Influences (n. fem. pluriel)
  1. Fluide provenant des astres et agissant sur la destinée humaine.
  2. Action exercée sur quelqu’un.
  3. Action exercée sur quelque chose.

Les Influences

Filtré pour vous : L'actualité politique et intellectuelle

#Le Rhéteur cosmopolite #Montesquieu #Vertu présidentielle

La vertu présidentielle

Publié le 20 février 2012 par

(Source Klincksieck)
(Source Klincksieck)
Une évidence, comme le dit la sagesse populaire “ça saute aux yeux” mais, comme elle le dit aussi, ça saute tellement qu’on n’y voit plus rien puisque “ça vous crève les yeux”. Dans la campagne pour l’Elysée, c’est à dire pour le despotat électif, cette institution neuve et néfaste, la «  Présidence  », la forêt cache l’arbre. L’arbre, le totem debout qui comme tout totem est censé nous «  protéger  » et écarter les menteurs qui nous font tant de mal, est dissimulé par la sylve des médias : à l’époque de mon Hyperpolitique[[L’hyperpolitique, une passion française (Klincksieck, 2009).]], où je détaillais le mécanisme totémique de la présidence, j’avais été, comme on dit, «  contacté  » pour aider à définir une stratégie de communication pour «  les mots clefs de 2012  », et je parlais du totem. Dans la forêt d’antennes paraboliques qui à toute minute nous pollinisent avec la dernière déclaration, la dernière vidéo, le dernier buzz, le candidat est là mais il n’est pas là. A l’évidence FH, NS, MLP, FB, EJ, JLM sont là, mais tellement là que leur présence nous crève les yeux. Les yeux de l’esprit, j’entends. Mieux, les yeux du jugement éthique. La présidence est une fonction éthique.

Regardez autour de nous : les questions d’éthique présidentielle abondent en cette année bissextile : en Allemagne, le «  Reichpräsident  » démissionne pour une affaire de concussion (dans une autre chronique j’avais démonté le système rhétorique de la stature morale du leader en Germanie, au moment d’une autre démission présidentielle)[[L’éloquence allemande, et le triomphe de la Mannschaft]] ; aux Etats-Unis, Obama doit chaque jour prouver qu’il a du «  leadership  » et c’est la raison de ses initiatives répétées, des effets d’annonce hebdomadaires qui alarment même son parti ; en Italie, le président du conseil à récemment décanillé, la vraie raison étant qu’il avait fini par «  faire honte  » aux Italiens ; en Argentine, avant et après la campagne récente de Señora Fernandez de Kirchner, je lisais dans la presse platenesque des attaques violentes, portant sur l’éthique du pouvoir personnel du néo-péronisme. Et je m’arrête aux démocraties dignes de ce nom. Dignes de quel nom ? Dignes en fait d’un mot : «  vertu  ». L’arbre que cache la forêt des médias s’appelle la vertu ou comment le personnage qui veut exercer le despotat électif projette, ou non, une apparence de «  vertu  ».

Relire l’Esprit des Lois de Montesquieu

Je vois, le mot vous fait sourire – moi je souris à ce que le sport était naguère un exercice de vertu, mens sana in corpore sano, fair play, et désormais mano in Swizzero no tax, et play girls –. Mais que, pour cinq ans, nous allons avoir soit le capitaine, soit le Flanby, à votre sourire, «  quoi, vous avez dit «  vertu  », vous plaisantez !  » je réponds : commencez par relire l’Esprit des Lois de Montesquieu (III,3), d’où sort notre République :

Il ne faut pas beaucoup de probité pour qu’un gouvernement monarchique ou un gouvernement despotique se maintienne ou se soutienne. La force des lois dans l’un, le bras du prince toujours levé dans l’autre, règlent ou contiennent tout. Mais, dans un état populaire, il faut un ressort de plus, qui est la Vertu… Lorsque cette vertu cesse, l’ambition entre dans les cœurs qui peuvent la recevoir, et l’avarice entre dans tous.

Montesquieu dit «  un ressort de plus  », il ne dit pas que la vertu seule maintient une démocratie : la démocratie (l’état populaire) pour être le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple (un slogan UMP yankee qui n’a pas vraiment pris), doit disposer à la fois du principe monarchique de la probité, du principe despotique de la force et de cet «  en plus  », la valeur-ajoutée de la vertu. Abstrait ? Non, voyez : la vertu c’est de soucier de l’intérêt commun, avant l’intérêt particulier ou sectoriel, car si nous devons tous vivre ensemble, entre égaux, autant bien voir que si les pilotes de ligne exigent ceci que les conducteurs de rame ont, etc., c’est la démocratie elle-même qui lentement se défait, par «  l’avarice de tous  ». La vertu s’ajoute donc à la probité et à la force : une démocratie doit veiller à ce que le service de l’intérêt général soit probe et non pas le résultat de machinations type «  dialogue social  » ou financement occulte des comités d’entreprise ; et que la Loi puisse exercer une force légitime, également applicable à tous, y compris à ceux qui en font usage. Le problème de fond de la Grèce est que cette démocratie n’a ni vertu, ni probité, ni force légitime. Celui de l’Allemagne, au regard de l’Europe, est qu’elle se présente comme le ressort de la «  vertu  » (l’intérêt commun européen), mais que sa probité n’est pas évidente (combien de villes allemandes sont de «  petites Grèces  », endettées jusqu’au cou, voir le dossier sur ce sujet dans The Economist) mais que, dieux merci, elle ne dispose pas, pas encore, de la Macht. Je vous invite à faire ces permutations avec d’autres pays.

Rhétoriquement parlant, l’intérêt du trio probité/force/vertu est qu’il est…rhétorique, et qu’il fournit ainsi une clef pour accéder non pas à la Rose du jardin, comme dans le roman du même nom, mais au tronc au milieu du jardin de l’Elysée : le totem-Présidence.

Je m’explique : en rhétorique un bon argumentaire joue sur trois claviers, le logique, l’émotionnel et l’éthique[[Je fais ma réclame : De l’art de séduire l’électeur indécis, Quatrième leçon, «  Le grand rite des promesses électorales  » (François Bourin Editeur, 2012)]].

Le logique : on nous dit «  les faits tels qu’ils sont  » (Lejaby a été sauvé), on nous dit «  la vérité  » (pas un candidat qui n’aille de cette rengaine), on nous cite alors des chiffres et des statistiques, comme preuves, et on nous donne des exemples (l’Allemagne ploutocrate pour l’UMP). C’est du logique d’opinion, mais du logique quand même et, dans l’électorat, le vrai peuple, celui qui travaille 24/7, qui a le temps d’aller vérifier ?

L’émotionnel, c’est clair aussi : un candidat, comme Tartuffe, entonne sans cesse «  Ah ! pour être en politique je n’en suis pas moins homme  »[[Molière, Tartuffe, «  «  Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme  » (acte III, scène 3, vers 966).]]. Parfois il le dit et confesse «  ses erreurs  » (NS) ou «  sa vie intime  » (FH), parfois il montre de l’affect (le baiser de Madame Sarkozy, Chirac tapotant une charentaise)[[Le fameux baiser off a été mis sur internet par un «  Russe  ».]], bref un geste ou un mot à charge émotionnelle est, on le sait bien, un argument : un homme qui a des sentiments ne peut pas être mauvais.

Enfin, un candidat doit aussi argumenter sur ses «  qualités  » (toujours «  multiples  » comme nous écrivions sur nos fiches de classe) afin que les arguments logiques et les preuves par l’affect soient garanties en aval par sa… «  vertu  ».

Le logique correspond à la force (les arguments logiques tirent leur force de leur légitimité démontrée). L’émotionnel correspond à la probité (ça vous surprend ? voyez : le ressort du pouvoir monarchique est l’attachement irrationnel du peuple à l’idée que le prince fait «  par amour du peuple  » ce qui est «  bon, juste, probe  », idée tout en affect…et qui explique souvent la fidélisation, irrationnelle, d’un électorat). La vertu participe elle de l’argumentaire éthique, ou dit autrement : les candidats au despotat électif doivent montrer qu’ils possèdent le souci de l’intérêt général mais au nom de tous, et que donc leur «  vertu  » personnelle se hisse au dessus de tous les intérêts sectoriels. C’est le principe de la «  montée en puissance de l’un  » qui «  parle pour tous  »[[Voir «  Technologies présidentielles  », dans mon Hyperpolitique.]], principe délétère en démocratie mais que nous subissons depuis cinquante ans par atavisme agricole et je-m’en-foutisme citadin.

A chaque candidat, une définition de la vertu présidentielle

Alors donc, jetons un coup d’œil aux arbres qui, tels ceux en marche à la fin de Macbeth, avancent vers le pouvoir à prendre, et voyons de quelle vertu leur bois est fait c’est-à-dire quels termes-clefs sont avancés pour établir la stature éthique du candidat – bref de quelle image de vertu se parent ces arbres qui se veulent notre totem au milieu de la pelouse élyséenne. Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas ici de juger si leur «  vertu  » est bonne ou mauvaise, mais de cerner en un clin d’œil le ressort éthique ils projettent pour nous assurer que c’est là la vertu nécessaire à mener à bien leur programme de promesses. De la projection de cette vertu (qui veut dire simplement, en latin, «  force morale d’un individu  ») dépend en effet la force persuasive des argumentaires qu’ils proposent et des émotions qu’ils suscitent. Bref chaque candidat projette, sans que ce ne soit jamais explicite, une image de ce qu’est la vertu d’un président – ce totem qui pendant cinq ans, sauf sursaut de la Nation, va exercer le despotat électif[[Je ne citerai pas les discours dont je tire mon matériel.]].

Le totem Le Pen : fierté, violent amour, self-control. Mlle Le Pen (je respecte ici le côté vieille France de son père) use souvent de ces mots, ou du lexique auquel ils appartiennent. L’amour de la patrie est une vertu, et cet amour doit être inconditionnel, violent, âpre. C’est l’amour des marins bretons pour l’océan, somptueux mais qui fait des veuves– mon pays nous trahit, il accepte l’invasion immigrée qui fait de nous des orphelins, mais je l’aime, tout de même, envers et contre tous. Alors, pour pouvoir canaliser ce fort-amour, il faut se «  maîtriser  », se contrôler, se vaincre soi-même. Et c’est là notre fierté ? Voilà, en gros, la vertu que projette Marine Le Pen ; et il suffit de relire ses discours, mal fagotés je dois le dire, en spécialiste, pour voir ces trois éléments leur donner armature. Marine Le Pen est une indignée de la trahison, mais l’indignation est-elle une vertu de gouvernement ?

Le totem Bayrou : prévoir, sobriété, intégrité. Ces trois termes (on appelle ça des «  paradigmes  », entre nous) articulent bien des discours du pyrénéen amateur de chevaux. Du paysan gascon il se forme une idée de la vertu présidentielle qui consiste, en regardant le cycle de la politique comme on regarde le cycle des saisons, à prévoir, à être prudent ; mais, à cette fin, de faire preuve de sobriété. La prudence exige en effet d’être sobre, dans ses objectifs et dans les moyens mis en place. C’est en Béarn la sobriété voulue pour le pèle-porc à la vieille lune, en janvier-février, et la prévoyance d’une bonne ventrèche pour toute l’année. Voilà pourquoi FB parle souvent d’équilibre intérieur, bref d’intégrité de caractère. Pour lui, la vertu présidentielle est de cet ordre-là : anticiper, sobrement, et après mûre réflexion, pour qu’il y ait, sur le long terme, du résultat, rien d’extravagant, juste du bon résultat, ce qu’il faut, pas plus. François Bayrou a la parole dans le soc de la charrue. Tracer son sillon et planter à temps, vertu de gouvernement ?

Le totem Joly : triste, vouloir, justesse. Eva Joly dit souvent que telle ou telle chose l’attriste, qu’elle veut faire ceci ou cela, et demande souvent qu’on vote ou qu’on agisse juste. La vertu présidentielle qu’elle dessine est faite à la fois de tristesse devant tout ce qui blesse la dignité humaine, qui se traduit alors en un volontarisme chagriné et une exigence de justesse dans l’appréciation des éléments de décision. Le plus remarquable ici est que la ci-devant inquisitrice n’a rien gardé de ses méthodes, plutôt raides, de juge d’instruction ; que sa rhétorique est au contraire quasiment protestante de tonalité : si l’être humain est faillible de nature, et gâche bien des choses, alors essayons au moins de conserver ce qui n’est pas capable de faillir par soi-même : la Nature (et ses images sociales : les enfants, les délaissés, les vieux, les malades). Ce piétisme écologique est évidemment honni par le marxisme athée de Daniel Cohn-Bendit et de son frère Gaby, car il puise sa force, sa vertu, dans une conception fondamentalement religieuse, piétiste, et assez belle esthétiquement, de la place de l’être dans le monde. Eva Joly prêche, mélancolique. Mais est-ce une vertu efficace de gouvernement ?

Le totem Mélenchon : redresser, résister, vous/nous. Voilà un candidat qui dit rarement «  je  ». Il préfère «  vous  », «  toi  », «  nous  » ; ou l’appel à l’autre collectif, «  regardez !  ». Si sa projection de la vertu au pouvoir passe par une sorte de vision collective c’est que le «  redressement  » et la «  résistance  » supposent une action collective. Aussi collective que l’action du capital l’est dans la manipulation du travail. Les émotions, très fortes à lire les blogs, que sa parole de grand tribun suscite chez les militants (ses discours tirent des larmes !) tiennent à cette conception de la vertu présidentielle comme l’émanation oratoire, à travers un individu, de la vertu collective des groupes opprimés, qui doivent donc se redresser et résister (en latin : «  re-sistere  », c’est se dresser contre, bref se redresser, même idée). Mélenchon est une sorte de medium, mais comment argumenter la vertu collective de gouvernement ?

Ah, mais où sont François Hollande, le favori, et Nicolas Sarkozy, le sortant ? Il vous suffit d’aller lire ce que je dis de l’un et de l’autre ici même[[Comment Nicolas Sarkozy nous a parlé]], et sur Le Nouvel Observateur Plus[[http://leplus.nouvelobs.com/philippejosephsalazar]].

Evaluer la «  vertu  » d’un candidat est probablement la chose la plus difficile à accepter : ça suppose de ne pas prêter attention au contenu des promesses et au jeu des stratagèmes, à rester sourd aux excitations sensorielles des médias, et à se poser cette question : avec cette vertu-là, peut-il, peut-elle mener à bien le programme qu’il, qu’elle nous propose et pour lequel nous devrions raisonnablement déposer dans l’urne un bulletin de vote en sa faveur ?

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2 commentaires sur “La vertu présidentielle

  1. La vertu présidentielle
    Hello Philippe-Joseph !

    Merci pour cette analyse, de votre « point-de-vue » imprenable…. dites-moi, j’ai eu peur, votre site ayant changé d’adresse, mon « favori » n’a pas fonctionné !!!!! heureusement, votre nom « gôôguelisé » n’a pas résisté à ma recherche….et me voilà, ouf, prête continuer à vous lire… va bien falloir que je me décide à me procurer un de vos ouvrages…

    Bon, je vous laisse, mes amitiés à vos « oies », qui, je l’espère, se maintiennent, ainsi que vous-même

    Votre toujours fidèle (eh oui….:o) lectrice,
    Corinne

    1. La vertu présidentielle
      Hello to you and welcome back comme on dit sur BFMTV. Oui mes oies vont bien et retrouvent incessamment leur Bigorre natale.
      Ravi de vous voir de retour, chère Corinne. Thanks to Google qui pour une fois sert à autre chose qu’à alimenter les RG . PhJS

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