Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

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François Gèze, 30 ans de Découverte

Publié le 18 mars 2013 par

En trente ans, il a su hisser La Découverte à un niveau d’éditeur en sciences sociales incontournable. Mais pour les trente prochaines années, il craint bien qu’il n’y ait plus de lecteurs pour les lire. Par Emmanuel Lemieux

influenceurs_250.gif Culture. Trente ans. Comme un claquement de doigts dans l’agora. Les éditions La Découverte fêtent leur trentième anniversaire sur fond de crise, mais François Gèze a toujours connu la crise, et les mutations qui sont allées avec. Ce qui n’a pas empêché l’éditeur de la rue Abel-Hovelacque (professeur en anthropologie, linguiste et député, 1843-1896 ) de se hisser au niveau enviable des PUF pour ce qui concerne la production et l’impact d’ouvrages de sciences humaines et sociales.
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 » En 30 ans, nous avons assisté à l’effondrement des mandarins créateurs, à la stérilisation du paysage intellectuel et depuis les années 2000, à l’arrivée de jeunes chercheurs particulièrement novateurs « 

Trente ans. Deux ou trois couches fossiles de sociologie, histoire, psychanalyse, sciences politiques. Quelques livres de référence. Quelques agacements. Quelques belles disputes et querelles également.  » En 30 ans, nous avons assisté à l’effondrement des mandarins créateurs, à la stérilisation du paysage intellectuel et depuis les années 2 000, à l’arrivée de jeunes chercheurs particulièrement novateurs  » résume t-il d’un trait météorique. Un éditeur est un marqueur du temps qui passe, et celui-ci n’échappe pas à la règle. Certes, la fidélité est là. L’extrait de naissance de La Découverte est une refondation, celle de la reprise des Éditions François Maspero. En mai 1982, le libraire-éditeur infatigable depuis 1959, passe la main et choisit comme héritier, François Gèze (1948). A lui le catalogue d’auteurs, l’orientation générale mais sans le nom emblématique. Va pour La Découverte qui se conçoit comme « une maison globalement orientée à gauche, dans un esprit non dogmatique et non «  partidaire  ». »

Le sourcilleux ingénieur des Mines, mais aussi l’ ancien militant en 1978 du « Comité pour le boycott de l’organisation par l’Argentine de la coupe du monde de football » se lance sérieusement dans cette galère, installant Q.G dans un cube gris sans charme aucun du XIIIe arrondissement. « Je n’édite pas pour éditer, c’est un champ et un projet politique » précise t-il. Reste que l’histoire économique et capitalistique de La Découverte, elle, a vécu bien des retournements de situation.Les éditions abritèrent un temps les comités de rédaction foutraques de Charlie-Hebdo. Un temps aussi, la CFDT récupéra l’éditeur mal en point. Mandaté par le syndicat, François Rogé dit « le Chimiste » (car il venait de la branche Chimie de la Confédération), supervisa la destinée de la petite maison. Mais c’est une rencontre avec Agnès Touraine d’Havas qui fut décisive : En 1998, La Découverte a été absorbée par le groupe Havas, métamorphosé lui-même en Vivendi Universal Publishing (2001), puis mutant mutandis en Editis en 2004.  » Elle a pu ainsi développer son activité avec des moyens renforcés, dans le plein respect de son indépendance éditoriale  » explique, avec une onctueuse rapidité, le texte du catalogue anniversaire.

 » Le Cambalache est mon expression favorite : c’est le bazar, le bordel social en argot argentin « 

Un livre fondateur en 1982 fait pierre d’angle : L’Etat du monde signale que le temps des grands récits et des grandes idées est à réenvisager. Avec le géographe Yves Lacoste, il lance cet annuaire de géopolitique et de géoéconomie mondiale qui cahin-caha réalisera en vent de croisière, près de 25 000 ventes jusqu’à exploser de plus du double pour le cru 1991, avec le basculement du monde et son inflation de nouvelles nations. »Depuis, ça décline » commente t-il sobrement. En 1983, François Gèze mit également à flots sa collection de poche «  Repères  », un alter-ego du Que sais-je? des Puf, mais resserrée sur les sciences sociales, avec plus de 600 ouvrages au compteur. Les années 80 témoignaient de l’effondrement de l’édition des ouvrages de sciences humaines et sociales. Un déclin multi-factoriel. Vers quoi dirigeait alors la boussole de l’éditeur ?
Des grands fauves lui furent fidèles comme l’historien Pierre Vidal-Naquet, l’orientaliste Georges Corm. Lui paria sur le philosophe Bruno Latour, sur le professeur en sciences de l’information Philippe Breton, sur le sociologue Jean-Pierre le Goff ou sur celui aux relations bourdieusiennes compliquées Bernard Lahire, sur le biographe du structuralisme François Dosse. Son ami le psychanalyste ex-guérillero Miguel Benasayag y écrivit comme chez lui. L’éditeur chercha ses propres découvertes. « Deux-trois éléments caractérisent l’image globale de cette maison. Les sciences et les techniques, au début des années 80, était un impensé de la gauche. En gros, tout le monde s’en foutait. Pierre Levy avec L’Intelligence Collective nous a ouvert les yeux. La santé et le travail n’étaient absolument pas envisagés également : lorsque nous avons publié Les Risques Du Travail en 1985, nous ne nous attendions pas à un long-seller aussi incroyable. Enfin, nous avons ouvert de nouvelles pistes sur l’histoire des gauches françaises ou sur notre histoire coloniale qui ont bouleversé nos anciens schémas.  » Il s’ouvrit au Mauss d’Alain Caillé (production et archives parties cette année pour la petite maison d’éditions Le Bord de l’eau). Il découvrit le petit club Politique Autrement animé par Jean-Pierre Le Goff, « un ancien mao hard qui s’était transformé en penseur stimulant de la démocratie » inaugurant une longue amitié et une fructueuse collaboration qui finira en divorce idéologique après le succès tout de même de Mai 68, l’héritage impossible (1998). Gèze se veut gauchiste, Le Goff se veut Gauchet. Autre griffe maison, l’éditeur conçoit des ouvrages comme des aventures collectives, avec des livres panoramas documentant sur l’état des savoirs. D’une certaine façon, il fabrique en artisan, les livres papier envisagés comme ressources de référence, avant l’ère Internet.

 » Nous avons ouvert de nouvelles pistes sur l’histoire des gauches françaises ou bien sur notre histoire coloniale qui ont bouleversé nos anciens schémas « 

Le petit catalogue raisonné des 30 ans de La Découverte est comme la bande-annonce des 3500 livres de sciences humaines et sociales publiés (dont 1500 toujours en fonds) de ces décennies crisiques. Même réduite, la liste anniversaire de l’éditeur est impressionnante. A côté des livres savants, Il y a une production influente et très rentable d’essais et d’enquêtes. Prédomine le journaliste Günter Wallraff et son best-seller des best-sellers Tête de turc (1988), publié dans l’ancienne collection Maspero, Cahiers Libres. Le chercheur de découvertes a expérimenté bien d’autres secteurs de l’édition. Dans les années 1980, François Gèze s’est livré à une marotte personnelle, celle de l’édition de science-fiction, avec notamment le succès du Neuromancien, du cyberpunk William Gibson. Il n’est pas peu fier d’être le défricheur de cette flippante et fascinante dystopie dans les entrailles et les circuits intégrés de Conurb. Il y eût des « Culte Fictions », des « Pulpe fiction » aussi. Un regret comme un gros sparadrap :  » Je suis complètement passé à côté de la BD Maus de Spiegelman, je n’avais pas compris la puissance symbolique des petites souris de l’Histoire » avoue t-il. Après une incursion dans la littérature étrangère et les livres jeunesse dûs au rapprochement-absorption des éditions Syros, la filiale d’Editis a finalement tranché pour une stratégie axée sur la non-fiction à 100%. La Découverte s’est enrichi depuis d’un nouveau label, «  Zones  », axé sur la contre-culture et les nouvelles pensées critiques, d’une vaillante petite maison transfuge du Seuil, Les Empêcheurs de penser en rond, et de son mentor, l’intellectuel organique du NPA Philippe Pignarre.

 » A l’université, il y a un désapprentissage du livre comme outil de savoir et de connaissance « 

Les années 1990-2000 ont été emblématiques de castagnes diverses portées par l’éditeur. Si à l’unisson de l’extrême gauche française, La Découverte a chipoté le siège de Sarajevo et le régime Milosevic sous les bombes de l’Otan, par contre l’Algérie, sa colonisation, sa guerre d’indépendance et sa guerre civile constituent une bibliothèque toute entière et récurrente depuis l’ère Maspero. Ainsi, François Gèze s’est lancé vent debout dans une analyse différente sur la guerre des années 90 en Algérie. La thèse centrale de la maison d’édition fut portée par le document La Sale Guerre, de Habib Souaïdia, un ancien officier des forces armées algériennes (2001) qui accusait l’armée algérienne et ses services secrets de fomenter eux-mêmes des actions de terrorisme sur la population pour faire monter la pression. Mike contre-attaque, de Michael Moore (2002) ou Le Monde selon Monsanto, de Marie-Monique Robin (2008) illustrèrent également les thèmes de l’altermondialisme, des luttes anticapitalistes, tandis que Jérémy Rifkin prophétisa la fin du travail, et Marie-France Hirigoyen, La souffrance au travail.

La Découverte édifie également quelques beaux monuments éditoriaux de longue haleine : livres enquêtes ou livres de savoir collectifs, à l’instar, en 2002, de Zoos humains et exhibitions coloniales, ou encore L’Histoire des gauches (2004), ou le passionnant Une histoire secrète de la Ve République .
Mais la vraie boussole de François Gèze se tient depuis 30 ans au mur derrière lui. Elle se nomme le Cambalache. C’est la mélancolie d’une prophétie tirée d’un tango des années 1930. Première strophe :
 » Que le monde ait été et sera une saloperie,/ ça, je le sais bien./ En mille cinq cent six,/et en l’an 2000 aussi/ Et qu’il y a toujours eu des voleurs,/Des machiavels et des escrocs,/des gens heureux et des aigris, /du vrai et du toc…/Mais que le 20° siècle
soit un étalage/ de méchanceté insolente,/il n ’y a personne pour le nier./Nous vivons vautrés/ dans la même boue,/tous manipulés./Aujourd’hui, ça revient au même
/ d’être loyal ou traître/ignorant, savant, voleur,/généreux ou escroc/Tout est pareil, rien n’est mieux./  »
Ce texte figure même en annexe des Assassins de la mémoire, de Pierre Vidal-Naquet (La Découverte, 1987) « Se battre contre le Cambalache, voilà ce qui m’arrive » expliquait François Gèze il y a dix ans alors que la feuille était beaucoup moins jaune qu’aujourd’hui. Explications : « Le Cambalache est mon expression favorite : c’est le bazar, le bordel social en argot argentin, c’est surtout le titre d’un célèbre tango des années 30, de l’inoubliable Enrique Discepolo qui dénonçait la mentalité de l’époque, celle du « todo es igual, nada es mejor » : « Tout se vaut, rien n’est mieux. » Le texte du Cambalache, je l’ai fait encadrer et je l’ai accroché au-dessus de mon bureau en 1983, au moment du tournant réaliste des socialistes et des reniements assumés des soixante-huitards médiatiques : il désignait à mes yeux, mieux que tout, ce qu’il fallait combattre et qui guiderait donc mon travail d’éditeur. » Il pensait chiffonner le texte vers l’an 2000, il figure toujours comme son pense-bête derrière le bureau, et constitue le manifeste secret de son travail d’éditeur.

Face à la mort programmée du livre papier de sciences humaines, rue Abel-Hovelacque on s’attelle depuis longtemps à l’édition numérique

Dans 30 ans, La Découverte ? « Nous serons un peu cuits » s’amuse t-il. Mais c’est surtout du livre et du catalogue à venir dont François Gèze veut parler.  » A l’université, que ce soit les étudiants ou les jeunes générations d’enseignants, on n’apprend de moins en moins à s’informer dans les livres, il y a un désapprentissage du livre comme outil de savoir et de connaissance » estime celui qui a longtemps combattu le photocopillage universitaire. Face à la mort programmée du livre papier de sciences humaines, rue Abel-Hovelacque on s’attelle depuis longtemps à l’édition numérique ( catalogue de livres électroniques, sous-traitance des revues et de livres SHS par le portail Cairn.info et, gros chantier, numérisation de nombreux ouvrages épuisés). Vous avez aimé le Cambalache des années 1980, vous adorerez, si vous le pouvez, celui de 2043.

NOS COUPS DE COEUR

Tête de Turc, par Günter Wallraff, Traduit de l’allemand par Alain Brossat et Klaus Schuffels, Préface de Gilles Perrault, Cahiers libres (1986)

wallraff.jpgGünter Wallraff est un journaliste allemand, auteur d’enquêtes infiltrées dans les années 1970-90. Du masque comme révélateur journalistique. Actuel en France a également expérimenté ce que le magazine appelait ses « impostures ». Wallraff est plus militant : sa méthode d’anonymat et d’incognito veut dénoncer nombre d’injustices sociales. Son livre Le journaliste indésirable, infiltration dans la presse tabloïd, fut publié en France chez Maspero en 1978. En 1986, Tête de Turc a été le plus gros succès jamais enregistré par La Découverte : une enquête en immersion et qui restitue la condition des travailleurs turcs immigrés en Allemagne.

La grande guerre pour la civilisation, L’Occident à la conquête du Moyen-Orient (1979-2005), par Robert Fisk, Traduit de l’anglais par Martin Mackinson, Laure Manceau, Marc Saint-Upéry et Alain Spiess (2005)

Robert Fisk, journaliste pour The Independant, est l’un des plus grands reporters spécialisés sur le Moyen Orient. Il a été le seul reporter occidental à avoir pu rencontrer plusieurs fois Ben Laden, avant les attentats du 11 septembre 2001.

fisk.jpg Ce livre impressionnant brosse l’histoire du Moyen-Orient depuis les années 1970, histoire qui se confond presque avec celle de ses guerres et de ses conflits : Afghanistan (1979-1989, puis 2001), Iran-Irak (1980-1988), Liban (1975-1991), guerre du Golfe (1991), Irak (2003), sans oublier le conflit israélo-palestinien. La «  grande guerre pour la civilisation  », est celle menée par les puissances occidentales – la France et le Royaume-Uni dans la première partie du XXe siècle, puis les États-Unis – qui « n’ont jamais cessé de jouer dans une région qu’elles considèrent comme leur zone d’influence « . C’est un ouvrage qui mêle avec maestria toutes les technologies possibles du journalisme écrit : récits, enquêtes, dialogues, analyses et souvenirs personnels, pour retracer l’épopée tragique du Moyen-Orient contemporain.

Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, de Christian Salmon (2007)

Christian Salmon, écrivain et chercheur au CNRS (Centre de recherches sur les arts et le langage), fondateur du Parlement international des écrivains, est ici l’auteur d’ un classique sur la communication moderne.
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Thèse : Depuis qu’elle existe, l’humanité a su cultiver l’art de raconter des histoires, un art partout au cœur du lien social. Mais, depuis les années 1990, aux États-Unis puis en Europe, il a été investi par les logiques de la communication et du capitalisme triomphant, sous l’appellation anodine de «  storytelling  ». Pirouette : Le « storytelling », avec le succès de son livre, est désormais rentré dans les moeurs françaises des agences du marketing et des conseillers de la politique, jusqu’à la caricature. Un essai magistral.

Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail , Matthew B. Crawford, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Marc Saint-Upéry (2010)

crawford.jpg Notre livre de chevet. Mathew B. Crawford est philosophe et réparateur de motos. Mais auparavant, il était un rédacteur bien rémunéré, chargé de pondre des notes à flux tendus pour un think-tank de Washington. Le travail de forçat analytique devint rapidement un Enfer de l’économie du savoir. Crawford y frôla le burn-out. Au bout de quelques mois, il démissionne pour ouvrir… un atelier de réparation de motos ! À partir du récit de son étonnante reconversion professionnelle, on lit une analyse fine et éblouissante sur le sens et la valeur du travail dans les sociétés contemporaines. Dans son métier de réparateur qui fonctionne comme métaphore, le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois abrutissants, machinaux et décérébrants de l’«  économie du savoir  ». La philosophie du carburateur devient ainsi le carburateur d’une philosophie stimulante.

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