient un peu apaisées, au risque que personne ne lise ces lignes. L’enjeu dépasse largement Desbois et Laignel-Lavastine et concerne les rapports entre juifs et chrétiens en Europe de l’Est. On le sait, ils ont souvent été conflictuels, pour des raisons historiques, religieuses, économiques, et ici ou là ces conflits ont évolué en violences, parfois meurtrières, dont la Shoah devint le point paroxystique.

    Les horreurs de la Shoah ont figé pour toujours les juifs dans le rôle des victimes et les chrétiens dans celui des bourreaux: prêtre chrétien, Desbois a joué contre cette tendance, Laignel-Lavastine pour. Elle n’est pas la seule: à Montpellier par exemple Carol Iancou joue le même rôle qu’elle. Si, comme le conseillait feu Georges Duby, on essaie de de replacer dans le contexte de l’époque, d’avant 1938… si, par exemple, on lit la correspondance du capitaine Charles De Gaulle en mission en Pologne après la première guerre mondiale, relatant les rapports juifs-chrétiens, on constate que les choses ne sont pas si simples: chaque communauté a pu avoir des attitudes agressives envers l’autre, et alors que globalement les chrétiens étaient sur l’offensive et les juifs sur la défensive, le Betar a eu des prédécesseurs qui ont eu de puissants alliés (voir l’histoire du « Yiddischland révolutionnaire », par Patrick Rotman). Alliés qui ont dynamité bien des églises, alors que les antisémites brûlaient des synagogues.

    Il y a eu beaucoup d’intolérance d’origine religieuse puis idéologique, de dures rivalités économiques et bien peu d’unions mixtes, avant que tout cela ne tourne à la tragédie. Le désir de ne pas banaliser cette tragédie a mené à ce que Nicolas Trifon a appelé une « concurrence mémorielle » et à une quasi-impossibilité d’étudier ces sujets sans passions, chacun cherchant, fut-ce inconsciemment, à valider le point de vue de la communauté religieuse qui lui est émotionnellement la plus proche.

    L’ombre de la Shoah réinterprète rétrospectivement tout ce qui s’est passé avant, comme si elle était inéluctablement écrite dans les tensions antérieures, au mépris de la mémoire de tous ceux qui ont oeuvré pour empêcher cela, minoritaires mais présents: enseignants, humanistes, agnostiques, démocrates, franc-maçons, religieux pacifistes de toute confession, écrivains tels Panaït Istrati ou Elias Canetti, qui, certes, ont échoué devant l’antisémitisme, le communisme et le nazisme (lesquels n’auraient jamais pris le pouvoir sans la rapacité des marchands d’armes pendant la « grande guerre » et celle de Paris dans la question des réparations ensuite), mais qui ont au moins essayé.

    Eux savaient que rien n’est jamais écrit d’avance. Pensez-vous que la Troisième guerre mondiale et la fin d’Israël soient inéluctablement écrites dans les tensions actuelles entre Méditerranée et Jourdain, entre le « G.8 » et le reste du monde ?

    C’est aussi à ces humanistes que je pense, en ce triste 14 juillet 2010 pluvieux, où les chefs d’état africains sont à l’honneur Place de la Concorde, tandis que dès demain matin leurs ressortissants, éboueurs, maçons ou terrassiers logeant dans des cités sinistres ou des taudis, feront la queue aux services des étrangers des préfectures, priant en toutes langues et religions pour le renouvellement si aléatoire de leurs papiers…

    Il faut voir ou revoir « Un été inoubliable » de Lucian Pintilie et « Train de Vie » de Radu Mihaileanu pour comprendre…

    1. tiens, une réaction !

      si d’aventure c’est un de mes commentaires (ou plusieurs) qu’elle vise, pourriez-vous, à défaut de votre identité, préciser votre grief ?

      avec mes remerciements anticipés (de peu, j’espère !)

      1. tiens, une réaction !
        J’ose une hypothèse de cas d’école concernant le grief de « malhonnêteté » : Un agresseur et un agressé. L’agressé réagit et devient à l’occasion agresseur. Un tiers débarque et renvois dos-à-dos les deux types d’agression… A moins d’être en capacité de démontrer que l’agresseur initial n’en n’était pas un ( pas de « tradition » antisémite en Ukraine, pas de pogroms « réguliers », pas de trace d’anti-judaïsme dans la culture chrétienne du coin, etc… ), ou que l’agressé était finalement l’agresseur ( massacre régulier de chrétiens par des juifs, tradition anti-chrétienne manifeste et historiquement avéré, etc… ) on pourrait alors poliment parler de malhonnêteté. Quand d’autres se borneraient à évoquer plus simplement un raisonnement de salaud 😉

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