Jean Bollack dans l’au-delà des langues
Publié le 4 décembre 2012 par Les Influences
Ce philologue qui vient de s’éteindre aura réveillé une discipline avec esprit de liberté et de curiosité
Jean Bollack, né en 1923, vient de décéder. Philologue, figure emblématique de l’Ecole Normale Supérieure de 1968 à 1975 sur l’invitation de Pierre Bourdieu et Jacques Derrida, il restera l’entrepreneur influent des études sur les philosophes présocratiques. Son héritage tient en quatre volumes imposants chez Minuit sur Empédocle, (1965-1969), puis Œdipe roi de Sophocle (1990), et Parménide (2006). A côté de ce travail, on lui doit également une belle élucidation du poète Paul Celan, en deux monographies sensibles et perspicaces : L’Ecrit (2003) et Poésie contre poésie (2001) aux Puf.
Issu d’une famille juive alsacienne de Strasbourg, Jean Bollack s’est formé à Bâle durant la seconde guerre mondiale. L’enseignement de Peter Von der Mühll l’a initié à la philologie grecque. Dans la ville suisse, un autre professeur, de littérature française celui-ci, Albert Béguin, le mit en étroite relation avec des romanciers et des poètes de la résistance française. Toute sa vie, cette personnalité ouverte au monde se chercha une fraternité, au sens philia, avec des écrivains et des artistes contemporains. C’est ainsi qu’il multipliera ses contacts et collaborera avec Ariane Mnouchkine, et des poètes comme Paul Celan, Pierre Oster ou André du Bouchet.
Dans le Paris de l’après-guerre, Jean Bollack fit miel de tout : lettres classiques, philosophie, allemand, histoire et même archéologie. C’est sous la direction de Pierre Chantraine que l’agrégé de grammaire soutient sa thèse d’Etat. Chantraine… Un autre personnage d’érudition, qui tutoyait Xénophon et interprétait le mycénien, et a profondément marqué le thésard prometteur.
Une carrière de professeur de littérature et de pensée grecque l’attend de 1958 à 1992, à l’Université de Lille. Signe particulier et culture indécrottable : il s’attache a publier ses articles en allemand et en français. Ce qu’il appelait sa « propre Allemagne« . Allemagne ou il enseignera d’ailleurs de 1955 à 1958, à l’Université libre de Berlin.
Enseignement, direction d’ouvrages: Dans les années 60-70, Bollack marque de son empreinte le microcosme de la philologie, qu’il a contribué à désincarcérer de sa gangue. Membre de l’Institute for Advanced Study de Princeton, puis du Wissenschaftskolleg de Berlin, il a également fondé son école dite de Lille. Dans cette pouponnière universitaire, se distinguent Pierre Judet de la Combe, ou Philippe Rousseau mais surtout l’hélleniste allemand Heinz Wismann, sans doute la personnalité intellectuelle la plus proche de Jean Bollack. Avec son profil de héron attentif, Jean Bollack aura gratté au-delà des mots éteints, des mentalités évaporées et des langues mortes, les noyaux d’identités les moins serviles.