Lucien Suel, l’art de la dépression saisonnière
Publié le 24 février 2012 par Vanessa Postec
Son nouveau roman « Blanche étincelle » le confirme : Lucien Suel, psy amateur et poète beat generation à toute heure
Il est tout à fait possible de ne pas croire en Dieu, et de pourtant reconnaître de petits miracles quand on en croise. Et ce d’autant plus facilement qu’ils arrivent en doublette, lorsque l’histoire et la manière de la raconter vous rappellent que la vie n’est finalement pas si moche et qu’un livre peut aussi être un concentré de beauté formelle. Trêve de bavardage : l’histoire (son histoire), c’est Mauricette qui la raconte.
Et elle n’a guère l’occasion, Mauricette, dans les premiers temps, de bavarder. Parce que l’ancienne institutrice vit seule à Wittebecque, petit village du Pas-de-Calais où elle vient d’emménager, avec chat au singulier, silencieux chasseur d’araignées, et livres au pluriel –dans lesquels elle traque, douce manie, les occurrences du mot… « veau ».
La vie ne lui a pas fait beaucoup de cadeaux à Mauricette, à moins qu’elle ait simplement oublié le papier et le ruban pour les emballer joliment ?, alors quand elle rencontre Blanche à la librairie de la ville voisine (une rencontre à la « parce que c’était elle, parce que c’était moi »), on se dit qu’elle l’a bien mérité, son rab’ de bonheur : « Les gens peuvent se tuer en voiture, ou se noyer. On peut souffrir beaucoup et longtemps, mais le bonheur a aussi son chemin propre. Il a une place dans le monde. Le bonheur me prend par surprise. »
L’écriture semble le fruit d’un travail acharné : simple et naturelle
En se rapprochant de Blanche, de sa passion pour l’art et le chant lyrique, Mauricette adopte dans la foulée ses enfants : Augustin, l’étudiant qu’elle initie à Dada (pas le cheval, l’autre), et Benoît, son jeune frère, qu’elle nourrit de crêpes et de bandes-dessinées. Elle la raconte donc, cette histoire d’amitié un peu inespérée, de famille que l’on se choisit, de solitude à qui l’on botte le cul, dans une langue tantôt chahutée, tantôt apaisée. Parfois mouvementée, mais sans rien qui achoppe, pas le plus petit grain de sable dans la belle mécanique. L’écriture semble le fruit d’un travail acharné : simple et naturelle, hors du temps, hors les modes, avec ce supplément d’humour sage que l’on confondra avec de l’esprit.
Lucien Suel est né et vit toujours assez loin de Paris, dans les Flandres artésiennes, pour distinguer le chant des oiseaux, apprécier le passage des saisons et savoir quand il convient de dégermer les patates (« Réserve de pommes de terre à dégermer. Tous les ans en février. Bataille contre l’entropie ! Avec, malgré tout, un côté « faiseuse d’anges ». »). Toutes choses essentielles et à l’évidence compatibles avec la poésie de la Beat Generation –dont il est spécialiste- et un talent certain pour l’écriture (ses deux premiers romans, Mort d’un jardinier et La Patience de Mauricette, en étaient déjà de parfaits aperçus). Flaubert tissait à partir des grands malheurs d’Emma la trame d’un texte majeur ; pour un résultat identique, Lucien Suel privilégie les petits bonheurs de Mauricette. Les victimes de dépression saisonnière l’en remercient.
2 commentaires sur “Lucien Suel, l’art de la dépression saisonnière”
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Lucien Suel, l’art de la dépression saisonnière
Très belle analyse de ce livre magnifique, merci.
Lucien Suel, l’art de la dépression saisonnière
Merci beaucoup. Je suis très touché par cette critique qui rend bien compte des nombreux aspects du roman. Et en particulier du « travail acharné » sur l’écriture…