Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Adolf Hitler #Franco #Nazisme #Tarbes

Quand les démocraties fabriquent de la propagande

Publié le 28 juin 2014 par

On peut, on doit se réconcilier, c’est politique, mais pas au prix de la perte d’un jugement éthique et d’une distorsion violente de la mémoire réelle

salazar-3.jpg Voilà quelques jours j’étais dans une ville de province, Tarbes, pour ne pas la nommer et sur la place principale je me promenais avec deux vieilles personnes, comme on ne dit plus. La mairie était drapée de trois drapeaux en écharpe sur sa façade radicale-socialiste 1890. La vieille dame qui m’accompagnait murmura, «  quelle horreur  ». Elle désigna d’un hochement de tête le drapeau allemand. Elle avait connu, jeune fille en fleur, «  la botte allemande  ». Le vieil homme, son voisin, montra de sa canne la bannière espagnole et ajouta : «  Et ce torchon ?  ». Il était de ces familles de Navarre et d’Aragon qui avaient fui, par les cimes enneigées d’un printemps sanglant, la fureur des franquistes et, comme elle reconnaissait dans l’or-noir-rouge ce Reich qui infligea trois invasions à la France et s’arrangea à chaque fois pour ne plus en paraître coupable, il savait, lui, que sur l’or et le cramoisi ibériques rayonnaient les mêmes armoiries que celles qui ornaient naguère la peseta du caudillo.

On nous serine le devoir de mémoire, on nous pousse dans les corrals des lieux de mémoire, on nous fait la leçon jusqu’à plus soif avec le souvenir et «  les anciens  », mais je crains que ceux qui possèdent la mémoire vive et charnelle du passé sont réduits à ce pénible hochement de tête et ce geste d’une canne. Ils sont réduits au silence.
Ces deux vieilles gens, elles, savent, et sont réduites au silence : elles savent que quand les médias substituent systémiquement «  nazi  » à «  allemand  », on ment ; que quand on parle du roi Felipe, on tait que son père avait été mis là par un tyran (et que, pour les légitimistes, il est un usurpateur, de surcroît), on ment ; bref qu’on réécrit l’Histoire.
Je veux rappeler ici cette éloquente phrase de Saint-Just, dans son incandescent discours de Thermidor, qu’on l’empêcha d’achever, car justement il était déjà, lui, la mémoire exacte de la République face à la trahison parlementaire et la montée de ce qui sera le bonapartisme : «  Le silence qui règne autour des trônes  ».

De nos jours, le silence règne dans le simulacre de l’information.

L’assourdissante cacophonie des informations au continu sert à masquer des stratégies de récriture du passé.
Les nouveaux trônes, à savoir le pouvoir bureaucratique, technologique et financier, nous assomment d’un silence d’un genre nouveau : ils manufacturent un vacarme électronico-médiatique qui bloque toute réelle discussion.
Comment argumenter contre la présence des Allemands aux cérémonies commémoratives ? Comment dire que le régime hérité du franquisme est un pitoyable simulacre ? Comment argumenter que, sur les plages de Normandie et sur les podiums officiels, les coupables et les assassins ne doivent pas être mis sur le même pied que les victimes ? On peut, on doit se réconcilier, c’est politique, mais pas au prix de la perte d’un jugement éthique et d’une distorsion violente de la mémoire réelle. Car la guerre économique que l’Allemagne mène contre nous n’a rien à envier à 1870, 1914, 1939, sauf que, par la grâce du silence, on ne l’entend pas.

A rebours, dans l’affaire de la Crimée et de l’Ukraine, il est notable que la propagande téléguidée depuis Langley (le siège de la CIA) et le GQG de l’OTAN près de Bruxelles, s’est débattue contre le fait qu’en Russie les vétérans se souviennent : une des forces argumentatives de V. Poutine reste que les Russes appellent un fasciste un fasciste, un Allemand un Allemand, et une guerre patriotique une guerre patriotique. Poutine n’a pas eu à inventer des éléments de langage, ils étaient là, vivants, vécus, vifs – et non pas réduits aux tristes gestes de deux vieilles personnes sur une place de mairie à qui on dira bientôt qu’elles ont dû rêver.

Par exemple, voici quelques années, on a assisté au remplacement systématique de «  l’armée israélienne  » par «  Tsahal  », qui du coup fit disparaître le terme d’ «  armée », lui substitua une expression incompréhensible, et rendit fantasmagoriques les actions et exactions de cette force d’occupation et de défense. Par exemple, comme je l’ai noté, la permutation d’ «  allemand  » par «  nazi  », qui s’est accompagnée d’une série de films louant les efforts d’officiers pour renverser Hitler – une tentative obscène pour exonérer la Wehrmacht des massacres commis par elle, et l’absoudre du soutien qu’elle donna à son chef jusqu’au moment où elle s’aperçut que la défaite était là, et donc fut deux fois criminelle (par les massacres et par la trahison).

Les services de renseignement et de propagande américains sont passés maîtres dans l’invention et la propagation de ces clefs rhétoriques : «  dommage collatéral  », «  ligne rouge  », «  feuille de route  ». Autant de masques.
Voyez enfin la nouvelle rhétorique du Front National, qui invoque désormais la république, comme si ses racines, et même sa force, n’étaient pas anti-républicaines. On manipule, en réduisant au silence le passé d’une constante française.

La liste est longue. Faites un décompte.

Le plus troublant dans cette manipulation rhétorique est que, traditionnellement, la réécriture de l’Histoire, par la propagande adulte ou par l’éducation juvénile, a été le fait des régimes autoritaires.

Je m’inquiète pour la génération actuelle, baignant dans le liquide amniotique de ces manipulations rhétoriques qui effacent le passé, projettent des scénarios du présent et pervertissent déjà la perception du futur

Saint-Just, quand il parle du «  silence qui règne autour des trônes  », pointe l’absence de délibération publique sous les monarchies absolutistes et sa leçon s’applique aussi au silence qu’impose la propagande totalitaire. On sait comment dans les pays musulmans intégristes les manuels d’histoire sont fabriqués. On sait comment au fond du marxisme, une philosophie de l’Histoire, la récriture des faits tient à la nature de sa conception du «  fait  », à savoir la lutte des classes – avec, pour conséquence, ce que nous nommerions des manipulations. Mais la leçon du plus pur des Républicains, va plus loin : il nomme le silence des lieux communs assénés sur une population.
Car, ce qui est neuf, est que cette manipulation est désormais le fait des démocraties occidentales. Ce sont elles qui réécrivent, manipulent, malaxent et re-forment l’Histoire, imposant le silence aux vieilles personnes bien de chez nous et accablant de ridicule les vétérans russes.
Pourquoi ? Parce que les «  élites  », issues soit des écoles d’administration soit des écoles de commerce, sont rompues aux méthodes rhétoriques des résumés, des executive summaries, et des mémos. Ces soi-disant élites sont férues de cette réduction de la pensée à des lieux communs qui servent de façade argumentative à une stratégie donnée, elle-même fondée sur le court terme et le retour sur investissement. Mais elles savent, car de méprisables spécialistes en communication le leur ont dit, que cette stratégie doit absolument se recouvrir de plis rhétoriques abondants et se draper de mots sonores pour que le peuple ne s’aperçoive pas du silence qu’on lui impose (comme on réduit au silence les petits actionnaires).

Je crois même que ces élites sont incapables de penser autrement que par de tels lieux communs, brefs et forts, qui existent à fin de servir autre chose que la délibération et le débat, c’est-à-dire une stratégie de rendement.
Ces lieux communs surgissent à chaque fois qu’il y a effort de manipulation. En amont ils récrivent l’Histoire et en aval ils formulent des cadres rhétoriques pour présenter des événements qui se déroulent maintenant, dans un effort pour contrôler comment on écrira notre Histoire.

Je reviens à mes deux vieilles personnes et je partage leur sentiment d’avoir été flouées. Et je m’inquiète plus encore pour la génération actuelle, baignant dans le liquide amniotique de ces manipulations rhétoriques qui effacent le passé, projettent des scénarios du présent et pervertissent déjà la perception du futur.

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5 commentaires sur “Quand les démocraties fabriquent de la propagande

  1. les taons sont durs…
    sur bien des points, on ne peut qu’approuver, mais mieux vaut se défier d’un âge d’or qui sur ce terrain n’a peut-être jamais vraiment existé : les démocraties occidentales ont toujours (pour ici reprendre les termes de l’article) « réécrit, manipulé, malaxé et re-formé l’Histoire ».
    Ce qui pour ma part me paraît neuf, et peu réjouissant, est la disparition, que l’on espère provisoire, des forces qui traditionnellement jouaient en sens contraire :
    – le titre d’historien et le salaire qui va avec sont aujourd’hui attribués en fonction exclusive, du critère de soumission à l’idéologie dominante, voire de soumission pure et simple (l’obscène promiscuité avec les pouvoirs publics à laquelle on assiste en ce moment, sous le prétexte de… commémoration-du-centenaire-de-1914, dépasse l’imaginable)
    – le grand public ne comprend manifestement pas, quel est l’enjeu qui entoure Histoire-et-propagande (à savoir : qu’une société qui lui ment sur le passé, lui ment au présent). Et j’en profite pour rendre hommage à Kurt Werner Schaechter aujourd’hui disparu et qui loin de donner un sens passéiste, à son combat pour l’accès aux Archives, obéissait en priorité à cette motivation
    – ce qui enfin constitue un des meilleurs antidotes, à savoir l’existence d’un débat public, n’existe plus : j’ai pu constater, à travers le « sort » réservé à des réponses documentées que j’avais pu adresser au Monde, que la bourgeoisie ne respecte même plus le droit de réponse (ne parlons pas de liberté d’expression) de ceux qui refusent d’emboîter le pas.

    1. les taons sont durs…
      Merci. Sur votre premier point j’ai failli écrire aussi sur le numéro du magazine international du CNRS qui récrit justement 1914 et sert la propagande actuelle. Le Spectator, le grand magazine britannique, a eu par contre le courage dans son numéro du 2 août de questionner l’amnésie allemande sur 1914, et la responsabilité directe et massive de l’Empire allemand – en convoquant les recherches d’historiens allemands.
      Sur votre deuxième point le public a changé: naguère le public, celui qui pouvait peser sur la presse et peser sur les politiciens, était éduqué, soit par l’école (« la bourgeoisie ») soit par l’éducation populaire (le PCF, par exemple). Ce public s’est dilué en une masse à la fois excitable et amorphe, qui croit tout et ne croit rien. Rousseau doit se retourner dans sa tombe: là s’est brisé le contrat social. Car brisé, il l’est.
      Antidote? Je n’en vois pas, car se poser la question de l’antidote s’est d’abord se poser la question de la maladie. Et cette maladie, si on la perçoit je ne je pense pas, enfin pour ma part, je ne crois pas qu’on la conçoive, ou pas encore.
      Ne désespérez pas de l’homme-en-politique: le pire est toujours possible.
      Cordialement. PhJ S.

      1. c’est reparti : comme en 14
        Bonjour. C’est peut-être effectivement à propos de l’année 1914 que ce à quoi on assiste en France, au motif de commémoration-du-centenaire, dépasse l’imaginable. Même des historiens qui naguère encore affichaient un ton faussement critique et de temps à autre nous sortaient de leur poche, qui un mutin, et qui, un fusillé-pour-l’exemple, histoire de donner le change de leurs objectivité subventionnée, sont là, le doigt sur le pli de la couture du pantalon, littéralement embeddés. Et ceux qui du temps des pas-si-lointaines chamailleries venues entourer les lois mémorielles nous annonçaient qu’on allait voir ce qu’on allait voir, avec leur « Comité de vigilance face aux usages publics de l’histoire » et tout le tralala, ne sont pas les derniers à… baisser leur pantalon ! Cordialement

        PS. les circonstances ont voulu que j’enseigne aux Etats-Unis, pays où même les historiens n’ont pas leur drapeau dans leur poche. Mais je crois pouvoir dire que cette promiscuité entre les genres distincts que sont en principe le savoir, et les simagrées, y serait mal vue.

        1. c’est reparti : comme en 14
          Je pense que la différence d’attitude entre les historiens américains et les historiens français, du point de vue de leur rapport à une doctrine d’Etat, tient à la fonctionnarisation des professions intellectuelles en France. On ne peut pas demander à un fonctionnaire de ne pas être « au service », d’une manière ou d’une autre. Il y va des financements de recherche (y compris les fourchues caudines des plans programmes de l’Union Européenne, la vache à lait aux cent mamelles rances) et il y va aussi d’une croyance innée en la vertu de la fonction publique.
          Il est étrange que les seuls fonctionnaires, du plus haut rang, à s’être insurgés contre ce service dû à l’Etat et à sa doctrine soient les chefs des différentes armes, voilà quelques mois, contre l’ineptie de la non-politique de non-défense. Mais depuis règne le plus grand des silences. Cordialement. PhJS

          1. c’est reparti : comme en 14
            l’aspect institutionnel, et les dépendances qu’il engendre, est important, bien sûr. J’en donnerai pour exemple l’affaire Dreyfus : le seul qui ait eu le courage de gâter la sauce, lorsqu’en 2006 fut organisé un co-loques à la Cour de cassation pour fêter le fait que cent ans plus tôt la justice avait, pour une fois, FINI par reconnaître ses torts fut Marcel Thomas, fonctionnaire mais… à la retraite (de plus il n’avait jamais fait partie du serre-rails universitaire). Il alla donc jusqu’à rappeler, ce que les légalistes n’aiment pas qu’on leur rappelle : aucune sanction ne fut prise, à l’issue de l’Affaire ! Cela dit le salariat peut constituer une… encore plus grande dépendance, dans le privé : à mon avis y a aussi un aspect culturel, un rapport avec « la vérité » qui n’est pas la même de part et d’autre de l’Atlantique, pour de bonnes et de mauvaises raisons.
            Parmi les mauvaises raisons il y a bien sûr les séquelles du puritanisme et qui font qu’aux Etats-Unis on évacue plus facilement le passé, sur le mode, « oui mais, c’était une autre Amérique ». A contrario en France, où chaque tenant de l’idéologie dominante est dépositaire d’une parcelle du territoire national, il l’est a fortiori, de l’album de famille de la France éternelle : et c’est sa-mère-la-France, que l’on insulte, même quand on met en cause la vertu pour des faits qui remontent à l’époque de Saint-Louis. Parmi les bonnes raisons il y a ce que l’on peut appeler exigence de vérité et qui fait que mentir-en-sachant-que-l’on-ment, comme savent si bien le faire les historiens officiels français, est un problème qui se pose peu ; ou qui alors, sitôt détecté, serait dénoncé.
            J’ai peut-être eu la chance de travailler là-bas avec Charles Higham, qui même en son pays pouvait passer pour un gêneur (cf. son « Trading with the Enemy ») mais, sans autrement idéaliser les historiens américains, il me semble que leur présence dans le débat constitue sauf exception une garantie minimum, à commencer par celle… d’un débat !
            Cordialement
            Luc N.

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