Dadasophie architecturale
Publié le 4 août 2016 par Les Influences
Un bel essai sur Raoul Hausmann, théoricien dadaïste de l’architecture.
Raoul Hausmann, après Dada
Cécile Bargues, Préface de Marc Dachy.
Bruxelles, Éditions Mardaga, avril 2015.
264 pp., 35 euros.
Culture. C’est un récit de la vie et une analyse de l’œuvre de Raoul Hausmann alias « Der Dadasophe » (1886-1971) , cofondateur du mouvement Dada, pendant et après le nazisme, qui paraît dans une collection dédiée à l’architecture. La raison en est que la maison, la question de l’habiter, se fait centrale durant l’exil. Ainsi, à Ibiza, en 1933, où il ne croise ni Walter Benjamin ni Camus ni Drieu, Hausmann rencontre cependant l’ambigu Jokisch, personnage de l’île bien connu pour « avoir importé au nez des douaniers son mobilier Biedermeier, démonté en planches, et décorant depuis lors sa maison en forme de cubes blancs », comme il l’écrit dans Hyle. Il est à la même époque correspondant pour des revues d’architecture et invente le concept d’« architecture sans architecte », appliquant une anthropologie inspirée de Mauss à des constructions qui lui prouvent, note l’essayiste universitaire Cécile Bargues, « qu’il n’y avait pas plus de type architectural que racial, à l’encontre des discours fascistes et nazis ».
On comprend que Hausmann prenne Le Corbusier en grippe, aux constructions duquel il reproche de ne garder aucune trace de leurs habitants, allant même jusqu’à parler à son propos d’« architorture »
On comprend que Hausmann prenne Le Corbusier en grippe, aux constructions duquel il reproche de ne garder aucune trace de leurs habitants, allant même jusqu’à parler à son propos d’« architorture ». Tout au long de ce livre richement illustré, la figure sublime de Vera Broïdo fait retour, rappelant l’importance du « corps anti-fasciste » chez Hausmann, et d’une conception de l’art que résume ainsi Bargues : « Hausmann posait d’abord le processus biologique, lumière reçue par la rétine et remontant par le nerf optique, ouvert à tous les possibles de l’inconnu du sans substance, ou à ce qu’il conviendrait de rapprocher de l’« informe » de Bataille, d’un monde ne ressemblant à rien, d’un « désordre taxinomique » qui faisait éclater les classifications du modernisme. » Ou pourquoi Hausmann photographiait les tranches d’un chou rouge de façon exactement opposée à Karl Blossfeldt.
Une première version de cet article a été publiée dans notre revue papier Panorama des idées n°5 (août-octobre 2015).