Claude Lévi-Strauss
Publié le 3 novembre 2009 par Rédaction LI
L’antropologue est mort dans sa 101ème année. Le palais scientifique du structuralisme était vide depuis longtemps. Reste sa littérature et la pensée sauvage.
Celui-là même qui influencé au XXe siècle notre perception du monde, l’anthropologie moderne et des générations de chercheurs, avait gagné le temps d’une cérémonie nationale, le statut officiel de grand sage. Et depuis, avait glissé dans le silence.
Le 28 novembre 2008 ne fut que louanges, hommages et people vibrant au Musée du Quai Branly pour célébrer l’anthropologue centenaire. On célébrait le Sage. Presque ébarbé de toute humanité. Claude Lévi-Strauss aura tué aussi. Cacique. Intransigeant. Après une longue amitié avec son cadet Georges Balandier, il y eût la distance d’un long hiver. Balandier, l’auteur du classique Afrique ambigüe, et le co-concepteur du « tiers-monde » avec Alfred Sauvy, n’aura jamais de poste au Collège de France. Claude Lévi-Strauss y préféra comme successeur et défendit mordicus Françoise Héritié-Augé. Le malheureux candidat en conserva une sombre amertume. On célébra le Sage en 2008, on signala en même temps l’heure de son retrait. Convenu et banal, cet embaumement républicain prenait les couleurs un peu éteintes d’une nostalgie scientifique. A quoi songeait Claude Lévi-Strauss qui avouait volontiers : « ce n’est pas un monde que j’aime » ?
Un monde sans illusions et un siècle qu’il aura modelé sous ses analyses et ses théories, démontant les structures et les mécanismes mentaux comme autant de pièces d’une même humanité. Que restera t-il du structuralisme, dont il fut l’une des figures cardinales ( « Les Structures élémentaires de la parenté », 1949) ? Son tombeau de papier façonné en 2008, La Pléiade, restera littéraire. Indécrotablement littéraire. Premier anthropologue élu à l’Académie française en mai 1973, au fauteuil d’Henri de Montherlant, l’Académie française lui rendra jeudi 5 novembre un hommage privé, lors de sa séance hebdomadaire.
Tristes Tropiques, lu et relu. Ce livre-là laissa même sérieusement songeur le jury du Goncourt en 1955. Une autobiographie intellectuelle ? Un roman ? Un texte scientifique ? On y trouve les ombres de la pensée sauvage, la luxuriance d’une langue poussé dans le terreau de l’humanisme du XVIIIe siècle, les fulgurances écologistes et l’amer de la déception du monde qui s’uniformise. Tristes années 1930 où un continent va être englouti, il le sait, au travers de ses expéditions ethnographiques au Mato Grasso et en Amazonie qu’il explore, étude n°3 de Chopin et idéalisme en tête.
La pensée sauvage en nous
En 1962, le texte La Pensée Sauvage qui constitue un autre classique lévi-straussien, sera âprement discuté, et partiellement réfuté. Il veut démontrer
que la pensée observable dans les sociétés « sauvages » est aussi la nôtre. On ne peut plus accepter l’idée d’une « mentalité primitive » : la pensée humaine procède partout selon les mêmes mécanismes et se déploie de façon variable selon les sociétés. La magie et la science sont deux modes de connaissance. Les connaissances diffèrent mais ne s’opposent pas. L’ethnologie ne vise plus à accompagner l’évolution des sociétés de la mentalité primitive à la civilisation : elle décrit des sociétés en cours de transformation sur fond de structures logiques universelles.« C’est la même logique qui est à l’œuvre dans la pensée mythique et dans la pensée scientifique », affirme t-il.
En réfutant la notion de « primitif », le scientifique sauvage gomme la hiérarchie des cultures. Extrait : « La pensée magique n’est pas un début, un commencement, une ébauche, la partie d’un tout non encore réalisé ; elle forme un système bien articulé ; indépendant, sous ce rapport, de cet autre système que constituera la science, sauf l’analogie formelle qui les rapproche et qui fait du premier une sorte d’expression métaphorique du second. »
La pensée sauvage est en nous. Elle se meût dans l’arrière-fond de notre pensée civilisée. C’est ce fantôme repéré par Claude Lévi-Strauss qui nous accompagne. Il est bon de le réaliser, ou de s’en souvenir à l’occasion.