Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Nice : Encore des discours, et encore des morts

Publié le 17 juillet 2016 par

J’accuse les politiques de ne pas aider les Français à formuler les questions de fond.

salazar-3.jpg Les attentats des partisans du Califat sur le sol national font couler autant d’encre que de sang, sinon plus. Après chaque attaque de commando ou de partisan solitaire une bonde verbale saute : déclarations des gouvernants, blogs des gouvernés. Entre temps, récrimination des top cops contre leur chef – même le GIGN est frappé de logorrhée.
Nous parlons. Beaucoup.
Ils tuent. Beaucoup.

Nous déblatérons, comme des poupées Barbies qu’on décapite.

Eux, ils publient des communiqués de victoire pleins d’élan lyrique et de froide détermination. Sans jamais vraiment se précipiter. Ils laissent passer un jour. Ils observent, et enfoncent la dague. Sous la lame nos gouvernants alors se tortillent : le Califat a-t-il ou n’a-t-il pas commandité ? On n’a pas toujours compris que c’est une guerre idéologique, où le volontarisme personnel joue un grand rôle, comme dans un mouvement révolutionnaire. On n’a toujours pas dit au peuple français qu’il s’agit d’une guerre idéologique, religieuse et culturelle sans merci, et non pas d’attentats terroristes.

Dire, encore et encore, comme la bande magnéto coincée d’une poupée Barbie dont on remue la tête, «  Nous sommes en guerre  » ne suffit pas, il faut qualifier cette guerre, il faut l’expliquer, il faut en montrer les acteurs et les bénéficiaires, désigner les traîtres et les alliés. Bref faire ce qui se nommait, jadis, un effort de guerre. Et cet effort doit pour commencer être un effort rhétorique.

Nous nous agitons donc, pitoyables Barbies. Eux, ils tirent, bang bang. Beaucoup.
Mais apparemment pas assez, car nous continuons à déblatérer, mécaniquement, même décapités et démembrés par camion transformé en moissonneuse de mort.

Indigence de la parole politique.

Par exemple, on nous dit : le tueur est un petit délinquant. Quel soulagement : s’il eût été un grand délinquant, quel carnage il aurait fait. Il se serait radicalisé très vite (pourquoi «  très  » ? ça se mesure, ça ? ). Quel répit ! Il s’était radicalisé lentement il aurait accumulé des bazookas. Anecdote révélatrice de l’état lamentable de notre parole publique. Les mots ont perdu toute valeur, et avec eux les arguments deviennent des sophismes tragiques.

Autre exemple, décisif : le Quatorze Juillet, après un autre défilé de fashionista militaires, ce grand opéra avec fifres et tambours, tatous tendance et jolis plumets, un défilé qui entre désormais dans la programmation des festivals estivaux, bref festival qui n’est plus La Fête Nationale où, pardonnez-moi, les touristes n’ont rien à faire, eh bien on nous annonce donc que l’état d’urgence sera levé car tout est bien tenu en mains. On respire sous les marronniers de Paris et les palmiers de la Riviera.

Massacre. Bouillie de chair humaine sous les lampions niçois.
Donc, après l’attaque, deux jours plus tard, le ministre de la Police nous annonce que ses services ont déminé jusqu’à cette nuit fatale des dizaines d’attentats – pas celui qui compte, encore une fois, mais là n’est pas le plus cruel de cette déclaration. Car où est donc la logique entre les deux déclarations ? Nulle part.

Car si, jusqu’à l’annonce que «  tout va bien mes chers compatriotes nous levons l’état d’urgence  », les attentats se préparaient sans relâche, au point qu’une centaine de soldats du califat avaient été arrêtés la main sur la gâchette, comment imaginer que des centaines, sinon des milliers d’autres, dispersés de Brest à Toulon, de Lille à Toulouse, cessassent soudain d’exister et de se préparer à attaquer, et que donc l’urgence n’en fût plus une, comme l’avait déclaré le président ? Sans queue ni tête. Blabla. Bouillie de mots et bouillie de chair humaine.

Devant ces attaques successives des années écoulées, la parole gouvernementale s’en tient à un régime rhétorique très simple, indigent, que je résume ainsi : c’est horrible, ils sont horribles, nous serons horribles en retour. Hélas ils restent horribles, ce qu’ils font est horrible, mais horribles, «  impitoyables  » dans le lexique des gouvernants, nous ne le sommes pas, et en réalité nous n’en avons ni le désir ni la capacité de vouloir l’être.
Etre «  impitoyable  » pour un état de droit est justement impossible, comme l’a rappelé une directive des Nations Unies après la décision du Conseil de sécurité de soutenir la France dans le combat contre le Califat, en novembre dernier : combattre le terrorisme doit se faire dans le cadre du respect des droits de l’homme, etc.

Une salve de missiles sur la mosquée de Mossoul n’est pas hors de portée de nos capacités de justes représailles, j’entends : militaires. De notre capacité politique ? On en doute. Ou, comme je l’ai écrit ailleurs, de la dure realpolitik des pourparlers mano a mano avec l’Etat islamique. Mais cette dernière solution demande des cojones d’acier. N’est pas Bismarck, ou Richelieu qui veut, qui peut manier arme et parole, la main tendue et le coup de Jarnac. Autant donc faire du blabla. Cela donne l’impression de gouverner.
Nos gouvernants doivent cesser d’employer des mots qui ne correspondent à aucune réalité, sauf à une réalité de mots, dans la croyance absurde qu’à force de répéter une chose cette chose adviendra. Nous ne serons jamais impitoyables. Et on continuera de nous massacrer.
Mais ils continuent. Blabla. Nous sommes désarmés, en état de catastrophe rhétorique.

Lamentable, face à la catastrophe.

L’état rhétorique de notre République est donc lamentable. Lamentable de haut en bas de l’échelle, de ce haut que M. Macron a récemment pris pour le bas : ne pas s’étonner de ce lapsus d’un dilettante qui est révélateur de l’état de confusion de parole où nous sommes et qui infecte la parole publique tous azimuts.

Je dis «  nous  », car j’y mets toute ma confrérie philosophique puisqu’elle est incapable de réformer, de redresser, de corriger le blabla général qui tient lieu de parole politique. Elle en est incapable car comment voulez-vous faire lever la pâte quand le levain est sec ? – je parle évidemment de notre Éducation nationale, réduite à l’alphabétisation et la numérisation basique des classes populaires, et à la perpétuation goguenarde des élites enfermées dans des jeux de langage issus de la gestion et de la jouissance.

La question est donc : comment dire une catastrophe nationale ? Comment la mettre en mots, en mots qui désignent des choses, et non pas en mots lancés sur la table de jeu pour satisfaire à cette passion nécessaire de tout politicien – parler, parler à tout prix, mais non pas pour ne rien dire (comme on le juge souvent à tort) mais pour dire ce qui lui donne justement du prix (aux yeux de ses suiveurs, de ses serviteurs, de ses alliés, de ses comparses, de ses commanditaires) ?

Or, face à une catastrophe politique, la rhétorique politique américaine dispose d’un genre particulier, pas du tout pratiqué en France : la jérémiade. Nous, dans le plus grand danger, nous avions l’Appel, quand nous étions prêts à vivre au-dessus de nous-mêmes. Désormais nous avons la fausse logique des gouvernants et la déploration générale et inutile des gouvernés dont les blogs sont une sorte de café du commerce par émoticons et qui gagnent du terrain chez les gouvernants qui se mettent également à «  pleurer  » – au lieu d’agir.
Donc les Américains, dans le danger, poussent une jérémiade. Ne souriez pas. C’est le genre le plus noble de l’art oratoire américain, et il est le domaine rhétorique quasiment réservé du Président, de même que chez nous, quand nous étions plus que nous-mêmes, l’Appel ne pouvait émaner que d’un et d’un seul.
Un mot sur la jérémiade et ce qu’on peut en tirer pour le blabla général qui afflige notre parole politique.

Pour faire cesser le blabla, où est le prédicateur en chef ?

Rappelons que Jérémie est ce prophète biblique qui vitupère contre les erreurs d’Israël commises contre la divinité, et les justes châtiments qui attendent par conséquent le peuple élu. La «  jérémiade  » n’est pas une plainte, une jérémiade d’enfant, mais un bilan clair et féroce sur les causes d’une décadence politique et morale.

La jérémiade fait partie, depuis son introduction aux futurs Etats-Unis par les pasteurs protestants puritains, de la panoplie des formes rhétoriques de la vie publique : elle était souvent, jusqu’au XIXe siècle, prononcée au moment d’une élection, quand justement il s’agissait de faire un bilan des erreurs morales qui coûtent à la communauté, et, plus important, de formuler les moyens du redressement. Ce redressement passait par la désignation des responsables bien sûr, mais surtout par un appel à un examen de conscience des citoyens eux-mêmes : qu’avons-nous fait pour en arriver là ? Et que devons nous faire pour nous en sortir ?

La jérémiade servait ainsi de réflexion politique publique lors des campagnes électorales. Il suffit d’écouter attentivement les discours du Trump et Clinton pour entendre la jérémiade à l’œuvre. Le fameux discours de Martin Luther King est une jérémiade : il parle directement aux États-Unis, exige l’examen de conscience, le retour aux sources, et le redressement des torts pour devenir fidèle à la bonne parole. La jérémiade s’ouvre toujours sur l’espoir, conscient, voulu, argumenté, d’une vie meilleure.

Aux États-Unis, cette forme rhétorique a donc assumé un rôle beaucoup plus large et fait naturellement partie des armes rhétoriques du prédicateur en chef, le président : le président y a recours au moment d’une catastrophe nationale. Le discours de B. Obama, à Dallas après le massacre récent, était une jérémiade : il exigeait un examen de conscience, une prise de conscience par chacun de ses erreurs et de ses responsabilités, et – c’est le ressort final qui bande la jérémiade et la projette vers l’action – une décision intérieure de conversion à une meilleure vie, et à une meilleure vie ensemble. Aucun blabla. Une exigence. Cela ne veut pas dire que vous soyez obligé d’en accepter la conclusion mais cela vous oblige, dans cette tradition rhétorique-là, à écouter l’argument. Obama a été écouté.

Tout cela nous semble cependant un peu religieux, un peu prêchi-prêcha. Alors, ôtons le religieux et gardons l’essentiel, à savoir : nous vivons une catastrophe politique ; nous devons donc mettre en mots aussi exacts que possible la nature de la cause de celle-ci, la nature de son développement, la nature de acteurs, la nature de ses objectifs, la nature de ceux qui en souffrent, la nature de notre compréhension du fait, et la nature de notre réponse qui inclut, obligatoirement, une prise de conscience de nos erreurs de jugement, y compris de nos erreurs de jugement moral. Et ensuite nous poser une simple question, mais redoutable : que faire ?

Les politiques ont-ils fait ce travail ? Non. Le faisons-nous ? Non. Et pourquoi ? Parce que nous avons probablement peur de sortir des mots et des gestes démonstratifs, du théâtre des pleurs, pour nous poser les véritables questions.

J’accuse.

J’accuse les politiques de ne pas aider les Français à formuler les questions de fond à commencer par l’essentiel : sommes-nous en réalité responsables de la terreur qui nous frappe ? Et nommons cette faute.

J’accuse le blabla politique et j’accuse ceux qui, par l’éducation supérieure qu’ils ont reçue aux frais de la Nation, de ne pas se hisser à un examen public de conscience et à mettre en mots justes, en arguments exacts, en paroles précises et généreuses la raison de notre faiblesse face à cette terreur religieuse.

Nous avons besoin d’un prédicateur en chef.
Ou que le peuple le soit.

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