Les portraits de chair de Lucian Freud
Publié le 19 mars 2012 par Les Influences
La première exposition post-mortem du grand tourmenteur de corps
Jusqu’au 27 mai 2012, la Nation Portrait Gallery propose la première exposition post-mortem du peintre Lucian Freud, disparu en 2011. Dans la bataille sourde et sans fin des portraits de chair, l’avantage semble revenir, pour l’instant, à Freud, déjà consacré peintre plus côté du monde, sur son éternel rival Francis Bacon. Plus d’une centaine de portraits et d’autoportraits, venus des quatre coins du globe, se proposent ici de compléter la déjà fastueuse manifestation du Centre Pompidou en 2010 et vient confirmer l’impression.
Comme un press book feuilleté sur des décennies, la vision de Lucian Freud, petit fils du psychanalyste (aïeul dominant dont il a toujours repoussé la discipline), évolue dans cette marée de visages qu’il peint, dépeint, convulse, ulcère. Les portraits des années quarante semblent lisses, ciselés, précis avec assez de vie pour troubler le regard de la Fille au chaton. Même Francis Bacon, portraitisé par Lucian Freud en 1952, tient plus de la caricature de presse que d’un visage réapproprié par la peinture. Puis tout le long de trois décennies, les structures internes des visages se démolissent , rosissent, s’ouvrent sur des taches d’ombre et de rouille, se saturent de veines et d’épiderme énervés. Les visages sont comme décontenancés, furieux d’être là et de cette métamorphose.
Les années 1980 rompent avec des portraits dessinés et imposent une carnation à même la toile. Le pinceau fouaille la viande exposée. Les modèles sont mal-assis, débordent de partout, s’affaissent toujours plus vers le désastre assigné. D’aucuns estiment cette période cédant au chic morbide et maniériste, à la facture répétitive du truc mondain et sans grande force. Est-ce parce que sa mère s’appelle Lucie, que Lucian la figure avec une (relative) précaution de porcelaine et la préserve de son charcutage implacable ?
Face à cette corruption de la tourmente, Lucian Freud avec ses autoportraits réguliers, lui, s’est toujours mis au centre de cette contamination, comme un vaniteux assez pitre, un petit monstre crâne dont les représentations en contre-plongées ne font pas longtemps illusion face au dieu chronophage.