Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Dallas et le tueur d’élite(s)

Publié le 9 juillet 2016 par

salazar-3.jpg Ce jeudi 7 juillet, à Dallas,Texas, Micah Jonhson, un sniper afro-américain a tué cinq policiers blancs, et blessé sept autres, et deux civils, non loin de la place Dealey ou fut assassiné en 1963 le président Kennedy. Le suspect est un réserviste de l’armée américaine qui a servi en Afghanistan, de 2009 à 2015. Micah Jonhson en voulait particulièrement aux « policiers Blancs » parce qu’ils ont abattu il y a quelques jours, deux Afro-Américains. Ces assassinats relancent la question raciale, vieux démon de l’Amérique, mais pas seulement selon Philippe Joseph Salazar : ils génèrent aussi des réactions politiques symptomatiques de l’époque, emblématiques de nouveaux modes de raisonnement.

La politique a besoin de rituels, c’est bien connu.

Ce qui est moins connu est comment le rituel a changé de qualité : jadis, on disait d’un geste vain, d’un épisode commun, d’une péripétie politique : «  C’est un rituel vide  ». Nous étions encore la progéniture des Lumières, républicains, et nous considérions que comme «  rituel  » est lié à «  religion  » et que la religion est ou perverse ou vide de sens, un rituel était forcément un rituel vide de vérité – une formule archaïque du vivre et du «  feeling  » ensemble.

La vacuité du rituel se confortait de notre viduité envers la religion, et l’Ancien Régime politique qui s’en nourrissait – hélas remis encore au goût du jour, par exemple, avec les stupides armoiries dont on affuble les fantastiques nouvelles régions, comme si le machin-truc bordelais était l’Aquitaine des nobles trahissant la France et se vautrant au pied de l’Anglais, ou des Bourguignons hispanisants se soumettant, au mépris de la royauté populaire française, au fantasme impérial ibérico-batave. La noblesse a plus trahi le roi, en France, que le peuple. Relisez l’Essai sur le Tiers-Etat d’Augustin Thierry si vous ne me croyez pas.

L’effet le plus pervers du djihadisme : avoir donné pignon sur rue à la parole religieuse

Or voilà que grâce à l’islam militant, la religion s’est réinvitée dans le débat public, et c’est là probablement l’effet le plus pervers du djihadisme : avoir donné derechef pignon sur rue aux religieux.
Étrangement ce nouveau droit à la parole publique, l’Église, pourtant étant experte à ces matières, ne l’exerce pas sciemment : la hiérarchie intellectuelle catholique, qui a produit des Yves Congar, des Joseph de Tonquedec, des Michel de Certeau, ne fait pas son travail d’information politique puisque ses doctes théologiens n’expliquent pas que, pour la doctrine chrétienne, l’islam n’est pas une religion, Mahomet est un faux prophète, et ils iront tous en Enfer rejoindre Mahomet-Baphomet. Imaginez le tollé public si cette expertise était apportée devant une commission parlementaire. Pourquoi ? Parce que de l’expertise l’Église est passée au rituel, et le rituel impose des normes de parole. C’est là que le rituel n’est plus vide, mais plein de sens.
Par exemple, aux États-Unis, qui sont moins grenouille de bénitier que les médias ne nous le disent (voir les affiches goguenardes anti-papa Noël placées régulièrement sur les autobus de Washington par le mouvement athée – je doute qu’en France la RATP permette ce sacrilège), il n’y a pas de rituel politique aux States sans une invocation, larmoyante mais véridique, à la déité ou, en France, aux «  valeurs  » de la République (même son de cloche).
Vendredi, à Dallas, une douzaine d’officiants représentant «  toutes les religions  » (il manquait un druide) ont entonné au centre de la ville un rituel télévisé en direct, un rituel triple de contrition («  Si nous étions bons, tout cela ne serait pas arrivé  »), de propitiation («  fais ô Dieu  » – le dieu multi-confessionnel sans forme ni fond du débat public actuel, une poupée Barbie à barbe blanche – «  que tout cela n’arrive pas de nouveau  ») et de réconciliation («  accepte, ô dieu, nos voix plaintives et nos mains enlacées comme signe de notre etc  »), ponctué de louanges à la police, au maire et au gouverneur : rituel vide ?
Non, car ce rituel n’est pas de vacuité car il se permet de dire que les religions sont foncièrement bonnes, mais que les hommes sont méchants, et que si tous les hommes de bonne volonté se donnent la main, le fusil du tireur d’élite lui serait tombé des mains.

Le rituel magique de la compassion politique

tueur.jpg Le rituel religieux passant dans le débat politique s’adonne ainsi à une croyance magique aux mots.
De fait cette magie perverse du «  Je suis Charlie  » et des rodomontades alambiquées du ministre de la police français a pour effet de transformer les attentats commis par le Califat comme des moments de parole collective, ou de rituel explicatif, qui se suffisent à eux-mêmes.
Comme si parler ensemble, en se tenant la main, de l’attentat suffisait à empêcher le prochain. Comme si le rituel de la compassion parlée était une arme contre l’assaillant. «  Tu parles !  »
Voyez Dallas : le tireur d’élite aurait agi seul, nous dit-on, mais la police s’était immédiatement dédouanée en parlant d’une «  triangulation bien planifiée  », pour ensuite affirmer qu’il a bien agi seul. Mais de présumés complices sont sous les verrous. Comment interpréter cette variation du point de vue du rituel décrit plus haut ? En fait le rituel imposait, toujours-déjà (ça c’est le fonctionnement de toute idéologie : les explications sont toujours-déjà prêtes), de faire que le démon est avant tout un solitaire.
C’est la théorie, idiote, du «  loup solitaire  » pour tout attentat : décryptage, «  Messieurs, Mesdames : il est seul, il est redoutable, mais il est seul, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles  ». À chaque fois on apprend que le solitaire était dans un réseau.

Le terroriste est un bouc émissaire pour notre propre faiblesse

Donc pourquoi ce recours ritualisé à la fantaisie que l’assaillant agirait seul ?
Afin que la «  communauté  » soit épargnée de penser que parmi elle il existe des effets de conversion et de réseau qui sont autres que ceux de la «  bonne communauté  » ou comme pontifia depuis Varsovie M. Obama : «  Notre réponse doit être calme, pacifique et collaborative  ».

Dans le rituel la communauté est effectivement toujours pure (=quiète, paisible, ensemble), et l’auteur des faits qui la souillerait inquiet, violent, seul. C’est la définition anthropologique de l’individu sacrilège : l’assaillant porte sur lui l’impureté, il est immonde – strictement : la communauté est le monde et le sacrilège est im-monde, l’anti-monde. Le terroriste devient ainsi le bouc émissaire pour toute violence. Et la «  communauté  » est restituée à sa pureté.
Le rituel décrit plus haut sert alors à purifier. Voilà à quoi sert toujours un rituel politique en cet âge du djihad califal : soudain place de la République, soudain à Dallas, soudain où l’impureté a été commise, une communauté fantasmatique se constitue, à grands renforts de litanies (les slogans), de prières (les bougies et les ex votos), de processions (les défilés), de baisers de paix (les embrassades), et d’homélies (les discours funèbres et les hymnes pop), un ensemble rhétorique qui réinvente un parler commun religieux, revenu du fond des âges, quand nous brûlions des herbes en invoquant la lune, et surtout qui désigne des boucs émissaires pour notre propre faiblesse, et qui s’épuise donc politiquement dans des rites de paroles au lieu d’agir. Jadis un bouc émissaire était mis à mort. De nos jours il passe en correctionnelle. La rhétorique judiciaire sert de prétexte à ne pas parler fort.

Un tireur d’élite se croit un élu et en tire la leçon

dallas-2.jpg Or le tireur d’élite de Dallas était un ancien militaire qui a pu voir, de ses yeux, au Moyen Orient, les effets de la politique américaine sur des populations qu’il a pu aisément assimiler à celles des ghettos noirs. Il a perçu une équivalence logique entre l’oppression des Arabes et l’oppression des Noirs. De cette équivalence sociale, qui est le ressort même du volontarisme révolutionnaire, il a tiré une leçon politique : tuer des Blancs qui incarnent la force d’oppression (des policiers à défaut de militaires) sera enseigner à la foule qui défilait pour «  Black Lives Matter  » que si la vie des Noirs est la matière même du problème, la manière d’agir n’est pas dans le rituel du défilé, qui n’empêche aucune répétition des violences, et permet à M. Obama de faire encore un discours (c’est son rituel à lui), mais dans l’action.
Le tireur d’élite, bibliquement prénommé Micah, ou Michée, prophète révolté contre l’injustice, a bien conçu que le défilé est un rite, un rite vide de sens, qui, en réalité, reconduit la violence car seule cette violence permet au défilé, et au rite, et au discours présidentiel, de se rejouer encore et encore . Le rituel de protestation se nourrit de et nourrit la violence. Le tireur a brisé le rituel. Il a montré la violence.
On verra, ou on ne verra pas selon qu’on veuille bien nous le dire ou non, si Micah Xavier Johnson n’est pas en réalité un chrétien converti à l’islam militant en raison de la violence et de l’injustice qu’il a vues en Afghanistan et qu’il a traduites en circonstances américaines.

À genoux !

Si le rituel ecclésiastique décrit plus haut permettait de déclarer, de manière préemptive, que l’islam, représenté dans cette étrange cérémonie par un imam, est étranger à l’action cruelle de Micah Xavier le bien nommé, il est significatif qu’au moment de la prière «  multiconf  », l’imam n’a pas baissé la tête. J’aurais aimé qu’il fît alors la proskinésis, l’agenouillement rituel, emprunté par les musulmans au cérémonial byzantin. On eût pu voir alors comment les autres officiants, pasteurs, curés, rabbins, de toutes tendances, l’eussent imité. On en doute : le propre du rituel est son effet glaçant qui consiste en ce que tout le monde doit dire, doit faire, doit penser la même chose. Un rituel annule l’individu.
Le tireur d’élite appartient justement à une élite. Il se croit élu. Il est un «  avenger  ».
Au lieu de ritualiser nos réponses au meurtre des deux policiers français, au meurtre des cinq policiers américains, il faudrait réfléchir à ça. Et ce «  ça  » se nomme : l’intraitable.
On ne traite pas l’intraitable avec un rituel. On le traite politiquement.

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