Des histoires d’Histoire
Publié le 25 juin 2012 par Vanessa Postec
Premier roman traduit en France de l’Australien Chris Womersley, Les affligés est un livre enthousiasmant. Tout simplement.
La littérature, c’est comme l’Eurovision : on sait à coup sûr quand ça ne va pas marcher, mais on ignore le plus souvent pourquoi, parfois, ça fonctionne merveilleusement. Pour pallier la lacune, le critique cherche des raisons et, s’il n’en trouve pas, il en invente. Il va parler de la beauté de la langue, de la prouesse stylistique, de la formidable construction, du sens de la narration, de l’atmosphère, de la portée philosophique, sociale, poétique, politique (biffez les mentions inutiles) de l’oeuvre.
A l’occasion, il va oser la comparaison avec les grands anciens, ou saluer le génie novateur. Parce qu’il est payé pour ça. Et certainement pas pour écrire : « Oh bon Dieu ! Qu’il est beau ce bouquin ! » Ce qui est fort dommage et un poil malhonnête car, s’ils ne sont pas légion, ils existent, ces livres, qui méritent l’enthousiasme plus que la glose.
Les affligés fait partie de cette petite coterie, même les moins attentifs l’auront deviné à la lecture de la tartine ci-dessus. Autant dire que l’on ne va pas chercher à expliquer « pourquoi » il est formidable, ce roman de Chris Womersley, un Australien bourlingueur, ex-journaliste radio et écrivain touche-à-tout (polars, nouvelles et poésies itou), mais on va raconter ce qu’il a dans le ventre. Pour faire court, c’est une histoire sur l’Histoire avec plein d’histoires dedans.
« Mais même si les livres sont une ouverture sur le monde, je crois que les histoires sont aussi une façon de s’en préserver. »
Pour faire un peu plus long, c’est le récit des « aventures » de Quinn Walker, de retour en Nouvelle-Galles du Sud après avoir été démobilisé en 1919. Ca fait un sacré bail qu’il n’a pas remis les pieds chez lui, dans la petite ville de Flint. Depuis qu’il a dû lever le camp précipitamment une dizaine d’années plus tôt, accusé à tort du viol et du meurtre de sa sœur. On ignore, à l’ouverture du roman, pourquoi diable le soldat à la gueule cassée et aux poumons ravagés par le gaz moutarde est revenu dans le coin, en pleine épidémie de grippe espagnole.
Mais l’on découvre bien vite que son père et son oncle, eux, ne manqueront pas de lui faire la peau s’ils le retrouvent. Alors Quinn se cache dans les collines qu’il confond, parfois, la nuit, avec les tranchées. C’est là, en pleine nature, qu’il rencontre une drôle de gamine, solitaire, mystérieuse, gardienne des secrets (les siens et ceux des autres), qui écoute aux portes, et connaît la langue des agneaux, qui sait « pour le vent, les étoiles, et ce qui arrive dans les rivières. » Et qui semble en savoir plus qu’elle ne devrait concernant le supposé crime de Quinn…
On navigue entre ombre et lumière, passé et présent, songe et réalité, entre chant d’amour et regrets, avec une lucidité désenchantée : « (…) Même si les livres sont une ouverture sur le monde, je crois que les histoires sont aussi une façon de s’en préserver. » Au final, s’il n’y a qu’une chose à retenir, c’est bien celle-là : qu’il est vraiment beau, ce livre. Et c’est dans ce cas-là qu’on regrette (un peu) que l’Australie ne participe pas à l’Eurovision.