Témoignage chrétien bouge encore
Publié le 28 novembre 2011 par Les Influences
Bernard Stephan a été appelé au chevet de l’hebdomadaire catho de gauche une nouvelle fois au bord de la banqueroute. Extrême onction ou résurrection ?
Bernard Stephan est calme, stoïque dans l’adversité. Pourtant on sent que les derniers mois ont été difficiles. L’homme à la crinière ébouriffée de philosophe a le regard de celui qui a frôlé l’accident cardiaque. En juin dernier, le journal Témoignage Chrétien (TC pour les intimes), créé dans la Résistance dès 1941, entre en convulsions et les pronostiques vitaux sont engagés. « Nous ne savions pas si nous allions vivre au delà du 20 septembre », souffle-t-il. On lui propose la présidence du journal pour palier au départ précipité d’Hubert Debbasch, un professionnel du tourisme religieux, qui avait lui-même succédé au survolté Jacques Maillot et à l’avocat Jean-Pierre Mignard. Face à la gravité de la situation, Bernard Stephan, par ailleurs gérant des Editions de l’Atelier, confesse ne pas s’être porté candidat. « Je ne suis pas un sauveur et si on m’avait dit de venir sauver le journal, je n’aurais pas accepté », admet-il.
Mais il refuse de laisser mourir le journal sans rien faire. Et il faut réagir vite car la trésorerie est vide et les 6 700 abonnés – dix fois moins qu’au début du journal – bien insuffisants pour espérer de nouvelles rentrées d’argent. Déjà, le quotidien Le Monde (qui détient au sein de son groupe, La Vie, l’hebdo catho concurrent ) prédit la disparition du journal des chrétiens de gauche, de plus en plus vieux et invisibles. Combien de fois la minuscule rédaction, aujourd’hui dirigée par Jérôme Anciberro, et lui-même ont pensé que les 70 ans de la revue ce mois de novembre donneraient lieu à un enterrement plutôt qu’à une fête ?
Plus de 100 000 euros réunis : « On a beaucoup prié ! » rit Bernard Stephan.
Bernard Stephan lance un grand appel à la générosité des lecteurs, soutenu par des personnalités comme Stéphane Hessel, Patrick Peugeot (directeur de la Cimade), Bruno Frappat (ancien président du groupe Bayard Presse) ou encore Guy Aurenche (président du CCFD).
Et le « miracle » se produit. « On a beaucoup prié! », s’exclame-t-il en riant. Les animateurs de TC réunissent plus de 100 000 euros et 500 abonnés supplémentaires en huit semaines. Assez d’argent pour survivre jusqu’au printemps prochain. « C’est un premier pari qui a été gagné par nos lecteurs, commente-t-il. Nous n’avons fait que le provoquer. »
Et l’homme de 53 ans a été un des éléments déclencheurs. Il n’a pas été choisi par hasard. Directeur depuis 2003 des Éditions de l’Atelier, célèbres pour son encyclopédie unique au monde sur le monde ouvrier (le Maitron), il sait comment diriger une entreprise. Il connaît également très bien TC avec qui il a vécu une relation fusionnelle, entre brouille et réconciliation. Et comme le veut le dicton populaire, « le Breton est têtu ».
Le directeur de la publication avait déjà claqué la porte du journal
Pour Bernard Stephan, la raison de son départ de l’époque est plus profonde : « J’estimais, à 30 ans, que le journal ne pouvait plus se positionner uniquement sur une critique institutionnelle, certes nécessaire, mais qui donnait assez peu de raison de vivre à une génération comme la mienne », explique t-il. Après une tentative de création d’un magazine, il intègre les Éditions de l’Atelier en 1993. Bernard Stephan ne reste cependant pas éloigné de l’hebdomadaire chrétien. Il rejoint l’Association Témoignage Chrétien et en devient président en 2001, puis son représentant permanent.
Les temps où il était dans le journal ont bien changé. Alors que la presse magazine catholique se porte plutôt bien, la situation de TC n’a cessé de se détériorer.
Son cœur de cible, les chrétiens de gauche, est en déclin depuis les années 1980. Le « nouveau » TC qui a dévoré ces dernières années, nombre de rédacteurs en chef –le dernier en date a jeté l’éponge au début de l’année- jure intégrer cette donnée massive et s’adresser désormais autant aux chrétiens qu’à ceux qui se cherchent spirituellement ou ceux sans religion mais qui souhaitent avoir une vision différente du monde.
Mais ce projet éditorial nécessite une seconde levée de fonds pour arriver à ce but. Cette fois-ci, les actionnaires devront mettre la main au portefeuille. « Il y a des actionnaires qui vont intervenir à nouveau, je ne peux pas vous dire aujourd’hui à quelle hauteur, mais c’est en cours. D’autres partenaires vont venir sur une perspective de défense de l’indépendance du journal et qui ont une très forte proximité avec la ligne éditoriale de TC ». Les lecteurs seront également appelés à faire des dons réguliers. « Il faut qu’on sorte de la rhétorique « nous allons mourir, sauvez-nous », on ne peut pas rester dans cette perspective d’extrême onction », plaide-t-il. En contrepartie, les lecteurs auront, trois à quatre fois par an, une information financière précise sur l’usage qui est fait de leur don. Mais ce modèle économique reste précaire. « Maintenir les 11 salariés de TC, c’est le pari qu’on veut faire », admet Bernard Stephan, lui qui a accompagné la division par deux du nombre d’employés aux Éditions de l’Atelier.
Introuvable en kiosque, pas de ressources publicitaires, 6700 abonnés vieillissants : comment rajeunir le lectorat et garder 11 emplois ?
Le salut ne passera que par de nouveaux abonnés. Mais comment attirer un lectorat jeune ? « C’est le défi. Je n’ai pas la réponse », concède franchement Bernard Stephan. Mais il perçoit des signes positifs : par exemple, le conseil d’administration de Témoignage Chrétien a été rajeuni. Il est désormais composé majoritairement par des gens de moins de 40 ans. « J’ai fait l’expérience avec eux qu’il y avait une recherche très forte de ces générations en matière de religion et de spiritualité et ils trouvaient en TC un relais possible ». Il mise également sur le site Internet qui a fait peau neuve, sur les réseaux sociaux et sur des rencontres autour du journal. Surtout, il souhaite « affiner la personnalité du magazine et la singularité éditoriale » et sortir de la logique qui voulait faire de TC une revue généraliste pouvant concurrencer l’Express ou le Nouvel Obs. Témoignage Chrétien doit redevenir « un journal qui fait des choix, un journal de complément, qui prend un temps de respiration dans le flux d’informations qui nous assaille, et qui risque une parole, des dialogues ou des débats qui sont importants ». Par exemple, il voudrait que le journal se penche sur le sujet de la pauvreté en France qui résulte selon lui de « choix de société, de choix anthropologiques qui ont été faits et qui continuent d’être faits mais qui ne sont jamais exprimés ».
Ce changement se traduira le 8 décembre 2011 par une nouvelle formule du magazine. Une nouveauté qui risque de passer inaperçue car depuis juin le journal n’est plus vendu en kiosque…
Le nom de l’hebdomadaire peut aussi être un obstacle pour séduire de nouveaux lecteurs mais Bernard Stephan ne le changerait pour rien au monde « non pas par fétichisme, mais parce qu’un journal qui explicite ses sources n’empêche pas le dialogue et la contradiction ». Le directeur de la publication a vu sa maison d’édition changer de nom, des « Éditions ouvrières » aux « Éditions de l’Atelier », ce qui a participé au redressement économique de la société, mais le poids de l’histoire de TC semble trop lourd pour une telle transformation. Peut-être aussi la peur de perdre les derniers abonnés, ces généreux mécènes qui ont apporté les sommes considérables de 120 000 euros cette année et de 250 000 euros il y a seulement deux ans.
Si le projet pour sauver TC comporte quelques zones d’ombre, Bernard Stephan a au moins réussi à redonner de l’espoir. Lui qui conçoit sa foi chrétienne comme « l’expérience de la fragilité » ne pouvait qu’être la personne idéale pour accompagner le journal subclaquant.