Comment Nastassja Martin est devenue ours
Publié le 14 décembre 2019 par Les Influences
3/13. CROIRE AUX FAUVES (VERTICALES).
Essais, documents, non fiction : nos 13 prix Idées Les Influences 2019.
ANTHROPOLOGIE Le récit est court et stupéfie. La confrontation, elle, dure quelques phrases, à la toute fin mais elle est intense et chimérique. Le 25 août 2015, une spécialiste française des populations arctiques, un peu perdue dans les montagnes du Kamtchaka, doit se confronter physiquement à un ours pour lui survivre. C’est une « collision ». Il la mord au visage et menace de faire exploser son crâne, elle en réchappe grâce à un piolet de glacier.
« Novembre à Paris, entre pluie et brouillard. L’ours a emporté dans sa gueule un bout de ma mâchoire et deux de mes dents il y a trois mois », décrit Nastassja Martin, rapatriée après des jours passés dans un dispensaire russe aussi déglingué que burlesque. Elle doit revivre avec ses blessures, les complications nosocomiales mais aussi avec l’ours qui est en elle. Peu à peu envahie par « un système de significations et de résonances qui menace ma santé mentale », elle se sent l’obligation de repartir, clandestinement, vers la forêt interdite et ce bout de toundra sous surveillance militaire russe.
Les arbres, les animaux, les rivières, chaque partie du monde retient tout ce que l’on fait et tout ce que l’on dit, et même parfois, ce que l’on rêve et ce que l’on pense
Anthropologue, auteure d’un déjà remarqué Face à l’Occident, la résistance d’un peuple d’Alaska (La Découverte, 2016), elle y a puisé ses ressources au contact des Gwich’n de Fort Yukon, Alaska. Notamment ces propos du vieux sage Clarence : « Les arbres, les animaux, les rivières, chaque partie du monde retient tout ce que l’on fait et tout ce que l’on dit, et même parfois, ce que l’on rêve et ce que l’on pense ». La femme « marquée », et au caractère pas toujours aimable, revient auprès de ses amis Evènes, Yulia, Yaroslav, Volodia et Daria, y « réapprendre à vivre plus loin ».
Nastassja Martin a un réel talent pour décrire l’indifférence du monde contemporain et l’intensité d’une nature sans concession, mais aussi les écarts spirituels, les confins, les frontières et l’entre-deux-mondes.
Ce n’est pas un témoignage narcissique ou victimologique, mais un récit qui interroge sur la force d’un mythe. Un livre a cette magie chamanique qui fait qu’à l’auteure et son co-auteur l’ours, se mêle le lecteur qui lui aussi devient miedka (mi-homme mi-ours).
Croire aux fauves, Nastassja Martin, Verticales, 151 p., 12,50€.
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