Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

Marianne en Burka

Publié le 25 août 2016 par

À force de s’en gargariser et de mettre au même niveau « valeurs républicaines » et « valeurs religieuses », les politiques oublient les vertus républicaines qui elles sont force et action.

Valeurs de la République?
“Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à sa chaussure alors que c’est son pied le coupable.” (Beckett, En attendant Godot)

salazar-3.jpg Nous attendons Godot. Il est venu, Arnaud Montebourg. Il revient, Nicolas Sarkozy. Elle s’avance, Marine Le Pen. Il se fait attendre, François Hollande. Etc. Grosses pointures. Et sans compter les petites pointures (Macron, Hamon, et petit patapon). Grosses et petites, les chaussures répètent qu’elles incarnent, de la semelle anti-dérapante à la lanière (version dames) aux lacets (messieurs), la marque France. Norme AFNOR. Autrement dit : «  les valeurs de la république  », et à chacun, devant le rayon aux soldes du printemps 2017, de dire : ça c’est ce que j’aime bien. Les valeurs de la république Nike. Les valeurs de la république Bensimon. Les valeurs de la république Pataugas. Voilà le citoyen tout entier, s’en prenant à la chaussure (Sarkozy 34 me donne des durillons, Montebourg 48, ça me tombe au talon, Hollande 44 ça me serre sur le côté gauche), quand c’est son pied le coupable.

La marque France. Norme AFNOR. Autrement dit : «  les valeurs de la république  », mais aussi «  de la gauche  », «  judéo-chrétiennes  », «  humanistes  », … : déclinez les marques.

En attendant Godot donc, le sauveur ou la salvatrice qui, en mai prochain ramènera le temps des cerises, et sera précédé, ou suivi, par une attaque du Califat, comme une dose de réalité, je suggère un examen attentif de là où nous sommes toujours supposés poser nos pieds pour avancer d’un pied sûr : «  les valeurs de la république  », «  de la gauche  », «  judéo-chrétiennes  », «  humanistes  » – déclinez les marques, on y revient toujours dès qu’il s’agit de se guinder dans une posture soi-disant élevée, morale, supérieure.

Exemple : voilà un an, 63% des sympathisants de gauche pensaient que M. Montebourg représentait les «  valeurs de la gauche  » et quand il avait été tancé par la justice pour avoir traité une société d’ «  escrocs  » le premier ministre d’alors avait commenté qu’une condamnation eût été contraire aux «  valeurs de la république  ». Ce qui est une paraphrase plutôt astucieuse d’une autre réplique de Beckett : «  Essayons de converser sans nous exalter puisque nous sommes incapables de nous taire  ».

Car s’il existe un sujet sur lequel la classe professionnelle de la politique est incapable de se taire, dès qu’elle ne sait plus que dire, c’est bien de se gargariser avec «  les valeurs  ».

Les «  valeurs  », voyez-vous, c’est comme Godot : on en parle durant toute la pièce, mais jamais il n’arrive ; les «  valeurs  » on va les invoquer durant la pièce en cinq actes de l’élection (les deux primaires, la campagne, les deux tours), mais jamais elles n’arriveront. De purs objets de discours. C’est dieu, sous une autre forme. La mystique fait toucher dieu qui reste hors de notre existence (à moins d’être constamment halluciné), comme l’invocation des valeurs nous fait accroire qu’elles existent, bien que nulle part existantes dans notre quotidien. Citation de Beckett : «  Donnez-lui son chapeau ! … Il ne peut pas penser sans chapeau  ». Les «  valeurs  » : le chapeau du politicien qui fait croire qu’il pense.

Eh bien, breaking news : les valeurs n’existent pas. Ou bien, plutôt, invoquer les valeurs, c’est refuser de parler des vertus.

S’il existe un sujet sur lequel la classe professionnelle de la politique est incapable de se taire, dès qu’elle ne sait plus que dire, c’est bien de se gargariser avec «  les valeurs  ».

Depuis l’extension de la guérilla djihadiste sur le sol national, qui fait qu’au bal du 14 juillet on a dansé sous la protection des paras, tout le monde répète à l’encan «  Liberté ! Egalité ! Fraternité !  », et les médias mondiaux s’y sont mis, brisant et rendant trivialement répétitif ce qui aurait dû être des moments terribles et solennels de prière ou de méditation sur la résurrection de la violence primitive, réduisant alors la devise de la Révolution en un slogan publicitaire made in France.

Mais effectivement ce que révèle cette dévaluation pathétique de la devise républicaine à un slogan de marque de chaussures c’est la confusion entre vertus et valeurs.

Liberté ! Egalité ! Fraternité ! ne sont pas ce que les publicistes du larmoiement disent (y compris les chaînes anglo-saxonnes qui se sont mis au français pour trois mots incompris) : pour les Révolutionnaires, la liberté n’était pas une liberté d’indifférence mais une liberté de jugement des différences – exécution des «  liberticides  », tous ceux qui refusaient l’évidence de la déclaration des droits. Egalité ? Entre citoyens qui adhèrent à la définition de la liberté mentionnée. Fraternité ? Seulement entre ceux et celles qui mettent en pratique les deux autres idées. La Révolution nommait des vertus, non pas des valeurs. Les vertus républicaines sont dures, acerbes, discriminatoires, sans concession, glorieuses et conquérantes. Les trois vertus républicaines sont viriles.

Viriles ? Dans «  vertu  » il y a «  virilité  », ce qui n’a rien à voir avec le masculin mais tout à voir avec l’action, la force («  vis  », en latin) – est viril ou virile celui ou celle qui met en action une vertu. Et si une «  vierge  » est vertueuse c’est qu’elle met en pratique cette vertu-là.

Dans «  vertu  » il y a «  virilité  », ce qui n’a rien à voir avec le masculin mais tout à voir avec l’action, la force.

Un manifeste récent de l’ «  élite musulmane  », véritable coup pied de l’âne à la République, a récemment accusé la France d’ «  ankylose  » : nos valeurs seraient ankylosées, et pour cette raison elles seraient incapables, par défaut de souplesse, d’accueillir l’Islam. La République serait frappée d’immobilisme aux articulations de ses valeurs. L’accusation d’immobilisme sur les «  valeurs  »est exacte, sauf que ces procureurs ne comprennent pas que si l’ankylose cessait d’immobiliser les vertus, l’islam dit de France irait rejoindre, avec un peu de retard, le catholicisme dit gallican sur les charrettes de la guillotine.

La République est virile et c’est pourquoi Delacroix l’a peinte avec les seins nus : ce ne sont pas des seins de femme, objet pornographique et sujettes à la burka, mais un poitrail, un «  cœur  » comme on disait jadis quand nous parlions français, une poitrine justement «  virile  ». Le drapeau d’une main, la baïonnette de l’autre. Le pied nu sur des cadavres. Le bonnet phrygien sur le crâne. Voilà la vertu. Belle. Pas la valeur. Laide.

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La République est virile et c’est pourquoi Delacroix l’a peinte avec les seins nus : ce ne sont pas des seins de femme, objet pornographique et sujettes à la burka, mais un poitrail, un «  cœur  » comme on disait jadis quand nous parlions français, une poitrine justement «  virile  ».

Il existe aussi parmi nous des chrétiens. Qui votent. Qui s’expriment dans des positions électives. Ont-ils jamais mis en action, dans leur exercice politique, les vertus cardinales ? En connaissent-ils seulement la liste ? Savent-ils la différence entre les théologales et les cardinales ? Les enseignent-ils à leurs enfants, en parlent-ils à leurs électeurs ? Ont-ils conscience de la différence entre valeurs et vertus ? Non. Car si les chrétiens qui sont chrétiens et qui participent à la vie de la République, y compris les électeurs, s’arrêtaient au moment d’allumer une bougie commémorative ou de rejoindre une marche blanche, ou de déposer un bulletin dans l’urne des vertus républicaines, et tentaient de mettre en harmonie les vertus cardinales avec ce que requiert la République – ils seraient face alors à un choix décisif, car les vertus cardinales sont irréconciliables avec les vertus de la République.

Car, et le pape argentin l’a bien compris en adepte de la casuistique jésuite appliquée par lui aux problèmes non plus de morale mais, et c’est extrêmement grave, de politique internationale, les vertus religieuses sont simplement incompatibles avec l’exercice politique : un citoyen qui exerce vraiment un code de vertus révélées, qu’il soit le Deutéronome des Juifs, la Bonne Parole des Chrétiens ou le Coran des Mahométans, entre en conflit direct avec la politique, ou le politique, tel qu’elle existe depuis l’avènement des Lumières, et de la République. Deutéronome, Evangiles, Coran sont des livres de loi : il est hypocrite de dénoncer le Coran comme amalgame du religieux et du politique. Les textes chers au Juifs et aux Chrétiens le sont tout autant – la différence étant qu’il n’existe plus aucun véritable Etat au monde qui applique l’Ancien ou le Nouveau Testaments comme code politique. Et que le Coran est un code politique qui structure, et ankylose, nombre d’Etats actuels. L’art de la «  stratégie culturelle  » chère aux Frères musulmans, et à leurs affidés, est donc de faire passer des vertus religieuses, qui sont irréconciliables avec les vertus du politique issues de la Révolution, pour des valeurs politiques. «  Valeurs  » semble raisonnable, admissible, convivial. Quand ces «  valeurs  » se révèleront des «  vertus  », la partie sera perdue.

Les vertus religieuses sont simplement incompatibles avec l’exercice politique : un citoyen chrétien, juif ou musulman qui exerce vraiment un code de vertus révélées, entre en conflit direct avec la politique, ou le politique.

Evidemment, ne vous attendez pas à ce que nos politiciens aillent réfléchir à des choses qu’ils ignorent. Mais ce qui compte est ce que ces choses révèlent : à savoir que lorsqu’un peuple ne pratique plus les vertus qui l’ont érigé en peuple politique, il se rabat sur le discours des valeurs et perd tout sens du politique pour s’abimer dans le moralisme.

Il faut donc cesser, dans le langage politique, d’exalter les «  valeurs  », et rétablir le discours des vertus – afin de faire le tri.

Si la République, comme avant elle la royauté qui fut elle aussi trahie par ses élites, a le courage de ses vertus, elle tiendra. Tiendra bon. Tiendra fort. Et repartira du bon pied. Comme l’a peinte Delacroix.

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